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Nils Frahm + Chassol 02/06/2014 @ Villette Sonique 2014, Paris

Portrait de Annabelle
Nils Frahm + Chassol 02/06/2014 @ Villette Sonique 2014, Paris

Cette année, la Villette Sonique nous offrait une quantité impressionnante de concerts de qualité. La programmation était particulièrement intéressante par sa diversité, il y en avait pour tous les goûts et les passionnés de musique ont eu l’occasion d’assister avec bonheur au défilé de talents durant une semaine complète.

La présence de Nils Frahm en concert à la Cité de la musique dans le cadre du festival était certainement LA meilleure surprise de toute la programmation. Le jeune pianiste allemand fait — à titre personnel — partie de cette nouvelle génération de petits génies (et j’emploie ce mot avec une entente totale de sa signification) qu’il est indispensable de voir en live.

Il y a, dans ce patchwork musical, une volonté certaine d’arriver à une sorte de perfection, une alternative au « point surréaliste », un lieu idéal où les antagonismes n’existent plus.

Tout d'abord pianiste, avec une formation très classique, le jeune homme de 31 ans a de l’or au bout des doigts. Ce que propose Nils Frahm dans ses albums et sur scène est entièrement différent. La preuve en 2013 avec Spaces, qui n’était autre que la matière sonore de ses lives remixés sur deux années. Au total, trente concerts brodés de dentelles électroniques. Depuis 2005, Nils Frahm poursuit une démarche immuable de recomposition du réel, toujours à la limite du fantasme. Il y a, dans ce patchwork musical, une volonté certaine d’arriver à une sorte de perfection, une alternative au « point surréaliste », un lieu idéal où les antagonismes n’existent plus. Un couronnement du classique par le contemporain. Ce live report est l’occasion de vous conseiller l’écoute de Spaces, une épopée musicale terriblement inquiétante, et violemment sublime.

 

Chapitre 1 : L’éveil par les mots

La montée en puissance des notes de Says est un moment si bizarre qu’il est difficile de le retranscrire à l’écrit.

Mais revenons à notre concert à la Cité de la musique. L’ambiance dans la salle est singulière, nous sommes tous assis là, à fixer les nombreux pianos et synthétiseurs qui peuplent la scène, dans l’attente de quelque chose de grand, d’atypique. Tous les âges se mélangent, les voix se font murmure, et enfin, Nils Frahm arrive sur scène en jean et t-shirt, incarnant alors le dépouillement a capite ad calcem. Immédiatement, lorsque les sons électro se mettent à faire vibrer le sol sous nos pieds, l’attention de la multitude devient unique. Des préliminaires tout en rythme et en violence afin de préparer le terrain pour le très mélancolique Says. Nous ressentons tous la musique différemment, lorsqu’elle parvient à nous toucher, dans l’allégresse comme dans l’affliction, nous en faisons quelque chose de secret et d’intime. La montée en puissance des notes de Says est un moment si bizarre qu’il est difficile de le retranscrire à l’écrit. Mais il faut imaginer ces personnes, toutes assises en rang d’oignons sur des chaises inconfortables, les yeux humides fermés ou fixés vers la scène, le souffle coupé, la respiration ralentie, éprouvant le souvenir d'événements passés ou allant chercher au fond d’eux-mêmes la plus pure des émotions. Il faut imaginer ces personnes inconnues les unes aux autres qui, dans un moment unique, éprouvent le plus douloureux et le plus sublime sentiment que puisse appréhender l'être humain : sa petitesse face à la beauté terrible de la nature en action. Lorsque l’on écoute Nils Frahm, on fabule. Bien sûr, il est là, sur scène, impressionnant par la maîtrise totale et absolue de ses instruments de musique. Mais tout devient plus personnel. Lorsque la mélodie prend fin, je réalise que les larmes sur mes joues ne sont pas uniquement dues à ma force psychologique équivalente à celle d’une cuillère à café. Autour de moi, mes voisins sèchent eux aussi leurs yeux, et tentent de retrouver un semblant de contenance lors de ce retour forcé à la réalité. Avec Said and done, le jeune virtuose finit par tous nous plonger dans la plus grande quiétude (enfin, personnellement, j’ai oublié mes mouchoirs et la source de mes glandes lacrymales semble intarissable).

