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Bad Brains - Into the Future (2012)

Portrait de DMDFC
Bad Brains - Into the Future (2012)

Le groupe légendaire du hardcore canal historique revient avec un nouvel album. Au vu de l’histoire complexe et chaotique de la formation, un retour aussi rapide et vif était presque inespéré, et ne suscitait que bien peu d’attente.

L’histoire des Bad Brains s’apparente presque à un long récit chaotique, imprécis, mais reflète et engage tellement de gens que son évolution reste fascinante. Groupe singulier de par sa maîtrise technique – l’anecdote récurrente c’est que les Bad Brains, issus du jazz fusion et obsédés par le punk et le reggae était le seul groupe hardcore capable de « jouer » de la musique – Bad Brains est aussi le groupe mené par un chanteur lunatique, possédé, nerveux et instable, faisant aussi bien les jours heureux du groupe (cf. les lives absolument spectaculaires des années 80) que ses embarrassantes démonstrations de médiocrité : le groupe est devenu instrumental au début du siècle à force de chercher son chanteur, pourtant souvent remplacé ; il est aussi devenu une sorte de blague scénique tant les prestations de H.R. aujourd’hui tiennent plus de la blague pour 3ème âge que de la musique.

En 2005 pourtant le groupe semblait capable de se ressaisir en s’engageant dans une séance studio avec leur fan hardcore le plus fidèle, Yauch des Beastie Boys qui s’efforce de réunir le groupe, le motive à revenir à l’énergie de leurs débuts, les enregistre et invite quelques prestigieux types en renfort  comme Jamie Saft, manchot de l’écurie Tzadik venu assurer les claviers. Mission pas totalement impossible : les Beastie Boys, en plus d’être des fans du groupe ont aussi largement contribué à l’histoire du groupe (et vice-versa), les emmenant en tournée avec eux au milieu des années 90, sans parler du projet Brooklyn en 87, voyant Jenifer (le bassiste) et Yauch s’associer pour quelques démos restées confidentielles. Yauch - qui semble en pleine re-découverte punk avec ses deux autres compatriotes - fait accoucher le groupe d’un album de Bad Brains pur, line up d’origine oblige, avec un son colossal, une énergie presque surprenante mais quelque peu sabordé par  la discutable prestation de H.R.. L’album ne séduit que moyennement.

Le groupe interdit à Washington revient donc fin 2012 avec un album qui n’intéresse pas grand monde si ce n’est les fans hardcore, qui ne sont plus très nombreux même si le groupe a gagné en succès d’estime avec le temps. Pourtant, très vite, les bons échos se font entendre ici et là. Le nouveau Bad Brains n’est pas un foirage totale et récolte plutôt de bons papiers dans l’ensemble.

Pourtant, la première écoute révèle un disque honnête mais pas révolutionnaire. La production est ici directe, sans fioriture. Yauch était un joueur, aimait rendre les productions complexes, à la limite de l’expérimentale. Ici, fini l’echoplex à foison sur les voix, et autres petites idées soniques venus alourdir le mix. Le grand perdant du nouvel album c’est Darryl Jenifer. Le tenancier de la 4 cordes des Bad Brains ne se fait magistralement entendre que sur les morceaux dub, profonds, lourds, mais reste d’une discrétion surprenante quand les distortions sont conviées. Pas de lignes de basse baveuses et ultra épaisses. Jenifer redevient un bassiste hardcore pur, où les cordes tendues s’imposent sur les breaks et les montées, sans s’imposer ni guider les morceaux comme ce fut le cas sur Build a Nation, véritable locomotive de chaque hymne punk. H.R. est d’une sobriété surprenante, lui qui avait rendu le précédent si étrange. Il pose ses lignes, ne surnage pas sur la production, fait un boulot honnête, retenu.

Le point le plus surprenant, c’est peut-être le glissement stylistique que le groupe semble prendre. Ici la fougue hardcore est relativement mise au second plan, les salves purement teigneuses sont soutenues par des climats autres, laissant place à un rock à l’énergie plus proche du metal voire même de la fusion : quand les guitares de Dr Know sont rageuses, elles sont parfois accompagnées d’une rythmique plus imposante et groove, moins d-beat. Pop Corn, second morceau de l’album pourrait sonner comme une face B de Deftones à leurs débuts – grosse influence du groupe de Sacto, la boucle est bouclée ? Sur FUN, les guitares de Dr Know se dressent en un riff épique, ondulant, que le rythme soutient glorieusement. Suck Sess mélange punk pur et break, comme un goût de Suicidal. Sur Rub A Dub Love, on est en terrain totalement hybride. Mais sur Into The Future, We Belong Together, entre autres, on est en pleine hystérie hardcore, les années en plus dans les jambes pour les 4, et toujours cette voix, hors du temps, hors des modes.

La patte Bad Brains, c’est bien sûr l’alternance entre un hardcore technique, précis, et un reggae plus souple, plus massif. Une partie de l’album est donc largement consacrée au dub, à considérer aussi bien comme des pauses nécessaires que comme des explorations logiques de la vision musicale du groupe. Il ne s’agit pas ici d’interludes ou de distractions, mais d’une part réelle de l’œuvre Bad Brains. L’album se termine sur MCA Dub, hommage à leur défunt producteur, qui est une reprise du morceau de clôture de Build A Nation. Les quatre y déploient un morceau lourd et magistral, où les échos de voix répondent à des cors lointains. Juste avant le groupe s‘égare dans une sorte de reggae de station service année 80 plutôt mauvais goût, avec des guitares tout en chorus rappelant le pire des dérives du pourtant excellent LKJ (era « Tings an’ times ») sur Make a Joyful Noise.

Même si généralement j’apprécie assez le travail de Shepard Fairey, j’ai tendance à me méfier d’un disque qui se permettrait d’utiliser son travail en guise de visuel. Quelqu’un se souvient du calamiteux retour des Smashing Pumpkins ? Ici, le visuel très reggae surprend. Pourtant c’est un disque plutôt honorable, sans être inoubliable - puisque incapable de rivaliser avec la légendaire discographie originelle -  qui se cache derrière la pochette, élégamment gravé sur un micro sillon transparent moucheté de tâches jaunes, vertes et rouges… magnifique( ?).

Bad Brains - Into the Future (2012)
Bad Brains
Into the Future
Into The Future
Popcorn
We Belong Together
Youth Of Today
Rub A Dub Love
Yes I
Suck Sess
Jah Love
Earnest Love
Come Down
Fun
Make A Joyful Noise
Mca Dub
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