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"Do you even Swans, bro ?"

Portrait de Andrey
"Do you even Swans, bro ?"

Lorsque mon ami Jérémie a écrit un article d'introduction au groupe Earth, un ami a demandé s'il était possible d'en écrire un sur Swans. Je l'ai tout de suite prévenu que ça risquait d'être un roman. "Oh non, pas un roman", m'a-t-il alors dit, "juste quelques explications". ET BAH NON HUGO, TANT PIS POUR TOI, CA SERA UN PUTAIN DE ROMAN. Sur un ton plus calme, je tiens à préciser que le but de cet article n'est pas d'imposer une façon d'écouter ou de découvrir un groupe (chose totalement insensée et impossible), mais plutôt de raconter mon expérience personnelle.

En 2010, alors que j'étais en plein dans la période de découverte des groupes cultes que j'aurais manqué, j'entends pour la première fois parler de Swans. Je n'y prête pas attention au début, puis finis par apprendre que si tout le monde en parle de plus en plus, c'est parce que le groupe vient de se reformer après un truc genre 10 ans d'absence, et qu'un nouvel album va sortir au cours de l'année. Super, me dis-je alors, une bonne occasion de s'y mettre. L'album sort, je l'écoute, et... meh, j'ai sérieusement du mal à voir ce que les gens y trouvent, ça me semble juste être du rock avec des touches de folk un poil trop expérimental et vraiment pas accrocheur. 4 ans plus tard, c'est mon groupe le plus écouté sur Last.fm (et de loin, quasiment deux fois plus que le deuxième), je les ai vus en live 4 fois, et pense directement à eux lorsque quelqu'un me demande mes groupes préférés. Mais que s'est-il passé pour qu'un tel changement ait lieu ?

Pour répondre à cette question, je me permets tout abord de faire un petit historique du groupe.

Swans a été formé en 1982 par Michael Gira et Jonathan Kane (on retiendra surtout le premier nom, car c'est le seul membre du groupe présent depuis le début), et s'est rapidement imposé, pour ne pas dire "a posé les couilles sur la table", avec l'album Filth. Le groupe évoluant en plein dans la vague no wave, on ne peut pas vraiment dire que le côté brut et expérimental a été un vrai choc pour le public, déjà plutôt rodé à toute sorte d'expérimentations soniques, mais l'album a quand même eu un poids suffisant pour marquer les esprits, et se retrouver dans les influences de groupes divers dans les décennies à venir (coucou Godflesh).

Le groupe s'est aussi rapidement fait connaitre pour des performances live violentes (source et re-source) et physiquement éprouvantes, le groupe jouant souvent à un volume dépassant toutes limites autorisées. Bref, un groupe qui transpire la haine envers ses auditeurs. Ces derniers s'accrochèrent cependant, sûrement dans un élan de masochisme, et le groupe s'est fondé une fanbase, consolidée par la sortie de Cop et Greed/Holy Money, albums de plus en plus acclamés par la critique.

Children of God, sorti en 1987, marque un tournant dans l'évolution du groupe, avec un grand travail sur les mélodies, alors que jusque là, la plupart des morceaux se résumaient à une série d'accords souvent dissonants, joués sur un rythme basique. De plus, la voix hurlée de Michael Gira y est souvent remplacée par celle de Jarboe, musicienne ayant rejoint le groupe quelques années auparavant. Cet album possède donc encore la puissance inhérente au début du groupe, mais y incorpore aussi des passages doux bien plus typiques de ses oeuvres récentes (comparez par exemple le morceau éponyme avec, par exemple, Raping A Slave...)

Trois ans plus tard sort The Burning World, qui marque l'entrée du groupe dans une période post-punk, et si le succès commercial et critique n'est pas vraiment au rendez-vous, cet album rend définitivement le groupe plus accessible au grand public (du moins aux oreilles de l'époque). Cette tendance est renforcée par les deux albums suivants, White Light From The Mouth of Infinity, et Love of Life. Je ne m'attarderai pas dessus, car même si les deux comportent d'excellents morceaux (exemple: Miracle of Love), personnellement je ne trouve pas qu'il s'agisse de chefs-d'oeuvres ni d'albums déterminants dans la carrière du groupe.

