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Intronaut - Habitual Levitations (Instilling Words With Tones) (2013)

Portrait de François-Carl
Intronaut - Habitual Levitations (Instilling Words With Tones) (2013)

Ces derniers temps, mon appétit musical s’est atrophié tel un estomac en carence alimentaire. J’écoute toujours les mêmes groupes du même genre et j’en ai un peu ras le bol. Le problème est d’autant plus important que je n’ai pas le goût d’en découvrir d’autres! Je devrais sûrement consulter un gourou qui saurait m’insuffler de l’enthousiasme et me redonner le goût du nouveau à l’aide de médication douteuse. Ma seule attente du printemps fut, outre le nouveau Kylesa le 24 mai prochain, l’opus #4 d’Intronaut savamment intitulé Habitual Levitation (Instilling Words With Tones) ou pour simplifier « Album à écouter avec votre bong load quotidien ». Dès qu’Intronaut a sorti le single Milk Leg un peu plutôt cette année, je savais qu’à défaut d’avoir envie de découvrir de la musique inconnue par mes oreilles, je pouvais compter sur le quatuor de Los Angeles pour stimuler mon appétit musical. Telle une généreuse dose de tétrahydrocannabinol, le titre d’Intronaut m’a laissé dans un état d’euphorie intense avec les papilles gustatives bien mouillées. Bref, j’avais la dalle, grave… ou en acadien, j’avais les munchies, bad. Alors est-ce que Habitual Levitations dans son ensemble est un pur délire ou un badtrip ?

Killing Birds With Stones ouvre le bal avec la lourdeur de pas de dinosaure définissant le son classique d’Intronaut avant d’évoluer rapidement en un vol d’oiseau, tout ça dès la première minute! Il passe de riffs écrasants à une partie instrumentale influencée par le jazz où le son de la basse et de la batterie prédomine. Ce que vous risquez de remarquer le plus vite est que le chant remplace entièrement les cris présents sur les albums précédents.

Je vais me permettre de prendre le temps de développer cette parenthèse. J’adore les performances vocales plus rudes présentes dans le metal en général, mais le chant peut également être rafraichissant. Par exemple, qui apprécie encore le son, maintenant générique, du cri « metalcore »? Souvent lorsqu’un groupe métal passe des cris vers le chant, c’est pour le pire. Ces gens sont des musiciens chevronnés qui excellent sur leurs instruments respectifs, ce qui ne fait pas d’eux par défaut des Rob Halford. Intronaut en début de carrière s’est souvent fait comparer à Mastodon ou encore Baroness (meets Meshuggah), la seule raison de les comparer à ces derniers serait pour dire que contrairement à eux, ils réussissent leurs harmonies de chants! Pas que je prenne plaisir à rabaisser les mastodontes et les baronnes de ce monde, mais sérieusement Brent Hinds et Troy Sanders au chant en situation live… tout simplement horrible; Baroness en situation album Yellow et Green, tout simplement atroce! Le problème avec les voix harmonieuses dans la musique lourde est lorsqu’elles sont faites par des musiciens qui s’improvisent chanteurs. Ils prennent tout leur temps en studio pour faire un résultat acceptable, simplement pour les bâcler en live en criant la moitié du temps comme un chat estropié (oui, mon doigt pointe vers BrentHinds). Pour avoir vu Intronaut en live, et selon ce que l’on peut entendre sur Youtube quant aux nouvelles compositions, leur prestation musicale et vocale est solide. Ce n’est pas seulement à savoir si le groupe est capable de recréer le chant en live, il faut aussi se poser la question : le chant est-il compatible avec le son que le groupe avance? J’ai tendance à penser que lorsqu’un groupe chante de plus en plus c’est qu’il aime bien l’argent des fillettes, mais j’ai sûrement tort. Un groupe énonce souvent le besoin de faire évoluer son son et défend les choix devant leurs admirateurs furieux en évoquant leur intégrité artistique (oui, mon doigt pointe vers John Dyer Baizley)… ce que je peux comprendre. Mais parfois, le changement est si brusque que l’on a de la difficulté à suivre cette « évolution ». Rassurez-vous, ce n’est pas le cas chez Intronaut, il s’agit d’une réelle évolution et je suis prêt à utiliser le terme « mature » pour décrire Habitual Levitations. Le chant présent sur cet album en est accord avec la musique et il n’est pas forcé. Intronaut ne tente pas d’avoir un son plus « accessible ». L’évolution présente sur l’album est réellement la suite du voyage proposé par Valley of Smoke (2010). Il est à noter que la pochette de l’album est réalisée par le même artiste visuel, David V. D’Andrea, reconnu dans le genre pour ces affiches de concerts. Évidence d'une volonté de continuer conceptuellement dans la même direction proposée par Valley of Smoke. Alors si vous aviez apprécié ce dernier, vous risquez fortement d’apprécier Habitual Levitations. Par contre si vous êtes un fan d’Intronaut et que vous n’aviez pas aimé Valley of Smoke, est-ce justement à cause de l’évolution du chant et une place plus prenante du son prog-jazz-rock? Laissez-nous votre opinion dans la section des commentaires, s’il vous plait, je suis curieux. Car c’est précisément ce son progressif aux influences jazz qu’Intronaut met en avant avec leurs plus récentes compositions.

