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Black Cobra : "Je pense que les gens sont étonnés lorsqu'ils constatent qu'on n'est que deux"

Portrait de François-Carl
Black Cobra : "Je pense que les gens sont étonnés lorsqu'ils constatent qu'on n'est que deux"

C'est avec beaucoup d'enthousiasme que je me suis présenté aux Foufounes Électriques dans le but d'assister à la prestation de Black Cobra. Comme il s'agissait de leur tout premier passage dans la ville de Montréal, mes attentes étaient très hautes. Black Cobra est un groupe de la région de San Francisco qui réussit à me faire hocher la tête agressivement, et ce très facilement avec leur mur de sons écrasant qui décape. Étant un grand admirateur de leur travail, j'étais un peu stressé à l'idée de réaliser une entrevue. Tel un bon scout, j'étais prêt avec mes questions et mon appareil photo. Cependant, l'entretien n'a pas eu lieu comme prévu, car le groupe a été retenu aux douanes canadiennes et s'est présenté à la salle de spectacle de justesse pour le spectacle qui commençait très tôt. Toutefois déterminé à accomplir l'entretien malgré les imprévus, j'approche Jason Landrian et lui propose de réaliser l'entrevue en fin de soirée. C'est ainsi que je me suis retrouvé avec Black Cobra dans la fameuse ruelle sombre adjacente aux Foufounes Électriques…

Vous êtes actuellement en tournée pour l'album Invernal, qui déchire au passage, et on sent qu'il y a une certaine « hype » autour de Black Cobra. Dernièrement vous avez tourné avec des gros noms de la scène, j'imagine que cela doit vous permettre de vous faire connaître auprès de ceux qui n'avaient jamais entendu parler de vous. Quelles sont les réactions de ces foules qui ne vous connaissaient pas?

 

Ça a été très positif ! Beaucoup nous ont dit « J'ai écouté l'album et je ne savais pas que vous n'étiez que deux, et c'est cool ». Des personnes qui ne savaient même pas qu'on existait ont vraiment été retournées par le concert. Il y a eu une très bonne réception depuis les tournées avec Kyuss et Corrosion of Conformity, celle en Australie qu'on vient de faire avec Fu Manchu et cette tournée-là, aux États-Unis et au Canada avec Corrosion of Conformity. Tout s'est vraiment, vraiment bien passé.

 

Les gens doivent être surpris de voir que vous n'êtes que deux, est-ce qu'ils focalisent toujours là-dessus?

 

Souvent, du moins surtout pour les nouveaux publics et à cause du style de musique que nous faisons. C'est vraiment très lourd et un peu complexe. Je pense que les gens sont étonnés lorsqu'ils constatent qu'on n'est que deux. Il y en a beaucoup qui viennent nous voir après qu'on ait joué et qui nous disent qu'ils nous ont entendu depuis l'extérieur ou depuis une autre pièce et que quand ils sont entrés ils n'arrivaient pas à croire qu'on n'était que deux. À travers nos albums et tout ce qu'on fait on essaye de dépasser ça, parce qu'on ne veut pas se définir uniquement par le fait qu'on ne soit qu'un duo. On veut mettre l'accent sur le fait qu'on est un groupe et qu'on fait de la musique. Black Cobra c'est un tout, pas deux gars ensemble. C'est pour ça que nos noms n'apparaissent pas sur les albums. On ne veut pas que les gens aient des préjugés en voyant qu'on est deux parce que cela va peut-être influencer leur appréciation de la musique. Dans l'ensemble les réactions sont positives, bon, il y a toujours un ou deux puristes pour nous dire « Les gars, vous avez vraiment besoin d'un bassiste » et on répond « Mec, tu comprends rien, si t'embarques tant mieux, mais si tu penses qu'il nous faut un bassiste alors on n'est pas le bon groupe pour toi. Tout le monde y va de son avis mais ce n'est pas à ça que ressemble notre groupe. Il y a plein de groupes avec des bassistes, libre à toi d'aller les écouter ». On n'a rien contre les bassistes, on en connait plein de géniaux qu'on admire : Rush, Motörhead, Iron Maiden, Metallica et bien sûr Cliff Burton… On n'a vraiment rien contre les bassistes, c'est juste qu'on s'est retrouvé à jouer comme ça.

