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Run the Jewels - Run the Jewels 2 (2014)
Depuis le début de sa carrière, le producteur et rappeur El-P (diminutif de El-Producto) a produit ses disques les plus mémorables et populaires en collaboration avec d’autres. Que ce soit dans Company Flow avec Funcrusher plus en 1997, derrière les manettes pour The Cold Vein de Cannibal Ox en 2001 et dernièrement pour R.A.P. music de Killer Mike en 2012, son talent s’est toujours illustré pour le meilleur quand il était au service d’autre personne qu’en solo.
De son côté, Killer Mike, le Ice Cube du Sud des Etats-Unis, s’est aussi fait connaitre grâce à un duo quand il posa sur Snappin’ et trappin’ d’Outkast sur le multi millionnaire Stankonia. De disque solo en featuring il a poursuivi sa carrière sans exploser jusqu’à sa rencontre avec El-P pour son sixième album. La rencontre orchestrée par le patron de la chaine Adult Swim a permis à ce duo que rien ne prédestinait à une carrière commune de se découvrir des atomes crochus. Difficile d’imaginer que l’amitié qui s’illustre dans chacune des interviews du groupe ne remonte qu’à quelques années et pas au cours d’école.
Cette complicité providentielle a permis à Run the Jewels de devenir un véritable groupe et pas seulement un projet commun. En cela, RTJ2, deuxième volet de la collaboration après un premier album éponyme sorti l’année dernière, est dans la continuité de la production des deux artistes.
Bien que Cancer 4 Cure, dernier album solo en date d’El-P montrait déjà des tendances plus fortes en basse sur des bangers comme The full retard ou Bombs over Brooklyn et un retour au rap après le très rock I’ll sleep when I’m dead, RTJ2 confirme la tendance. Aux côtés de Killer Mike, El-P se trouve des affinités avec l’héritage d’Eric B and Rakim et EPMD. Rien de surprenant finalement quand on pense qu’aux débuts du rap le rappeur et le DJ faisaient toujours équipe. Rakim n’est rien sans Eric B., Dj Polo a donné à Kool G Rap ses premiers hits, Jam Master Jay a accompagné Run et DMC durant toute leur carrière et le Fresh Prince Will Smith ne sortait jamais sans son meilleur pote Dj Jazzy Jeff. Le développement des techniques de production ont écarté les Dj et les producteurs des rappeurs mais Run the Jewels montre bien les bénéfices d’une collaboration intime entre rappeur et producteur à coups de beats et d’instrus taillées pour le flow de chaque rappeur.
Moins politiques en apparence que dans leurs carrières solos, les deux rappeurs n’oublient pas de balancer des attaques contre les sujets qu’ils abhorrent comme les manifestations abusives des gouvernements (« We killin’ em for freedom cause they tortured us for boredom and even if some good ones die, fuck it, the Lord’ll sort em » de Killer Mike dans Close your eyes and count to fuck) ou de faire preuve de parité quand ils parlent de sexe dans Love again (Akinyele back) avec un featuring de Three Six Mafia sur une instrumentale bien influencée par 2 Live Crew monté sur une basse ronflante.
RTJ2 confirme tout le potentiel du projet après un excellent premier album efficace mais avec un certain manque de variété parfaitement corrigé sur ce deuxième disque. Alors que le premier titre, Jeopardy, rappelle le travail de Blockheads sur Labor days d’Aesop Rock (album sorti sur le label culte d’El-P, Definitive Jux) on peut aussi entendre l’influence de Big Freedia sur Close your eyes and count to fuck ainsi que des mélanges rock comme sait si bien les faire El-P sur Crown avec son solo de guitare plein de wah-wah.
A la fois taillé pour le live et prêt à être écouter inlassablement chez soi, RTJ2 est sans l’ombre d’un doute l’un des meilleurs albums de rap de l’année, sinon le meilleur. Certes, la concurrence n’a pas été aussi forte que l’année dernière pour obtenir ce titre, mais le duo offre ici un album extrêmement pertinent à la fois tourné vers le futur et le passé d’une culture dont ils se sont chacun nourris des deux côtés des Etats-Unis.
Le futur leur appartient.
25/02/82, 1m80, à peine 60 kilos et élevé pour parcourir le macadam parisien de refuge en refuge jusqu'à son déménagement à Londres. Chroniqueur rock de 2004 à 2010 sur Eklektik-rock puis sur la fille du rock depuis 2010, bibliothécaire 2.0 depuis 2008, passionné de musique (metal, jazz, rap, electro …) et de comics. Ecrit aussi en anglais sur Delay and Distorsion (Chronique musicale). |
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