Vous êtes ici

MUTEK 2013 : soirées du 30, 31 mai et 02 juin 2013

Portrait de William
MUTEK 2013 : soirées du 30, 31 mai et 02 juin 2013

Après une édition du tonnerre l'an dernier avec la présence de Brian Lustmord, Tim Hecker, Stephen O'Malley et Nicolas Jaar, le MUTEK revenait en grand cet été avec une autre programmation éclatante. N'ayant pas les moyens de me permettre un laisser passer complet pour le festival, j'ai dû me limiter à seulement deux événements. Le talentueux pianiste allemand Nils Frahm et la convoitée Nocturne 3 (Jon Hopkins, Emptyset, Ryoichi Kurokawa et Robert Hood) furent mes sélections. Alors que quelques milliers de curieux d'un peu partout à travers le globe venaient faire le plein d'électo, l'ambiance du centre-ville prenait une tout autre allure. La proximité et la qualité des salles ajoutaient beaucoup à l'expérience particulière que nous offre le MUTEK. Encore une fois pour cette 14e édition, le succès était totalement au rendez-vous.

30/05/2013 - A/VISIONS 2 : Nils Frahm + Herman Kolgen @ Monument-National

Ce que j'adore avec un festival comme celui-ci, c'est la diversité et l'imprévisibilité de sa programmation. Pour cette première sortie du week-end, nous avions rendez-vous avec un jeune virtuose qui s'éloigne des sentiers de l'électronique. La resplendissante salle Ludger-Duvernay du Monument-National accueillait le pianiste allemand Nils Frahm. Mes attentes étaient orientées vers un concert tranquille et introspectif, je croyais pouvoir fermer les yeux et voyager à l'intérieur de mon cerveau. La réalité fut complètement différente, l’ingéniosité et l'énergie de ce jeune homme de trente ans ont de quoi vous marquer à tout jamais.

Armé d'un piano droit, d'un piano à queue, d'un piano électrique, d'un synthétiseur, d'un séquenceur et d'un ordinateur, Nils nous réservait une surprise sonore digne des plus grands musiciens. Il galopait d'un instrument à l'autre, jouant parfois sur deux pianos simultanément, les rythmiques électroniques puissantes étonnaient par leurs lourdeurs. Je ne m'attendais pas à avoir une telle force de frappe lors d'un concert comme celui-ci, les compositions étaient pour la plupart rapides et frénétiques. Malgré la fatigue évidente du musicien, qui était arrivé la veille de Berlin, la douceur de son doigté impressionnait. Quelques erreurs se glissaient dans ses compositions, mais la complexité et la splendeur de ses harmonies n'en étaient pas affectées. Nous assistions à un moment de pure magie, presque surnaturel. L'obscurité et le silence régnaient dans la salle, l'attention était uniquement portée sur le pianiste. Cette écoute parfaite n'avait d'égal que la réaction du public lorsqu'il terminait ses morceaux. Il s'agissait de la foule la plus réceptive et chaleureuse dans laquelle j'ai eu la chance de me retrouver. Cette petite heure et demie en compagnie de Nils Frahm fut l'une de mes plus belles expériences de concert à vie, je vous souhaite la même un de ces jours.

Aussitôt la première partie terminée, Herman Kolgen et sa troupe se lançaient dans un chaos sonore des plus intéressant. Le rideau se levait derrière les pianos pour laisser apparaitre de nombreux instruments, tous plus étranges les uns que les autres. Une demi douzaine de musiciens avaient la tâche de reproduire la trame sonore d'un train qui déraille, cette reconstitution visuelle et sonore s'intitulait Train Fragments. La projection qui surplombait les musiciens était impressionnante, la noirceur et la froideur des images étaient envoûtantes. Le visuel nous guidait doucement vers un dérapage total, les fracas de cymbales s'ajoutaient aux martèlements des tambours et aux vrombissements des gongs. La vivacité de Train Fragments rappelait les explorations sonores de Swans, la comparaison vous permettra de comprendre l'ampleur de l'emprise que les musiciens avaient sur le public montréalais. Ce moment musical intense ne dura qu'une vingtaine de minutes, et heureusement, nos oreilles ont survécu contrairement aux passagers de ce lugubre train qui fait désormais partie du passé.
 

31/05/2013 - NOCTURNE 3 :  Ryoichi Kurokawa, Emptyset, Jon Hopkins, Robert Hood @ Métropolis & SAT

La partie était remise dès le lendemain pour la Nocturne 3, cette fois nous avions un tête-à-tête avec de l'électro très agressif et percutant. Avant de nous diriger au Métropolis, nous sommes allés rendre une petite visite à Vlooper qui ouvrait la soirée à la Société des Arts Technologiques. Après une vingtaine de minutes peu convaincantes offrant des mixes plutôt banals de musique électronique avec un fort penchant hip-hop, il était déjà temps pour nous de dériver vers la salle maîtresse pour capter les insanités sonores de Ryoichi Kurokawa. Cet artiste audiovisuel originaire du Japon ne fait pas dans la dentelle, sa musique est percutante et cérébrale. Deux écrans gigantesques projetaient de somptueuses images qui s'alliaient parfaitement avec ses compositions. La puissance des basses était anormale, les murs se décapaient de leur peinture tellement les vibrations étaient percutantes. Les spectateurs étaient bouche bée devant une telle maîtrise, Kurokawa nous tenait littéralement par les tripes. L'imprévisibilité était la plus grande qualité de son art, chaque seconde à venir proposait un mystère irrésolu. Il s'agit de ma plus belle surprise du festival, cette Nocturne 3 ne pouvait pas mieux débuter.