 

Vos amplis basse sont remplis d'effets fuzz.

 

Tout à fait. On utilise un ampli de basse et on l'enregistre aussi. On n'a jamais eu recours à une basse sur aucun de nos albums, c'est toujours guitare/batterie, parce qu'on a toujours tenu à pouvoir tout refaire en live. On savait qu'un jour ou l'autre on partirait en tournée, bon au début on n'en était peut-être pas tout à fait sûrs, mais on n'a pas utilisé de basse parce qu'on ne peut pas tromper les gens. On veut paraître authentique, on compose pour une guitare et une batterie, on veut enregistrer la guitare et la batterie, et surtout on veut jouer en live avec la guitare et la batterie. Et les voix. On essaye de garder le tout aussi vrai que possible.

 

Êtes-vous satisfait par le niveau de réputation que vous avez atteint ? Vous préférez jouer dans des petits salles ou dans des plus grandes?

 

Étonnement j'aime les deux. Parfois c'est amusant de jouer dans des petites salles, et parfois c'est vraiment la merde. Parce que leur professionnalisme n'est pas le même, non pas qu'on se prenne pour des rock stars, mais quand tu joues dans des grandes salles tous les soirs, comme celles avec Kyuss qui étaient des théâtres, ou des petits théâtres pour 2000 personnes environ et le matériel est vraiment tip top, jamais tu dis « Y a moyen que j'entende ce que Raf joue ? » ou « Je ne m'entends pas jouer » mais à l'inverse t'as tous ces trucs bizarres, comme les barrières et les gens sont à 5 mètres de toi… Jouer sur des grandes scènes est beaucoup plus plaisant à deux, je m'y sens plus à l'aise parce que j'ai plus de place pour bouger. Ce soir aux Foufounes Électriques, la scène était si petite que je n'avais pas de place pour bouger et en plus on était pressés par le temps, du coup on n'a pas eu le temps de faire des sounchecks. Mais cela reste intéressant d'essayer les deux. On a fait le Hellfest et joué devant 3000 personnes et avec Kyuss devant plusieurs milliers de personnes tous les soirs, et ce soir la tête d'affiche a joué devant quelques centaines de personnes à peine. Je me sens assez à l'aise quelle que soit la scène, mais tout de même un peu plus sur les grandes. Parce qu'il y a plus d'espace et il y a des techniciens et des ingés son.

 

Ça vous est déjà arrivé d'avoir l'impression que la scène était trop grande juste pour vous deux?

 

Parfois, c'est surtout arrivé en conditions de festival, la batterie était surélevée et placée juste derrière moi, et là effectivement ça paraissait grand. J'ai l'habitude d'avoir Raf à côté de moi. C'est juste qu'il est 50% du groupe, et l'avoir derrière moi ça craint pour lui, et pour nous. On peut sans problème jouer sans nous regarder, mais si la moitié du groupe est cachée derrière moi, c'est bizarre. On a joué au Scion Fest comme ça et j'avais cette scène géante pour moi tout seul et c'était assez étrange. Je suis plus à l'aise quand on est côte à côte.

 

On imagine facilement que parcourir le monde lorsqu'on est un duo est beaucoup plus simple…

 

Oui carrément. Tu apprécies lorsque tu dois prendre l'avion, parce que c'est beaucoup moins cher que pour 4 ou 5 personnes. Et c'est aussi beaucoup moins compliqué, je prends ma guitare, mes pédales, Raf prend sa caisse claire, sa pédale et ses cymbales. C'est assez minimaliste. Ça simplifie beaucoup de choses.

 

J'ai lu dans une interview que tu as donnée que vous aimeriez jouer avec le groupe québécois Voivod, vous avez eu l'occasion de les croiser au Roadburn ?