Alors comme je le disais, pour le titre d’ouverture, Killing Birds With Stones… Le premier titre sur neuf est très efficace comme entrée de jeu, car il est très représentatif de l’album. C’est également le titre le plus long avec ses 8 minutes, les autres titres font tous en moyenne 6 minutes. On a donc droit à un album équilibré et très constant. On pourrait ainsi dire que l’album est homogène, ce qui pourrait être perçu comme un point négatif pour certains. Ce qui caractérise ce premier titre comme le reste de l’album est la pure magie par laquelle les musiciens réussissent à faire un son qui leur est propre, ponctué par des prouesses à la fois mélodiques et techniques. Tenter de le décrire pour moi qui n’ai aucune éducation musicale risque d’être difficile... Par où commencer?

Souvent, la première chose que les gens vont vous dire à propos d’Intronaut est que le bassiste Joe Lester utilise une basse « fretless » et contrairement aux clichés que les bassistes sont des membres inutiles, il déchire. Ce qui est tout à fait vrai, l’un des ingrédients qui rend le son d’Intronaut spéciale est principalement en cause de ce son de basse sublime qui est très présent. Ensuite, la deuxième chose que l’on vous dira assurément est que le batteur Dany Walker est un monstre. Ce qui est aussi tout à fait vrai, vous n’avez qu’à écouter n’importe laquelle des compositions et son jeu vous époustouflera. Il faut dire qu’il ne fait pas que nous en mettre plein la vue en tapant le plus rapidement possible à la grind, il joue dans un side project, Murder Construct, pour ça! Non, il a l’habileté de créer des rythmes toujours à l’écoute de la musique en lui donnant un souffle puissant. Contrairement à d’autres groupes, la section rythmique de la basse et batterie prend presque l’avant-scène dans leurs compositions, ce n’est pas juste la colonne vertébrale de la musique. En effet, les guitares et les voix de Sacha Dunable et Dave Timnick sont responsables des textures qui enveloppent la section rythmique sans jamais l’ensevelir. Le mot qui décrirait peut-être le mieux le son d’Intronaut est simplement « harmonie ». Chacun des instruments se complète sans jamais se voler la vedette, mais tous compétitionnent pour capter notre attention. Il est très difficile de se concentrer sur une partie précise d’un instrument tellement les autres sont aussi intéressantes. Les compositions peuvent être chargées, mais jamais on n’a de la difficulté à entendre ce que chacun des musiciens joue. J’imagine que l’on peut remercier la production de l’album pour ce son spacieux très précis. Leur musique s’écoute ainsi dans son ensemble. C’est pour cette raison qu’il peut être difficile de trouver des riffs faciles à identifier sur chacune des compositions, mais n’ayez crainte, les riffs y sont bel et bien présents. Il faut comprendre que dans l’univers d’Intronaut, un pattern de batterie a autant d’importance qu’un bon riff.    

