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Sleep + Big Brave 24/01/2016 @ Théâtre Berri, Montréal
Il y a quelques années, un ami qui n'avait pas une grande compréhension de l'univers du métal m'a questionné au sujet du style musical que j'écoutais alors avec assiduité, le Stoner rock. Il croyait que le nom de ce style musclé se rapportait à son côté primitif, le stoner rappelant l'«âge de pierre». Je songeai immédiatement au film La guerre du feu, je nous resservis du vin et lui annonçai que, malheureusement, il était bien loin de la véritable définition du genre qui a plus à voir avec la consommation d'une certaine épice qu'avec l'Homme de Néandertal.
Toujours est-il qu'étant un adepte du genre musical et de tout ce qui gravite autour de manière plus ou moins satellitaire (doom, sludge, etc.), la nouvelle de la reformation du légendaire groupe Sleep à l'été 2010 ans m'avait rempli de joie. Rendez-vous fin janvier 2016, donc, au théâtre Berri.
D'entrée de jeu, c'est au groupe montréalais Big Brave qu'incombe la tâche de réchauffer la place déjà remplie. Je ne les avais vus/entendus que sur le web, dans la vidéo de leur prestation de l'année dernière pendant le festival Pop Montréal où ils sont enfermés dans une cage de verre. Le trio sans basse (deux guitares et une batterie) parvient à me séduire malgré une sono déficiente qui met la voix beaucoup trop au premier plan et qui enterre l'ambiance musicale qu'ils tentent de mettre en place. Ça ne s'arrange pas lorsque le lecteur mp3 du technicien du son se met à jouer un death metal très mal venu qui ne déconcerte les musiciens. Le contraire nous aurait surpris. Néanmoins, naviguant habilement dans les eaux d'un post-rock musclé, les musiciens font preuve d'une belle énergie et d'une belle connivence (le jeu du batteur est saisissant). Leurs pièces mettent en jeu des structures lâches, ouvertes, dont la narration ne mène pas au «récit» musical auquel on est en droit de s'attendre d'un groupe de rock. Les conclusions semblent arriver lorsqu'on s'y attend le moins, les pièces se terminent sur ce qui pourrait être des commencements, des pauses insèrent des fins possibles avant de continuer et de nous balancer de nouveau cette sauce sonore en plein visage. C'est particulièrement réussi. Leur musique est envoûtante, elle crée des ambiances par la répétition de motifs, ouvre à une expérience d'affects qui, pour qui veut bien s'y adonner, nous fait entrer à l'intérieur du son, dans l'espace qu'il articule et matérialise le temps de la performance. Je me promets de les revoir dans un endroit plus adapté et avec une sono moins approximative...
Depuis l'épisode d'Electric Wizard, je reste toujours un tantinet sceptique face aux groupes cultes, surtout lorsqu'ils se reforment. C'est donc avec une légère appréhension que j'attends Sleep pendant la trop longue pause qui me permet tout de même d'admirer le mur d'amplis de basse d'Al Cisneros qui oblique jusqu'à l'arrière-scène. Au test de son, je suis soufflé... Je fais de la musique depuis près de trente-cinq ans et il s'agit d'un des sons de basse les plus percutants qu'il m'ait été donné d'entendre. La suite des choses ne me décevra pas. Avec Sleep, on tombe dans un autre registre, c'est lourd et sale, avec un côté couillu qui cadre parfaitement avec le registre du genre. La balance du son est plus précise que pendant Big Brave sans être complètement à point. C'est lors de la troisième pièce, lorsqu'ils entament Dopesmoker, que tous les éléments du casse-tête se mettent en place. Nous entrons alors dans un long continuum, dans le déroulement quasiment sans fin d'un thème avec variations, d'une présence que la guitare et la synergie entre la batterie et la basse actualisent avec la férocité d'un assaut sonique.
Le critique littéraire et sémiologue français Roland Barthes soulignait comment il est difficile de parler véritablement des choses que nous aimons: «que dire de ce qu'on aime, sinon: je l'aime, et le répéter sans fin?» Il résume mon expérience du spectacle et la musique de Sleep, un stoner rock lourd et répétitif, incantatoire, qui m'a poussé plusieurs fois à fermer les yeux et à me laisser envahir par la puissance des ondes et des vibrations.
Crédits photos : Baktelraalis
Écrivain/ébéniste. |
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