Je vous dispense aussi de tous les side-projects qui ont émergé dans cette période, sous peine de faire doubler de taille cet article. Sachez juste qu'ils existent et qu'un certain nombre d'entre eux sont vraiment top (exemple: World of Skin). Je me permets aussi de zapper les quelques EP, à une exception près: Love Will Tear Us Apart, sorti en 1987. Non pas que cette reprise de Joy Division soit remarquable en quelconque point si ce n'est ce clip so eighties, il s'agit juste pour moi d'appuyer la volonté du groupe de tendre vers le grand public. Pour l'anecdote, Michael Gira regrettera le choix de cette reprise (et ce clip) pendant à peu près le reste de sa carrière (exemple récent).

1995. Le monde se remet difficilement de la vague grunge, et Swans... en a rien à branler. Comme ça, ni une ni deux, ils sortent The Great Annihilator, qui constitue pour moi l'une des oeuvres majeures de l'histoire du groupe. On y retrouve toujours ce côté post-punk 80's, mais il se retrouve de plus en plus enveloppé dans une ambiance absolument unique, à la fois mélancolique et impersonnelle. Entre le nihilisme de Celebrity Lifestyle et la douceur amère et oppressante de Mother's Milk, c'est un album qui, écouté d'une traite, me transporte pendant une heure dans une dimension parallèle, où le blanc et le noir ne font qu'un. Mention spéciale à Killing For Company, sûrement l'un de mes morceaux préférés du groupe aujourd'hui.

Un an plus tard sort Soundtracks For The Blind. J'ai sérieusement fait une pause de quelques minutes dans la rédaction de cet article pour réfléchir à comment décrire cet album, et je n'ai rien trouvé de mieux que "un putain de chef-d'oeuvre". Il s'agit ici d'un album singulier, quasi-exclusivement composé à partir d'enregistrements divers du groupe qui trainaient chez Gira. On y retrouve donc des riffs enregistrés pendant les années 80 qui côtoient des mélodies des années 90 et des enregistrements divers récupérés ici et là, notamment par Jarboe, dont le père aurait été policier (source). Le résultat peut être par moments plus terrifiant que les meilleurs films d'horreur (exemples: I Was A Prisoner In Your Skull et ses balbutiements creepy suivis d'un speech étrangement dérangeant, How They Suffer et ce qui semble être des interviews de gens malades, ou encore The Beautiful Days et sa chanson d'enfant sur un fond apocalyptique suivie d'un speech sur la masturbation). Cependant, ce côté dérangeant n'est clairement pas le seul aspect de cet album, puisque des morceaux tels que The Sound ou Animus comportent des passages qu'on pourrait qualifier comme la base du "post-rock cinématographique" qui explosera dans les années à venir (coucou GY!BE). Si je peux dire que The Great Annihilator est un album qui me transporte dans une autre dimension, Soundtracks For The Blind est un album qui me vide entièrement de toute pensée, et est à la fois l'un des albums les plus beaux et les plus horribles qu'il ne m'ait jamais été donné d'écouter. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Swans est souvent cité dans les tops des groupes à la musique la plus "creepy". Pour la petite anecdote, après l'enregistrement de Soundtracks, Michael Gira serait allé jeter toutes les bandes originales utilisées dans l'album à la décharge la plus proche (source).

Cependant, l'évolution récente du groupe ne fait pas que des émules. Si les critiques sont positives pour Soundtracks For The Blind (moins pour The Great Annihilator), de plus en plus nombreux sont ceux, au sein du public, qui regrettent le virage du groupe vers ce côté dramatique et lyrique, et qui lui préfèrent le côté plus brut et rentre-dedans des premiers opus. Suite à ces plaintes, de plus en plus nombreuses, Michael Gira décide de dissoudre Swans afin de se consacrer à son side-project folk, Angels Of Light. En 1998, sort toutefois un album live posthume, Swans Are Dead.

