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Meshuggah + High on Fire 31/10/2016 @ Métropolis, Montréal

Portrait de Sébastien
Meshuggah + High on Fire 31/10/2016 @ Métropolis, Montréal

La journée dans le bruit et la poussière de l'atelier a été dure.  J'ai peu de temps. Je prends ma douche et m'habille en vitesse avant de sauter dans l'autobus qui me mènera à Montréal. J'ai rendez-vous dans un pub, question de me mettre dans l'ambiance. Je sors de la station de métro. Il fait plus froid que je croyais. Le vent me fouette, je suis perdu. Je vais à gauche ou à droite? Où est la rue Sherbrooke? 

J'aperçois le boulevard de Maisonneuve. Je reprends ma place dans l'espace. Pendant que je franchis la distance qui me sépare du pub, je me souviens d'une des raisons qui ont fait que j'ai cessé de jouer de la musique, cette angoisse de l'affect, cette incapacité à décrire l'attention esthétique qui me secoue et qui fait que j'éprouve souvent une grande difficulté à parler de musique, cet espace de réel pur, ce saisissement, sans l'aborder par des voies détournées ou des vents contraires. Et je fais le compte-rendu du spectacle de High on Fire et de Meshuggah... Belle contradiction...

 

« Le heavy metal,
c’est du bruit, un point c’est tout.
Ce n’est pas de la musique,
mais de la distorsion pure
»
- Lester Bang

 

Nous quittons le pub. C'est une belle soirée fraîche et les lumières sont crues sur la rue Ste-Catherine où se voisinent les buildings tout néon et les baraques abandonnées. Je parle encore du temps qu'il fait. C'est immanquable, fonction phatique, c'est un faux signifié, un sujet interclasses, une fonction de lien, la délicatesse et l'insignifiance du réel. 

Nous arrivons au Métropolis et j'ai toujours ces trois questions en tête:

Pourquoi la musique?

Pourquoi le métal?

Qu'est-ce que je vais pouvoir en dire?

Le métal n'est plus ce qu'il était. C'est normal et c'est tant mieux.

Le métal n'est plus ce qu'il était. C'est normal et c'est tant mieux. Nous sommes loin des passions soulevées par la droite évangélique de l'ère Reagan qui avait fait parader devant les tribunaux, entre deux séances d'écoute de disques joués à l'envers afin d'y dénicher quelque message subliminal à la gloire de Satan ou incitant à la dépravation des bonnes mœurs, les membres de Judas Priest, dignes représentants de la caste des laissés-pour-compte, ces exclus aux cheveux longs, bardés de cuir et de chaînes. Sans oublier la tête de Dee Snider aux audiences du Sénat qui avait ridiculisé Tipper Gore avec sa croisade et ses autocollants «Parental Advisory». Le métal ne dérange plus. Chaque individu trouve sa niche, construit son petit réseau d'intérêts et d'affects dans l'indifférence des choix de l'Autre. Tant mieux ou tant pis. C'est selon. Le métal a évolué, il s'est complexifié. Il s'est doté de son propre système de conventions tout en s'affranchissant du psychédélisme des années 70 avec la New Wave of British Heavy Metal, vague qui déferla au début des années 80 avec l'émergence du trash et du death métal et où la dextérité et la rythmique deviennent des éléments centraux de l'esthétique.

La salle est remplie et tranquille lorsque High on Fire monte sur scène. C'est l'Halloween. Je m'attendais à voir plus de gens costumés. J'aime me trouver dans ces foules. Il y a un côté répétitif et mythologique aux concerts de métal. On y trouve ce qu'on y est venu chercher, il y a quelque chose de sécurisant dans ce rituel. « Le monde du métal est aussi producteur de sociabilité, de choses et de savoirs culturels, et surtout producteur du sentiment d’existence » (Gérôme Guibert et Fabien Hein).

Avec le temps, plusieurs autres groupes disparaissent dans l'indifférence. Matt Pike et sa bande subsistent.

J'ai toujours aimé High on Fire. J'en écoute encore souvent. Avec le temps, plusieurs autres groupes disparaissent dans l'indifférence. Matt Pike et sa bande subsistent. Je les ai vus plusieurs fois en spectacle et encore une fois, en première partie de Meshuggah, la même chose s'est produite. Ça ne fonctionne pas. Le courant ne passe pas. High on Fire est un des rares groupes que j'adore écouter sur disque, mais que je trouve ennuyeux en spectacle. Pourtant, ça sonne bien, mur de son, prouesses guitaristiques et tout, le bedonnant Pike qui n'a toujours pas pris la décision de porter un chandail sur scène. La foule semble peu coopérative. Ils sont ici pour Meshuggah, ils attendent poliment que le trio ait terminé son set. 

Ils ouvrent avec Clockworks. On écoute et regarde Meshuggah en spectacle et nous avons devant nous une machine extrêmement bien rodée. On décrit souvent le métal comme une forme de "bruit organisé". Ici, ce n'est pas du bruit et c'est une grammaire musicale aboutie, un corps-machine, un dispositif qui produit du rythme, des tonalités sans repos. Le bruit dans la théorie de l'information est ce qui nuit à la transmission du message. Meshuggah, ce n'est pas du bruit. Le message passe très bien. La nature particulièrement agressive du death metal est contrebalancée par la rythmique complexe que le spectacle de lumières rend tout simplement ensorcelante.

Le bruit dans la théorie de l'information est ce qui nuit à la transmission du message. Meshuggah, ce n'est pas du bruit. Le message passe très bien.

Ils termineront avec Bleed. Nous n'aurons pas Demiurge en rappel. Ils ne peuvent plus jouer, la voix de Jens est détruite, trop de métal conjugué à un virus. Le chanteur met sa main en forme de pistolet contre sa tempe, il tire. Tant pis. « Ce soir, je crois que vous avez tout de même eu un bon échantillon de ce qu'on fait » dit le batteur. C'est un peu ça.

Le spectacle terminé, les corps en sueur s'alignent sagement vers la sortie et les rues froides, surveillés par les doormen tout en muscle qui rameutent la procession des bêtes aux regards vitreux. Je me faufile parmi les spectateurs qui reprennent leur souffle devant les portes du Metropolis en tâchant d'éviter les distributeurs de tracts publicitaires. J'enfonce les poings dans mes poches et j'oblique jusqu’à la station de métro et sa chaleur nauséabonde. Je vais revenir à la maison. J'écrirai. Je ne serai pas le seul, d'autres le feront. Des photographies ont été prises, des vidéos se retrouveront bientôt sur Youtube. Je m'ouvrirai au commentaire, à l'hypertrophie du détail. Que dire? Comment décrire cette expérience sensible, cette qualité de l'éphémère, cette éthique de la disparition? « J'ai découvert que ceux qui n'insistent que très peu de temps sur leurs émotions savent bien mieux que les autres ce qu'est une émotion », disait John Cage. J'insisterai, comme toujours, dans ma quête de connaître et de nommer, de me tenir toujours un peu loin du « rien » du dire dans ce souci toujours phatique qui me fait parler trop souvent du temps qu'il fait, d'archiver et de partager un réel qui se dissipe à grande vitesse. 

Écrivain/ébéniste.

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