Après seulement quelques minutes à prendre l'air sur les abords du Métropolis, les Britanniques de Emptyset étaient déjà sur scène et la fureur électronique recommençait de plus belle. Le décor d'arrière-plan s'était muté en d'impressionnantes formes pyramidales où les lumières et les projections jaillissaient de tous bords tous côtés. Le duo balançait avec vigueur ses compositions, encore une fois la salle tremblait sous la pesanteur des rythmes mécaniques et saccadés. La sensation que provoquait cette musique sur mon corps était encore plus agréable que je ne l'avais imaginé, la réputation de lourdeur de Emptyset n'est plus à faire, mais la ressentir par soi-même est une expérience encore plus agréable. La salle se remplissait de plus en plus, le parterre s'activait peu à peu et l'alcool coulait à flot dans nos veines, c'est ce que j'appelle une soirée bien enclenchée.



Pour plusieurs, le clou du spectacle s'apprêtait à fouler les planches du Métropolis. Le sensationnel Jon Hopkins avait pour mission de nous transporter dans un univers parallèle avec sa foudroyante musique techno. Sa façon de mixer était très rafraîchissante, sa vision musicale transcende les standards de la musique électronique. Sans être complètement renversante, la musique de Hopkins vous frappe droit au coeur avec une émotivité et une subtilité admirables. De toute la soirée, c'était le moment le plus réjouissant, la communion entre l'artiste et la foule était à son paroxysme. Les gens dansaient et prenaient un immense plaisir à ressentir les vagues sonores qui caressaient leurs peaux. C'était ce genre de concert où le temps s'arrête et où vous trouvez un réel sens à votre vie, vous ne pensez plus au lendemain matin, ni aux tracas quotidiens. Il n'y avait rien à redire sur cette performance à l'exception de sa trop courte durée, même Jon ne semblait pas vouloir quitter la scène lorsque le personnel du festival lui ont fait signe que c'était la fin. Nous avons eu affaire avec un très grand artiste, songez à prendre son nouvel album Immunity, vous ne le regretterez pas. Le MUTEK a réussi à créer une extase musicale digne des soirées d'électro les plus relevées. Je lève mon chapeau à ce fantastique festival, on s'y revoit l'an prochain assurément.

William Paulhus


 


02/06/2013 - A/VISION 5 : Pantha du Prince & The Bell Laboratory + Nils Frahm @ Maison Symphonique

Avec cet événement, les programmateurs ont fait fort, car c’est dans la superbe Maison Symphonique de Montréal que la performance s’est tenue. Oui un festival de musique électronique et d’art numérique dans l’antre de la musique symphonique et classique. La musique électronique allait alors rencontrer le classique, et le jazz allait épouser la house. Il fallait oser, et seul le MUTEK pouvait se le permettre une telle audace…

Ce n’est pas Nils Frahm qui était programmé initialement pour ouvrir ce A/Vision 5, mais le duo Bugge Wesseltoft & Henrik Schwarz qui a annulé sa venue la veille.

Troisième performance donc pour le pianiste allemand au MUTEK, alors après un morceau introductif des plus plaisants, Nils Frahm sonde le public, confortablement installé sur les sièges de la Maison Symphonique, afin de savoir si beaucoup de monde était déjà présent à ses autres concerts. La réponse est oui. Il décide tout simplement de ne pas refaire le même set ce soir là, et donc d’improviser ! Il prévient : « cela ne sera sûrement pas toujours très bon… ». Quelle modestie, car tout y était : l’intensité, les émotions, la surprise. Une grande classe, et une performance naturellement trop courte.
 
Toutefois, ce qui aura fait se déplacer tant de festivaliers est la présence sur l’affiche de Pantha du Prince & The Bell Laboratory. L’Allemand Pantha du Prince (Hendrick Weber) est un pionnier de la microhouse et de la techno minimale modernes. The Bell Laboratory est lui un collectif de musiciens norvégiens axés sur tout ce qui est percussif, du xylophone au triangle en passant bien sûr par les cloches. La rencontre de ces deux univers à de quoi séduire de part son ambition. Une rencontre justement exposée sur l’excellent Elements of Light, qui démontre que les frontières des genres ne demandent qu’à être dépassées…

Le concert commence dans le silence, quand le tintement d’une cloche puis d’autres se font ressentir. Les musiciens investissent alors la scène, et déjà la magie opère alors que seuls les vibrations des cloches se sont fait entendre. Un miracle auditif largement aidé par l’acoustique du lieu qui était tout simplement parfaite, et retranscrit à merveille la moindre vibration sonore.

Après cette introduction, les musiciens s’installent chacun devant leurs stands d’instruments. Pour les Suédois ce sera derrière des tables avec tout type de percussions, et pour Pantha du Prince derrière, l’évident laptop.

Tout est progressive dans leur musique. Cela commence toujours simplement, avant que ne vienne la partie électronique accompagnée d’un déluge percussif réjouissant, un peu comme si d’inquiétantes textures religieuses se mariaient à des synthés lumineux et à de douces pulsations techno…

C’est tellement réjouissant qu’à plusieurs reprises la Maison Symphonique entière s’est levée pour danser, devenant ainsi une sorte de dancefloor improbable ! J’imagine bien qu’il s’agit d’un fait rare pour un tel lieu, une première sans doute. Mais quelle ambiance ! Et encore une fois, quelle magie !

Autant dire que le set aura été bien trop court, laissant une pointe de frustration. Mais dans le fracas de la sortie, une seule clameur se fait entendre : le MUTEK a réussi son pari !

Bravo et merci !

Rémy Ogez

Chroniqueur montréalais pour Pelecanus depuis juin 2010 ayant participé à l'organisation de concerts ainsi qu'au défunt projet de webradio.

Ajouter un commentaire