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Hellfest 2013 - Jour 03 : « Relèves et légendes »
Il est 10h, Clisson s’éveille. À la rumeur excitée des deux premiers jours de festival, le dimanche matin étonne toujours par son calme relatif. On croise les sales mines des campeurs, éprouvés par trois jours de grande fiesta globale. Flottement étrange où les coreux en casquette et les vikings cornus ressemblent bien plus à des zombies de cinéma bis qu’à des guerriers.
C’est dans cette curieuse atmosphère de gueule de bois généralisée que nous nous dirigeons sous la Valley, un écrin de choix pour le premier groupe de la journée. Pas d’excuses pour louper les Truckfighters. Et peu importe que l’ambiance festive du week-end soit entamée. Peu importe qu’il soit 11h40 lorsqu’Ozo, Dango et Poncho grimpent sur scène. Peu importe que ce soit avec un grand café noir que nous accueillons la prestation du trio stoner d’Örebro. La bière attendra.
Dès les premières notes du tube “Desert Cruiser”, le chapiteau s’embrase. Les acrobaties athlétiques de Dango, la voix puissante d’Ozo et le matraquage de cymbales de Poncho créent l’alchimie. Une superbe setlist s’égrene alors, dans laquelle on aura même droit à une nouvelle chanson – encore inédite. Ça se voit : ces mecs-là s’amusent. Ils méritent fièrement l’attention portée sur eux en ce moment. Parce qu’en toute bonne foi, personne ne peut détester Truckfighters. Surtout pas en live.
Même scène, ambiance différente. Lorsque les Allemands de My Sleeping Karma viennent défendre leur rock psyché, un parfum de spiritualité orientale s’abat sur la Valley. La musique de transe de MSK offre une facette du heavy rock diamétralement opposée à la puissance directe des Truckfighters. Aucun problème : nous ne sommes pas sectaires. Arborant visuels de psylos et tatouages védiques, ils offrent une prestation de rock psyché instrumental au meilleur de sa forme.
Les riffs envoûtent, hypnotisent, suspendent la Valley dans les airs pendant quarante minutes. Il ne manque que la douceâtre odeur de l’encens pour que la liturgie soit parfaite. Puis l’atterrissage, en douceur, nous guidant naturellement vers la fin du concert. Mains jointes, sourire aux lèvres, le quartet remercie un public conquis qui aurait volontiers prolongé le plaisir. My Sleeping Karma est cette bouffée d’air inattendue dans un festival de metal.On ne peut qu’applaudir ce choix de programmation.
Quand on a un lourd passif de metalhead, il est difficile de rater un groupe venu de Göteborg. Obligé. Et tant pis s’il a choisi les atours d’un hard rock estampillé Tee Pee Records plutôt que la machine de guerre du swedish death metal. On n’est pas contre. Graveyard s’échine alors pendant son temps réglementaire à faire danser des festivaliers enthousiastes à grands coups de blues rock psyché. Amplis Orange (on en est désormais certains : ces amplis vont jusqu’à 11), crinières au vent et soli en gammes pentatoniques… Ces gars-là n’ont pas inventé le fuzz, mais ils se défendent à merveille.
Non, y a pas à dire. Ils sont forts, ces Suédois.
Changement d’ambiance radical lorsque Jason Newsted présente son retour aux affaires sur la Mainstage 1. Et si toutes les chansons de l’ex bassiste de Metallica ne sont pas des pépites, quelques riffs prennent les cervicales de l’audience par surprise. Pourtant, ce n’est vraiment que sur les deux seuls reliquats des Four Horsemen que le public se déchaîne. Triste mais vrai. Le quartet interprète le mythique pont de “Creeping Death” et l’abrasive “Whiplash”, un hymne tout à fait taillé pour la voix de boucher et le feeling punk de Jason Newsted. Show inégal, parfois cliché (“Listen ! to ! metal !!”), pas vraiment indispensable, mais joué avec le coeur. Parfait pour partager une bière au soleil.
C’est au tour des Québécois de Voivod d’investir la Mainstage 2. Premier constat : là où le sang neuf de Vektor avait rassemblé un public très nombreux vendredi sur la même scène, la foule est incontestablement plus clairsemée pour la prestation de la bande à Michel “Away” Langevin. Voilà, les enfants : on assiste typiquement au phénomène de ce que vous avez déjà entendu être “un groupe culte”. Peu de spectateurs, mais les plus fervents.