 

Chapitre 2 : L’inquiétante étrangeté

La puissance de Nils Frahm prend bien sûr sa force dans son talent (qu’il serait difficile de contester), mais aussi dans ses instruments. Les pianos, marionnettistes de la mélancolie. Il est toujours étrange de visualiser la musique. Personnellement, si je ferme les yeux, j’arrive très souvent à créer des images totalement fantasmées de la réalité dans laquelle je me trouve. Pourtant, ce rêve éveillé garde certaines caractéristiques du moment m que je suis en train de vivre. C’est étrange, c’est familier, et pourtant tout est déformé. J’expérimente le bonheur de m’échapper tout en gardant les deux pieds cloués au sol. Nils Frahm a réussi à me faire ressentir cela pendant une heure vingt. Beaucoup de gens disent qu’il faut être raisonnable lorsque l’on parle de musique. J’espère que personne ne fait appel à sa raison en écoutant Nils Frahm. Je vous souhaite le bonheur d’être stupide et insensé lorsque vous entendez ces notes de musique qui résonnent comme le prolongement de nos histoires personnelles.

 

Chapitre 3 : Et soudain, le silence

Le piano est mis à nu, décliné à toutes les sauces.

Le jeu de scène de Nils Frahm se déroule entre ses pianos, ses synthétiseurs et ses pédales d’effet. Il n’est pas vraiment possible de savoir à quoi s’attendre. Pourtant, plus on avance dans ce live et plus l’atmosphère devient légère. Le piano est mis à nu, décliné à toutes les sauces. Oui, Nils Frahm sublime le piano comme personne.

Un interlude à notre trouble arrive à la moitié du concert et c’est un instrument brut que nous prenons dans le visage. Il n’y a alors que Nils Frahm, le piano et les silences qui les entourent. Les doigts du pianiste s’accélèrent et quelqu'un arrive sur scène pour s’installer à côté de lui. Nous l’apprendrons après, le jeune homme qui l'a rejoint s’appelle Jean Kapsa. Les deux s’étaient rencontrés un peu plus tôt dans la journée, alors que Nils Frahm allait saluer ses compagnons de la Blogothèque (le résultat est une très belle première impro à voir ici). Leurs doigts sont si rapides qu’ils en deviennent insaisissables, ils sont les géniteurs d'un véritable moment de parfaite harmonie, une « improvisation » à quatre mains en b mineur intitulée Hammers (le morceau d’origine est sur l’album Spaces).

Nils Frahm conclut son concert avec une chanson de seize minutes, For – Peter – Toilet Brushes – More, durant laquelle il nous fait découvrir à quel point l'on peut s’amuser avec un piano et des brosses WC. Si vous pensez que je romance encore une fois mon expérience, il ne vous reste qu’à aller voir le live sur le site d’Arte Concert.

 

Épilogue : Moi, je préfère la pluie au soleil

Je ne sais pas si ce sont des restes de ma jeunesse passée dans l’ombre à vénérer Satan, mais je suis restée totalement hermétique à la prestation de Chassol. Avec son batteur, il est venu présenter sa nouvelle création « Big Sun » consacrée à la Martinique, dont il est originaire (il avait précédemment fait deux œuvres similaires sur l’Inde et la Nouvelle-Orléans). Entre bande-son et documentaire stylisé, la démarche est absolument admirable. La prestation sur scène l’est aussi. Cependant, je ne parviens qu'à toucher du bout du doigt l'enjeu de la proposition. Tout cela me semble terriblement long. Les jeux de répétitions, avec la réappropriation des sons intradiégétiques au film font leur effet dans les premiers temps, et réussissent simplement à m’agacer à la fin.

Si je dois être tout à fait honnête, j’étais simplement venue pour Nils Frahm et je trouvais improbable de programmer Chassol après (ou Nils Frahm avant). Les deux artistes sont si loin musicalement, dans leur son et leur démarche, que toute la prestation de Chassol a été pour moi une véritable épreuve durant laquelle j’ai eu l’impression qu’on m’enlevait tout ce que le jeune Allemand avait pu proposer précédemment.

Un goût amer me reste dans la bouche en sortant de la salle, il est l’heure de prendre une bière.

 

Crédits photos : CSAOH/Andrey Kalinovsky

J'ai plus de films d'horreur vus à mon compteur que l'enfant fantasmée de John Carpenter et Dario Argento. J'aime écouter de la musique et en parler, surtout ici.

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