Si j'ai volontairement omis de parler des autres albums live (aux doux titres tels que Public Castration Is A Good Idea ou encore Kill The Child), c'est parce que pour la plupart, ils ne sont pas très différents des albums studio du groupe, et sont donc pour moi plus destinés aux fans hardcore du groupe qui n'en ont jamais assez. Swans Are Dead n'est pas comme ça. Si l'un des deux disques (le blanc) reste en effet assez dispensable pour un non-fan, le disque noir comporte deux perles absolues : le morceau inédit Feel Happiness, et surtout la sublime, magnifique, majestueuse, incroyable version alternative de Blood Promise (morceau initialement tiré de The Great Annihilator). Si je ne devais conseiller qu'un morceau pour s'initier au groupe, ça serait celui-ci.

Après cette introduction incroyablement longue, flash-forward en 2010. Je viens d'écouter My Father Will Guide Me Up A Rope In The Sky, mais ça m'a un peu touché une sans faire remuer l'autre. Cependant, je persévère et mets sur mon iPod Soundtracks For The Blind ainsi que The Great Annihilator. Mon premier mini-declic vient quelques semaines plus tard, en pleine écoute de Helpless Child, que je trouve alors suffisamment sublime pour l'apprendre à la note près, sur tous les instruments que je connais ne serait-ce qu'un minimum. Mais le reste ne me parle toujours pas des masses.

Quelque temps plus tard, un évènement pas vraiment heureux fait irruption dans ma vie, me plongeant dans la déprime (et un peu l'alcool aussi, faut l'avouer). C'est là que je découvre que la musique de Swans a sur moi un effet anesthésiant, me plongeant dans une torpeur embrumée (du moins c'est comme ça que je m'en souviens), et me vidant totalement la tête pendant la durée d'un album. Je passe donc des journées entières à me passer en boucle Soundtracks, The Great Annihilator, et Children of God. Lorsque je m'en lasse un peu, je passe sur les autres, pour me rendre compte que même l'album qui ne me faisait rien il y a seulement quelques mois est en fait génial, grâce à des morceaux tels que No Words/No Thoughts ou encore la simple mais efficace You Fucking People Make Me Sick.

La suite, vous la connaissez peut-être si vous lisez Pelecanus depuis longtemps. Je vais voir Swans à Paris, puis Michael Gira en solo, puis sort The Seer, puis je retourne les voir à Paris, puis encore une fois, puis je vais les voir au Hellfest, puis enfin sort To Be Kind, que je trouve encore plus dur d'accès que le reste, mais qui reste néanmoins pour moi l'un des grands albums de 2014. Le fait est : je suis conquis, Swans est décidément l'un des meilleurs groupes au monde, et curieusement, je suis toujours absolument incapable de définir ce qui me fait dire ça.

Si je devais vraiment y trouver une explication, je dirais probablement que l'attrait principal de ce groupe est la présence de cette atmosphère absolument unique, à la fois mystique et distante, terrifiante et fascinante. Que ça soit à travers leurs débuts bruitistes, les complaintes d'un autre monde de Soundtracks, ou leurs morceaux plus récents (comme l'épique Avatar), toute l'oeuvre de Swans me donne l'impression de basculer dans une réalité alternative, logée quelque part au fond du cerveau dérangé de Michael Gira.

Bref, comme vous l'avez sûrement constaté, cet article est au final bien plus une rétrospective personnelle des oeuvres du groupe qu'un "guide d'initiation", parce que je suis persuadé que, comme pour la plupart des groupes, ce n'est qu'une question d'être dans l'humeur pour apprécier au moins une fois. J'espère au moins vous avoir donné l'envie de vous essayer à ce groupe, si jamais vous ne faites pas encore partie de la secte, ou, à défaut, de vous avoir filé quelques morceaux sympa à écouter.

Je tiens cependant à évoquer un dernier point : si vous êtes allés voir Swans en live et n'avez pas aimé, ne tirez pas tout de suite un trait sur le groupe. En effet, une bonne partie du set est improvisée (par ailleurs, le groupe ne joue quasiment que des morceaux inédits, pas encore enregistrés), l'expérience peut donc être radicalement différente d'une fois à l'autre. Ainsi, je n'ai pas trop aimé leur show à la Villette Sonique, mais ai absolument adoré celui au Hellfest, même pas deux mois plus tard. Et une dernière chose : surtout, n'oubliez pas vos bouchons.

"Do you even Swans, bro ?"
J'aime les ours, le whisky et les internets.

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