Le deuxième morceau The Welding est peut être le plus agressif et celui qui aura le plus de chance de vous faire banger. Il débute avec une guitare stridente, voire presque irritante, et elle se retrouve ici et là dans la composition qui passe par plusieurs tempos avant de finir à plein rendement, propulsé par le jeu de pieds de Walker derrière la batterie. L’un des moments les plus forts pour moi sur cet album est lorsque Intronaut nous demande : « Answer the call!» suivi d’une avalanche sonique. Steps ralentit un peu la cadence avec un riff digne de la préhistoire qui pour une raison ou une autre finit par disparaitre. Le tout est couvert d’une voix qui nous demande tout doucement  : " Take us back to that night » pour finalement s’éteindre en se noyant dans la distorsion des guitares, basse et batterie. J’ose dire que Sore Sight For Eyes s’aventure dans le genre du post-rock avec une sensibilité plus pop, en partie par le chant très présent lors de ce que l’on pourrait appeler le refrain. La musicalité du morceau demeure définitivement celle d’Intronaut et tout y passe, de riffs plus agressifs à doux aux textures plus planantes. Arrive Milk Leg, le premier single de l’album qui s’ouvre sur un très court échantillon qui rappelle ceux présents sur Valley of Smoke. La ressemblance ne s’arrête pas juste là, le titre au complet me rappelle l’album précédent. Je suis porté à dire que la tonalité de la basse qui règne sur ce titre évoque la chanson Valley of Smoke elle-même. Ressemblance mise à part, c’est ce single qui m’avait ouvert l’appétit pour Habitual Levitations et il représente bien l’originalité prog-jazz dont le groupe est capable. Milk Leg s’éteint doucement pour laisser place à d’autres notes de basse « fretless » qui entament la douce Harmonomicon. Cette composition est ponctuée par deux segments de chant avant de fondre dans ce qui caractérise l’influence jazz chez Intronaut : la basse et la batterie à l’avant plan, parsemé de guitares qui soulignent le rythme de la composition. Le prochain titre est Eventual et à chaque fois qu’il commence, je crois entendre Children of the Grave de Black Sabbath, pour quelques secondes seulement. La composition déferle en vagues successives sur nos sens avec force avant de s’essouffler pour faire place à Blood From A Stone. Ce morceau est sans contredit le plus « décevant » de l’album, avec sa durée de 3 minutes. Il constitue le seul véritable « filler » de l’album. Intronaut nous offre des guitares planantes en premier plan avec un chant tout aussi berceur. Habitual Levitations avait comme prémice de vous soulever dans les airs et si vous faites partie de ceux qui ont effectivement écouté l’album avec votre « bong load » quotidien, durant ce titre, Intronaut gagne son pari car vous risquez de somnoler dans les étoiles. Le réveil se fera toutefois en douceur, le temps étant déjà venu pour le dernier titre de l’album. Judicieusement intitulé The Way Down, la composition finale amorce votre descente à travers les nuages sonores habilement composés par les musiciens. Tous les éléments amenés par le quatuor lors de Habitual Levitations y sont réunis pour terminer en beauté. Tout comme Killing Birds With Stone, il s’agit d’un titre qui réussit à bien condenser l’évolution qu’a entreprise Intronaut. Le titre affiche une durée de 9 minutes, mais dure en réalité moins de 6 minutes, le reste étant de la distorsion « filler » en guise d’outro.

Comme vous aurez pu le constater en me lisant, je suis un fan d’Intronaut. Heureusement pour moi, je ne semble que faire des « critiques » d’albums de groupes que j’aime! Alors, mon opinion de fanboy est que Habitual Levitations est magnifique. Cela dit, est-il meilleur que les efforts précédents qu’Intronaut nous ait présentés? Selon moi, non. Je préfère encore mieux le son plus lourd sur Prehistoricisms (2008). Void (2006) est bon, mais pas original comme son successeur. Habitual Levitations ne surpasse pas non plus Valley of Smoke qui, selon moi, mélangeait plus habilement les éléments lourds aux passages instrumentaux plus jazzés. Ainsi, Habitual Levitations ne vient pas combler mes désirs de musique lourde abrasive… mais réussit néanmoins à faire naitre en moi un appétit pour un goût plus raffiné. Encore une fois, est-ce en réaction aux performances vocales qui ont complètement adopté le chant? Sûrement... La musique présente sur Habitual Levitations semble manquer le pouvoir et la force qui était présents plus tôt dans la carrière d’Intronaut. Par contre, elle embrasse toute la subtilité de la mélodie que le quatuor nous propose. Maintenant, je m’interroge à savoir où Intronaut va poursuivre sa route. J’aimerais bien voir un retour aux sources plus brutes ou encore à l’opposé, voir le groupe se concentrer sur des compositions plus longues et instrumentales telles The Reptillian Brain et Valley of Smoke.

Finalement, comme mentionné plus tôt, Habitual Lévitations retient le son préhistorique classique d’Intronaut, mais comme ce fut le cas pour les dinosaures, ce son a évolué et il vole maintenant haut dans les airs, tel un oiseau dans un ciel orageux.

À vos bongs !

Intronaut - Habitual Levitations (Instilling Words With Tones) (2013)
Intronaut
Habitual Levitations
Killing Birds With Stones
The Welding
Steps
Sore Sight For Eyes
Milk Leg
Harmonomicon
Eventual
Blood From A Stone
The Way Down
Photographe argentique + (Auto)-éditeur + amateur de bon café

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