 

Malheureusement non. À la base on n'avait que le concert du Roadburn de planifié et on devait juste arriver et jouer au Roadburn. Notre plan c'était d'être là pendant tout le week-end du Roadburn et de voir Voivod jouer. Ils ont fait deux concerts ce week-end là où ils ont joué Dimension Hatröss et tout. Et juste après, on nous a proposé d'accompagner Corrosion of Conformity et Zoroaster sur leur tournée en Europe, et on a accepté et du coup on s'est retrouvé en tournée. On était avec Corrosion of Conformity juste avant le Roadburn. C'était génial parce qu'on tournait avec eux et Zoroaster, mais une partie de moi désirait vraiment voir Voivod. Mais on a réussi à voir Michel "Away" par la suite et on a pris des photos qu'on a mises sur Facebook. On est tous les deux de grands fans.

 

Invernal raconte les mésaventures d'une expédition en Antarctique et les thèmes de Chronomega sont liés à l'existentialisme. Pour ce que je peux voir, vous êtes des gars intelligents, pas énervés du tout. Assez normaux en fait. Qu'est-ce qui vous pousse à jouer de la musique agressive ?

 

C'est quelque chose qu'on a toujours aimé. Tout a commencé avec des groupes de métal comme Metallica, Black Sabbath etc… J'imagine que c'est principalement eux qui nous ont amené à faire de la musique. Hors de la scène je suis quelqu'un de plutôt calme, mais je déteste beaucoup de trucs ! Vraiment, je déteste beaucoup de choses. Dans ma vie quotidienne je rencontre plein de gens et je suis cordial mais il y a tellement de choses qui vont mal dans le monde, et c'est de là que tout vient. Il faut évacuer…. un genre de catharsis. C'est là qu'on intervient, avec notre musique, on espère que ce sera une catharsis, pour tout le monde, pas juste pour nous. Il y a tellement de choses qui craignent, mais il y a aussi tout plein de bonnes choses ! Il faut se modérer ! Si tu vis juste dans la négativité ça va vraiment être la merde donc…. il faut une catharsis. Pour évacuer tout ça et vivre le reste de ta vie comme un être humain normal.

 

On voit à travers votre musique que vous avez de grandes compétences, c'est naturel pour vous ou est-ce que vous essayez de pousser les limites du sludge metal?

 

On a toujours essayé de se surpasser, d'aller au-delà des étiquettes sludge metal ou stoner metal ou doom etc… On n'a jamais essayé d'entrer dans ces boîtes, c'est juste ce qu'on a créé lorsqu'on a commencé à écrire notre premier album, on s'assoit et on commence à écrire « ça c'est les riffs », « ça, les beats, et ça c'est les voix qu'on veut ». Et ça répond pas mal au sous-genre comme le sludge ou le doom ou autre. Donc ouais on essaye toujours de nous dépasser, de repousser les limites de ce qui peut être considéré sludge ou autre. Beaucoup disent qu'on est un groupe de sludge ou doom, mais on joue rapidement, beaucoup de nos morceaux sont rapides ce qui est à l'extrême opposé du doom ou du sludge, qui ont une lourdeur lente et écrasante.

 

On entend souvent parler de « Thinking man's métal » (« le metal réfléchi »), voyez-vous la musique heavy comme une forme d'art, et pensez-vous que votre travail est un travail de recherche?

 

C'est cool d'être considéré de la sorte, mais on pense, on lit, on réfléchit à plein de trucs comme l'expédition de Shackleton, les sujets à propos desquels nous écrivons nous intéressent, que ça veuille dire ou non qu'on réfléchit plus que les autres je ne sais pas, mais c'est cool d'être perçu de la sorte. Je pense qu'effectivement on considère la musique comme une forme d'art parce qu'au final ça l'est, c'est une libération, un moyen d'expression, c'est beaucoup plus que de juste marteler des instruments de musique. On a toujours essayé de susciter des émotions, des sentiments… Donc oui c'est une forme d'art. Le metal a cette image qui lui colle à la peau de musique néandertalienne faite par des gars qui se tapent la poitrine. On ne rentre pas dans ce moule, en tant que groupe ou même individuellement. Nous ne sommes pas ces gars-là.

 

Vous avez tous les deux joué dans d'autres groupes, notamment Cavity et Acid King. Est-ce que vous pensez qu'un jour vous pourriez vous sentir limité par le fait que vous êtes un duo, et progressivement en avoir assez de votre son?

