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Neurosis + Swans + Master Musicians of Bukkake 25/05/2013 @ Villette Sonique 2013, Paris

Portrait de DMDFC
Neurosis + Swans + Master Musicians of Bukkake 25/05/2013 @ Villette Sonique 2013, Paris

Audacieux plateau concocté par la Villette cette année, puisque comme l’an dernier, le festival se paye une soirée rock agressif, metal, post machin, bref, ce que tu veux, mais qui, de fait, fait du bruit à base de guitares. L’audace se trouve dans l’affiche puisque 2013 voit la scène être partagée par Neurosis d’une part, groupe cultissime et essentiel, référence incontournable pour tous les manchots incapables de dépasser le 100 bpm sans se luxer un doigt, moult fois plagié et rarement égalé ; et Swans de l’autre côté, groupe cultissime et essentiel, référence incontournable pour bien des formations à travers le globe, y compris… Neurosis ! Le truc est d’autant plus curieux que Michael Gira ne cache que difficilement son manque d’amour total pour le metal, et qu’avec Neurosis il a de quoi être servi avec du rab et encore un doggy bag derrière. Enfin, Jarboe, ex-madame Swans a jadis enregistré un album avec Neurosis que Gira s’est toujours fait une joie de ne pas commenter. Tout le monde devait être décontracté en coulisse.

En première partie, visiblement pas vraiment prévu, se place un trio composé de Randall Dunn - gourou sonique et ingé son de renom, chef de Master Musicians, collaborateur de SunnO))), Secret Chiefs, Kinski, Earth, entre autres; Shazzula Vultura – ex-membre d’Aqua Nebula Oscillator, pousseuse de disques psychés pour soirée à thèmes (pour la marque Fuct aux USA par exemple) et curatrice/tête pensante derrière le projet de film Black Mass Rising; et d’une troisième gazier que je n’identifie pas. Chacun positionné derrière un rack de machines et claviers, le trio s’engage dans un gros quart d’heure d’électronique psychédélique. Pas de rythmique clairement identifiable, pas de motifs réguliers. Les sons de synthés analogiques se font larges, envahissent l’espace.

Enivrantes, les circonvolutions du trio dessinent une épaisse transe psyché qui se mue lentement. De nappes et soupçons, elle devient progressivement un magma d’oscillateurs pour ensuite finir en distortions légères. Derrière, des images de Black Mass Rising sont diffusées. Pyramides, soleil, paysages, les images sont ocres et chaudes. Vu la période, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec Boards Of Canada qui aurait complètement délaissé sont côté hip hop pour se concentrer uniquement sur les claviers. Une mise en bouche qui ne récolte que de polis applaudissements, mais qui pour ma part me convainc largement.

Le stand de Shazzula est évacué et les deux autres reviennent rapidement derrière leurs machines, cette fois-ci accompagné du reste de la troupe formant Master Musicians Of Bukkake. Derrière ce nom redoutablement crétin (y a quand même un type dans la troupe qui n’a rien trouvé de mieux comme idée que de suggérer ce nom, quelque part entre la blague grivoise type mauvais goût de patron et mystique décalée pour soirée arrosée), se cache (au propre) une demi douzaine de types déguisés en touareg. Pourquoi pas. Dans une sorte de délire type dinette au milieu des chameaux, les gens de cette formation s’évertuent à placer un rock progressif (au sens premier), où les couches de guitares se mèlent aux rythmiques incessantes se débattant entre les nappes de claviers.

Cavalcade rythmique et mantras de 6 cordes, MMOB est un groupe remarquable - pour peu qu’on soit apte à apprécier le second degré des déguisements et de poses foireuses : le chanteur se pointe avec une tête de cerf sur le crâne et prend des poses de vieux sorciers, tremble des mains comme en pleine incantation, pendant que le guitariste se promène dans une tenue rouge brillante et bouffante évoquant un sac de couchage, le tout ponctué par une machine à fumée qui inonde complètement la salle chaque fois qu’un morceau se conclut. C’est donc rapidement un gros bordel (avec Thor Harris des Swans en renfort sur un morceau), alors que la musique peut très sérieusement faire songer aussi bien à du Pink Floyd moderne qu’à du Mr Bungle plus grave.

Les Swans, on en a déjà parlé, tu connais l’histoire : le groupe joue à un volume indécent de très longs développements issus de sa discographie globale, en étirant selon les volontés de Mr Gira qui ordonne à ses collaborateurs comment chacun doit intervenir. Les Swans sont incroyables, jouent avec une puissance folle une musique qui s’extirpe de tout cliché, s’imposant simplement d’elle-même bien au- delà de ses contemporains. Néanmoins, les concerts de Swans ne sont pas des expériences qui se répètent : c’est la quatrième fois que le gang se produit à Paris depuis son retour et chaque performance se distingue de la précédente. Leur concert au Trabendo en fin d’année dernière était absolument magistrale, et laissait une impression plus positive encore que lors de leur passage précédent à la Maroquinerie.

Cette fois-ci, même s'il n’y a pas grand chose à redire, j’ai trouvé à nouveau que le groupe semblait se débattre trop longuement dans des étirements qui ne semblent aller nulle part. J’ai senti plus de moment en roue libre, à vide, plus de longueurs. La surprise du set vient aussi du volume : excepté le son de Gira, le volume est étonnamment supportable dans la grande halle de la Villette. Le format festival doit braquer Gira qui, plutôt que de condenser son set, l’étire plus que de raison. En milieu de concert, les Swans imposent Coward, superbe morceau des glorieuses premières heures ici présenté comme un blues industriel punitif absolument fascinant. Si bien sûr Gira reste le chef de la bande, les Swans comprennent actuellement deux artisans admirables : Mr Pravdica est un bassiste au son colossal, demeurant un exécutant de premier choix pour la tête du clan, en même temps qu’un sérieux meneur rythmique. D’autre part, l’indétrônable Norman Westberg demeure cette incroyable force tranquille à la présence troublante, en permanence en retrait, qui applique avec précision ses guitares rythmiques et rugissantes. Le public s’incline. Logique.