Ainsi, tout le monde (ou presque) semble connaître les paroles. À commencer par Phil Anselmo, complètement théâtral sur le côté de la scène pendant que les Canadiens déchaînent leur metal. L’ex-Pantera viendra d’ailleurs pousser la chansonnette, suivi de près par Jason Newsted, “un membre de la famille” (celui-ci était le bassiste de Voivod pendant 6 ans). Quasiment une heure d’attaques thrash prog plus tard, le groupe prouve que malgré la mort du guitariste fondateur Piggy, Voivod reste un nom incontournable. Plus de trente ans de bons et loyaux services dans l’ignorance quasi-générale n’auront pas entamé leur créativité, en attestent les excellentes chansons de Target Earth, le dernier disque des quinquas sorti plus tôt cette année. Et qui ne voudrait pas pouvoir thrasher comme ça à leur âge ?
Au loin, le public amassé devant la Mainstage 2 avant le set de Gojira regarde la fin du concert de Voivod avec des yeux ronds. Incompréhension. Confrontation absurde entre le monde des losers magnifiques du thrash metal et celui des poids lourds du metal français contemporain. Gojira, comme d’habitude très attendu au Hellfest. La formation signée chez Roadrunner commence son concert avec la massive “Flying Whales”. Comme toujours, les quatre bêtes de scène sont irréprochables de technique. Les tubes défilent : “Backbone”, “L’Enfant Sauvage” et même le death metal frontal de “Deliverance”, extraite de leur tout premier album.
On quitte le set de Gojira pendant que Mario Duplantier s’essaie à la guitare de son frère Joseph, growlant de sa plus belle voix de David Vincent dans le micro. Un gimmick comique de tous les concerts de Gojira désormais, où Joseph Duplantier lâche quelques tapis de double pédale derrière la batterie. Comme un hommage au metal de la mort originel, celui d’avant. Dont ils ne se sont éloignés progressivement que pour mieux le servir.
Depuis l’annonce de l’annulation de Clutch vendredi, les festivaliers étaient au courant que Down les remplaceraient pour un “Special Show”, générant les fantasmes les plus fous. Down allait-il jouer des reprises de Pantera ? Vinnie Paul, lui-même sur place pendant le festival, mettra-t-il ses rancoeurs de côté pour jammer avec son vieux collègue Phil Anselmo ?
Évidemment pas. Les sudistes se contentent d’enchaîner des chansons de leur propre répertoire qu’ils jouent rarement en live. Puis les guests défilent : ils invitent lady Anselmo pour brailler quelques reprises de Crowbar, laissent leur quart d’heure de gloire à leurs roadies, font une place à Jason Newsted (qui, décidément, connaît du monde), beuglent tous dans les micros de chacun... Pas de doute, sur scène, l’ambiance est à la fête et les fans apprécient. Mais ça ne suffit pas. Pas une chanson ne se termine sans que des voix issues de l’audience ne réclament “Pantera”…
Alors qu’on n’y croyait plus, en toute fin de set, Down finit par céder à la vindicte populaire. Surprise générale lorsque le quintet entame le riff de la célèbre chanson de Pantera “Walk”… l’espace de trente secondes. Trente secondes intenses pendant lesquelles la Valley tout entière n’est qu’un gigantesque mosh pit. Trente secondes avant que les musiciens ne saluent et s’en aillent. Frustration. Down a certes joué un show spécial, mais pas celui attendu. Mais peut-être fallait-il vivre cela pour faire définitivement le deuil de Pantera.
Après trois jours de concerts, trois jours de pluie, trois jours de camping, trois jours de bouffe de festival, le peuple du Hellfest est vanné. Pourtant, les tubes de Ghost, ultime messe noire du week-end, font la joie du public. Et Ghost est attendu par tout un parterre de dévots au Très-Bas.
On se laisse agréablement couler dans cette habile caricature du metal, rigoureusement parfait pour terminer le Hellfest en grande pompe. Du style, de la classe et des mélodies imparables tournent habilement en dérision deux millénaires de religion catholique. La cérémonie n’est interrompue que par l’emphase lyrique des traits d’esprit de Papa Emeritus II entre les chansons. Chants liturgiques à la gloire du Malin, mélodies de clavier à la sauce vintage, riffs à la Mercyful Fate… Presque rien n’est à jeter.
Puis le groupe salue. Le son s’interrompt. Les lumières s’éteignent sur la scène. On quitte le site du festival. Une nuit de sommeil approximatif plus tard nous fait définitivement comprendre que le Hellfest 2013 est tout à fait terminé. Rencontres magiques, retrouvailles émouvantes, concerts incroyables, cuites cathartiques… tout est derrière nous désormais. Qu’à cela ne tienne.
Clisson, à l’année prochaine.
Crédits photos : Andrey Kalinovsky / CSAOH.com
Affreux vilain metalhead incurable et rédac'chef |
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