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Fuzz Week in Paris : Pet The Preacher + Acid King / Pentagram
Vous pouvez demander à n’importe quel Parisien féru de concerts : l’avantage principal d’habiter la capitale – ou du moins sa proche banlieue –, c’est la pléthore de concerts auxquels il est possible d’assister. Le secret d’un pays aussi tourné vers son propre nombril se cache dans le fait de loger dans ce nombril. Le Parisien peut tout voir : petits groupes qui font leurs dents, légendes cultes, stoner suédois, folk islandaise, electro corse, black metal québécois, zouk de Barbès, new-wave disco pour hipster… Oui, j’en passe - et des bien pires.
Par ailleurs, vous pouvez demander à n’importe quel Parisien féru de concerts : l’inconvénient principal d’habiter la capitale réside dans les horaires des évènements. Les concerts commencent tôt… et finissent tôt. Parfois à des heures frôlant le scandale. Démonstration.
Mardi 16 juillet, c’est le trio californien Acid King qui venait remuer de toute sa puissance les murs du Glazart, Porte de la Villette à Paris. Suite aux annulations consécutives des Gates Of Slumber et de Hesher, c’est respectivement Pet The Preacher et The Lumberjack Feedback qui ont la lourde tâche d’ouvrir pour Lori S. et les siens. On arrive en retard pour la prestation du Lumberjack Feedback, ce qui nous empêchera de vous en parler. On entend cependant parler d’une “bonne découverte”, marquant les esprits (et les oreilles) de son attaque rythmique massive : eh oui, le groupe use de deux batteries pour le prix d’une.
Pet The Cliché ?
Pet The Preacher commence alors son set dans un Glazart déjà très chaud – températures estivales obligent. Après deux ou trois premières chansons, le groupe entonne “Concrete Prophet”, une piste du dernier EP en date du groupe, Papa Zen & Meet The Creature. Elle fait enfin décoller un public enthousiaste… quoique pas vraiment passionné. Le heavy rock des Danois repose sur des riffs assez simples qui laissent la place à des démonstrations techniques fort bienvenues. En attestent quelques soli de basse bien raccord avec la guitare de Christian Hede Madsen.
Le guitariste chanteur, justement, véritable mâle alpha du stoner, s’encanaille de quelques incartades au bottleneck avant de se lancer dans des rythmiques rageuses. Évidemment, le tableau ne serait pas parfait sans l’aptitude naturelle de ce dernier à délivrer sa science du solo. Gamme pentatonique omniprésente, amplis Marshall, basse Fender Jazz, Gibson Les Paul, cheveux blonds au vent, tatouages ésotériques et barbe de 3 mois… Si ce n’est la puissance intrinsèque de leur musique, le trio offre toute la panoplie du parfait groupe de stoner doom sur scène… ce qui finit par le desservir. Et à part quelques aspects originaux (dans sa musique à proprement parler), Pet The Preacher prêche un sermon un peu trop connu…
Le groupe parvient cependant à nous remuer les cervicales, son feeling à la Truckfighters qui auraient trop écouté le dernier Baroness nous surprenant parfois, comme lors de l’intro martiale de “Kamikaze Knight”, chanson encore inédite du groupe (apparemment). Un final lourdissime et jouissif suffit à nous confronter à notre propre exigence : elle a décidément franchi un niveau supérieur. Ceci dit, la faute en incombe surtout aux Stoned Gatherings : sans les hordes de formations de heavy music que ces orgas ramènent à Paris, nous serions moins difficiles. Eh ouais, les gars. Fallait pas nous habituer qu’à du très bon.
Notre sentiment en demi-teinte est cependant confirmé par quelques doomheads rencontrés pendant la pause. On entendra même cette violente pépite de la bouche de l’un d’eux : “Pet The Preacher, ce serait un peu la variété du doom”. Si ce n’est pas très gentil, rappelons pour leur défense que dans la variété, on a parfois aussi classé des artistes de qualité. Du moins paraît-il.
Acid King : physique
Mais les premiers larsens d’Acid King empêchent de continuer le Pet The Bashing. Dès la première note, l’unisson du power trio fait taire tout le monde dans la salle surchauffée. Car l’atmosphère du lieu est intenable. Pour des animaux tropicaux, la température du Glazart aurait été un brin élevée. On vous laisse imaginer l’ambiance devant un groupe au son aussi abrasif qu’Acid King.
Lori S., la reine la plus couillue du stoner, illumine la scène de toute sa classe. Impériale, elle adoube de son fuzz impitoyable l’audience toute entière et rend la justice de ses vocaux hypnotiques. La profondeur de la basse et le jeu gras du batteur créent l’écrin idéal pour accueillir la puissance destructrice du son de sa guitare.
Sans aller jusqu’au radicalisme de Sunno))), la performance d’Acid King est parmi les plus physiques qui soient. Physique parce que pas exclusivement musicale. La lourdeur du son, ressentie jusqu’aux tréfonds du bas-ventre, est insolente. Les cymbales résonnent en permanence et la wah-wah du bassiste explore des fréquences abyssales. Ne manque que cet apocalyptique son de guitare qui ronronne mieux encore que les deux cylindres en V d’une Harley. Les riffs groovent lentement, tournent tels des mantras. Ils sont sublimés par les paroles scandées de Lori qui, de reine, se fait prêtresse.