Derrière c’est la grande messe qui s’annonce… pour qui en a encore quelque chose à carrer de Neurosis. Mettons de suite les choses au clair, avant de mal interpréter : ça ne m’amuse absolument pas de ne pas apprécier un concert, ce n’est là ni un passe temps ni même un défouloir. De fait, après leur premier concert parisien depuis des lustres deux ans plus tôt, je n’attendais rien de Neurosis. Mais je ne tire aucune satisfaction ni même aucun amusement à tout ça. A vrai dire, ça serait plutôt de la colère. On a parlé en ces pages du film sur le DIY qui présentait largement Neurosis et son label. Lorsqu’on regarde ce film aujourd’hui, on sent l’immensité de la formation, l’importance du groupe et de sa musique.

Depuis 10 ans, chaque nouvel album ne nous retransmet pas cette aura. Neurosis est devenu un groupe qui n’excite plus, qui ne propose plus rien. Ils ne sont pas mauvais (quoique), ils sont juste Neurosis, à la limite de leur propre caricature. Ce n’est pas une joie de les voir n’être qu’une interprétation d’eux même, c’est de la colère qu’on ressent.



Neurosis est Neurosis, surtout pas plus et parfois un peu moins, pendant toute la durée de leur set. Pas plus car le groupe tout au long de son set ne saura faire surgir la bête qu’on est en droit d’attendre, si ce n’est lors de Locust Star, conclusion agréable mais loin du Through Silver In Blood cataclysmique qui terminait le concert à la Machine. Un peu moins car le groupe ne sortira pas de son rôle de groupe metol à mauvaise trogne pendant le show. Neurosis ne se détend pas, n’est pas là pour sourire ou faire passer un sentiment de sympathie. Ça peut probablement fasciner quelques mineurs comme attitude, mais passé un certain âge c’est plutôt ridicule. Ajoutons à ça que les vocaux de Steve Von Till, pourtant bon chanteur, n’aident pas à se défaire de cette image. Ces lignes de chant sont sur-jouées, comme un Tom Waits de sitcom, obligé de marquer le ton pour faire mieux comprendre le sens.

Le manque de courtoisie de la formation, outre une petite tension avec quelques gentlemen en fosse, n’a cependant pas débouché sur un concert affreux. Déjà, le groupe a perdu son boulet dévoué aux visuels et projections. Fini donc les loups, les faucheuses et tous les autres trucs un peu moches et niais qui hantaient les fonds de scène. Surtout, Neurosis jouit ce soir d’un son incroyable, d’une grande puissance. Si bien que dès les premières notes, on est totalement happé par le son du quintet. Les basses, aussi bien celle des 4 cordes de Dave Edwardson que les effets et nappes de Noah Landis sont étouffantes, probablement trop fortes mais absolument physiques. Les intermèdes, souvent composés d’infras, créent un sentiment de suffocation dans les premiers rangs. Le bas du spectre est totalement envahissant et s’abat sur le public, quasi palpable. Noah Landis sort d’ailleurs comme le grand gagnant des récents concert de Neurosis : ses phases ambient permettent de créer des contrastes plus présents qu’auparavant, créant un lien continu entre les morceaux.

Jason Roeder revient à la grande halle pour la deuxième année consécutive puisque batteur de Sleep également. Cet écart semble avoir de l’effet sur son jeu, que je trouve plus groovy qu’auparavant, les breaks et les roulement sont plus typiques sludge et doom que jadis (impression renforcée lors des plus vieux morceaux qui martèlent dans un genre beaucoup plus traditionnel), et offrent une nouvelle fluidité aux rythmes du groupe. Batteur au feeling certain mais à la technique imparfaite, Roeder me rappelle de plus en plus Signorelli. Tous ces bons points, cumulés à un début remarquablement puissant ne générerons, hélas, que peu d’intérêt. Si on pouvait penser que le set allait faire oublier le show chiantissime d’il y a deux ans, c’était juste une impression. Rapidement, le concert s’articule massivement autour des deux dernières purges studio du groupe, et l’ennui pointe rapidement le bout de sa trogne. On s'attendait à se prendre l’avoine, on reçoit juste quelques graines. Il faudra attendre The Tide, sublime morceau de A Sun That Never Sets pour décoller (enfin), mais c’est vraiment sur le rappel qu’on appréciera enfin toute la puissance du groupe.

Locust Star est rageur et impeccable grâce à Edwardson (meilleure voix du groupe, pourtant sollicitée pour cette seule et unique fois… qui a dit « gâchis » ??) mais s’avère une bien piètre récompense. La lumière se rallume et le public semble acclamer le groupe (pourtant internet est rempli de gens ayant trouvé ça mauvais…). Colère et tristesse sont au rendez-vous : Neurosis semble incapable aujourd’hui de briller comme à la grande époque (ie. les années 90) et de faire honneur à sa réputation offrant juste un spectacle qu’on retiendra surtout pour son incroyable volume sonore. C’est d’autant plus triste que les set list balancées dans le public à la fin du concert révèlent que le groupe a écarté Times Of Grace de sa set list avant de monter sur scène…

Crédits photos : Andrey Kalinovsky / CSAOH.com

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