 

Je pense que quand ce jour où on en aura marre de ce son arrivera, on fera tout pour surmonter le problème. Parce que c'est un défi, je ne dirais pas que ça nous limite, mais c'est tout un défi de n'avoir que deux instruments, voire trois parce qu'on considère le chant comme un troisième instrument. C'est pour ça d'ailleurs que souvent les paroles sont incompréhensibles, on utilise le chant comme un outil de rythmique. Donc ce jour peut arriver mais on essaye toujours de nous surpasser pour ne pas nous limiter. Pas de nous surpasser, je préfère l'expression « relever le défi ». Déjà pour Bestial, notre premier album sorti en 2006, on écrivait et on jouait les morceaux et on se demandait vraiment comment on allait pouvoir jouer ça en live. Et on a fait en sorte de pouvoir le faire, en pratiquant, pratiquant et pratiquant. Et ça a été comme ça pour tous les albums. À l'issue d'Infernal, Raf s'est retrouvé à jouer des beats qu'il n'avait jamais joué, pareil pour moi, on jouait des solos qu'on avait jamais joué, j'ai même dû sampler des guitares lead pour que Raf joue dessus. Juste qu'à maintenant on a réussi à nous surpasser et on espère ne jamais nous sentir limité parce qu'on n'est que deux. On essaye de voir ça plus comme un moteur que comme un obstacle.
 

Les critiques sont très bonnes en ce qui concerne votre travail avec Kurt Ballou. Est-ce que vous travaillerez encore avec lui ou est-ce que vous préfèrerez chercher quelqu'un d'autre, juste histoire de changer?

 

On est toujours ouverts à la nouveauté mais question de ça on aimerait vraiment retravailler avec Kurt. Je suis tellement satisfait du résultat avec Invernal. J'aime tous nos albums, mais je pense qu'avec Invernal il a vraiment mis le doigt sur ce qu'on voulait. Il a beaucoup de talent, non seulement en tant que guitariste, notamment dans Converge, mais également en tant qu'ingé. Ses oreilles sont incroyables, il entend tout ! Souvent lors de l'enregistrement il disait « non, fais ça très rapidement » genre « là vous étiez à côté ». Quand tu es musicien et que c'est toi qui écris les morceaux et les joues, tu as du mal à avoir du recul. C'est rassurant d'avoir une troisième personne avec un tel talent. Il a vraiment été d'un grand secours. On aimerait beaucoup travaillé avec lui à l'avenir, il est incroyable. 

 

Vous avez ouvertement avoué être de grands fans de science fiction et d'horreur, qu'est-ce qui vous plait en ce moment qui pourrait nous donner des idées de vos influences pour votre prochain album ?

 

On était très concentré sur la tournée mais on est de grands fans de Vincent Price et de Roger Corman, ça a toujours été une de nos influences. Il y a aussi des réalisateurs comme Ridley Scott, et Prometheus que je n'ai pas encore vu mais j'ai hâte. C'est marrant mais The Thing de John Carpenter compte parmi les influences d'Invernal, juste à cause de l'ambiance, et de la sensation d'isolement. C'est incroyable. Ce n'est pas tant l'aspect horreur de ces oeuvres qui nous interpelle, mais plutôt le ressenti, l'ambiance. Cela soulève tellement d'émotions. Il existe tout un tas de genres de films qui provoquent des émotions négatives, je pense sincèrement que ces films-là sont beaucoup plus forts que ceux qui suscitent des émotions positives, du moins s'ils sont bien faits. Tu peux regarder Massacre à la tronçonneuse et te sentir oppressé. Toi tu ne risques rien mais merde tu t'investis, tu es là et ça réveille des émotions chez toi, c'est ça qu'on aime dans ces films. C'est ce qu'on cherche à faire avec la musique, susciter des émotions chez les gens.

 

Et vous y parvenez plutôt bien, merci et continuez comme ça !

Black Cobra : "Je pense que les gens sont étonnés lorsqu'ils constatent qu'on n'est que deux"
Photographe argentique + (Auto)-éditeur + amateur de bon café

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