On quitte la salle hébétés et toujours autant sous le charme des prestations des acides Californiens.
Métro, boulot, rateau
Trois jours plus tard, un deuxième concert est prévu par les Stoned Gatherings au Glazart. Plus réjouissant encore que celui de mardi, le plateau de vendredi 19 juillet accueille la légende Pentagram, supportée par les prometteuses gloires nationales The Socks et Domadora.
Et c’est là que l’horaire de concert parisien prend tout le sens de son absurdité – surtout dans une ville où l’on commence traditionnellement le travail plus tard qu’ailleurs. Ici, une journée trop longue au bureau vous fait immanquablement rater les deux premières parties. Arrivés sur les lieux à 21h, les performances de Domadora ainsi que des Socks nous mettent un rateau. Pour les avoir déjà vus, on parie que The Socks ont délivré une performance (encore une fois) très convaincante de leur stoner rock. En laissant traîner une oreille, on entend quelques éloges sur leurs compositions, ainsi que sur leur son, “très propre” – si tant est que le son gras du stoner rock puisse être qualifié de “très propre”.
Maléfiques et éclatants
On plonge donc directement dans le vif du sujet avec l’entrée sur scène de Pentagram, où Bobby Liebling, sans faire de quartier, prend d’emblée la foule d’assaut. Le parrain du doom est survolté, déclamant avec son maquillage et de sa voix de feu ses textes diaboliques et mimant les gestes des démons dont il relate les faits.
Car c’est là toute la force du groupe : ce feeling théâtral et rugissant remet n’importe quel groupe de heavy rock à sa place et rappelle à tout le monde que eh, oh, sans l’album Relentless, la face du doom n’aurait sûrement jamais été la même. L’alter ego maléfique de Robert Plant fait alors un show incroyable, n’oubliant jamais ses musiciens, comme lorsqu’il est galvanisé par les soli de son guitariste, roulant des yeux et l’exhortant à en sortir toujours plus encore.
Par ailleurs, il faudrait être de mauvaise foi pour avoir quelque chose à reprocher au son de Pentagram. Là où celui d’Acid King était très uniforme – et c’est sa force -, celui de Pentagram est lourd, mais reste éclatant. La technique de power chords fréquemment employée par le bassiste tapisse la rythmique de toute sa chaleur solaire. Un terrain parfait pour accompagner les soli provocateurs du guitariste fraîchement débarqué Matt Goldborough.
Conteurs de Satan
Pentagram, évidemment, est chaudement accueilli. Acclamé d’emblée, applaudi à tout rompre entre les chansons, le groupe séduit l’audience entière. Bobby Liebling, visiblement ému, voit même le nom de son groupe scandé cinq ou six fois par un public inépuisable. Affable, il lui rend même ses applaudissements – et nous fait alors le coup du “you’re the best audience of this tour so far !”. Nous avons eu droit à une heure de show impeccable, piochant dans le formidable répertoire du groupe. “Forever My Queen”, “Relentless”, “Sign Of The Wolf”, “Review Your Choices”… Un plaisir de voir le groupe puiser dans son réservoir à tubes qui compte parmi les meilleurs riffs doom et proto-metal.
Pentagram parti, la salle entière hurle le nom maudit du groupe de Bobby Liebling… qui se fend enfin d’un rappel… cinq longues minutes plus tard. Les Américains daignent alors entonner deux chansons supplémentaires dont la géniale et mystérieuse “Be Forwarned”. La chanson brise notre stoïcisme de rigueur et nous oblige à entonner les paroles avec Bobby, comme le feraient les dévôts d’une messe noire de litanies prophétiques.
Mais Bobby Liebling n’est pas un prêtre. Il est bien trop dissipé pour cela. Ni même seulement un chanteur, c’est trop réducteur. Il est trop théâtral pour n’être que cela. En fait, le frontman de Pentagram est un conteur. Un conteur de légendes qui se terminent mal et qui évoquent tant les anges que les démons, les morts que les vivants. Les chansons se font odes et chroniques où la magie noire règne, maîtresse de notre monde. Le fuzz qui coule des amplis comme de la lave d’un volcan appelle les forces obscures. La batterie semble marteler le chambranle du portail qui relie notre misérable monde à celui du Très-Bas.
Les papas
Voyez-vous, Pentagram existerait depuis 1971. Confronté à cette antédiluvienne date pour un groupe de doom, c’est une prouesse de conserver une telle énergie et un tel savoir-faire sur scène. Évidemment, Black Sabbath n’a pas aussi bien vieilli.
À l’issue du concert, on ne peut que se questionner. Qu’est-ce qui a merdé ? À quel moment des raclures qu’on appelle musiciens ont-ils commencé à faire des Olympia et des Bercy complets alors que Pentagram doit se contenter d’une salle de petite capacité comme le Glazart ? Pentagram, et parmi eux surtout Bobby Liebling, va chercher n’importe quelle personne du public pour l’emporter dans sa sarabande infernale. Tout le monde. Du premier doomhead au pied de la scène jusqu’au stoner un peu embrumé planqué tout au fond de la salle. Tous les groupes ne savent pas faire ça. Encore moins ceux dont le chanteur a 59 ans.
Et à ce que j’en sais, les concerts dans les stades ne se terminent pas à 22h15.
Crédits photos : Patrick Baleydier
Affreux vilain metalhead incurable et rédac'chef |
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