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Caspar Brötzmann Massaker - Koksofen (1993)

Portrait de Martin
Caspar Brötzmann Massaker - Koksofen (1993)

Il y a de ces albums qui sont d'excellents emblèmes des francs succès que rencontre le bouche à oreille, on y vénère des immortels, des classsiques, des favoris sans jamais tenter de créer trop de polémique. On dit que les goûts ne se discutent pas, et pourtant, tout fan invétéré fait l'apologie des siens avec la passion que seul un fan fini de sport peut tenter de rendre au même niveau. Les érudits sont aussi assommants, ennuyeux et pénibles envers la populace qu'un politicien ayant la verve trop pleine de promesses. Mais ils sont parfois cruciaux.

La musique permet de découvrir des gens ayant parfois des visions uniques, ce qui est toujours intéressant lorsqu'on les déniche. Un Allemand, fils de légende du free jazz, créa en 1987 à Berlin un power trio cumulant blues, psychédélique, metal, industriel et improvisation.

Caspar Brötzmann créa Massaker comme un exutoire à son jeu de guitare. Un émule blanc, grand, maigrichon et teuton, portant sans honte une Stratocaster à l'envers et l'amplifiant avec du Marshall. C'en était suffisant pour lui affranchir le statut au degré d'imitateur d'Hendrix. L'empêchement est facile mais ultime: la musique est tout à fait unique et intéressante. Le power trio sort des albums et le groupe commence à s'imposer avec son mélange de styles et ses compositions corrosives.

Par contre, Caspar Brötzmann utilisera finement les influences rock des années 60 et 70 à bon escient. Si l'Allemand avait pu copier les Américains ou les Anglais plus en profondeur, ce n'est qu'au détriment du rock japonais. Les Rallizes Denudes, Fushitsusha et Mainliner ont sûrement une part importante en l'expression qu'à Brotzmann dans son style explosif.

En 1993, Caspar Brötzmann Massaker lance Koksofen, le dernier album comportant des compositions originales du groupe. Dire que l'énormité de cette bombe est immortelle serait peu justifier la perfection que le groupe a produit. Si d'entrée de jeu une pièce de 14:30 comme « Hymne » ne sait captiver, le reste de l'album présentera son effet monumental au fil des pièces.

Dans la cuvée post-blues, post-metal, post-industrielle, mijotte un minimalisme latent. C'est dans ce minimalisme que la progression des pièces est assurée. Le suspense de la composition est à fendre l'air, ça sonne lugubre, sombre et stressant. Ça met la table pour la fin brutale et primitive. Pas de solos techniques ici, simplement une agression primaire dans le jeu des musiciens. Le batteur et le bassiste assurent le rythme et la cadence quasi-militaire, c'est Caspar qui invoque une spiritualité primaire dans ses phrasés teintés de feedback et de distortion.

« Wiege » suit avec un peu le même principe. Une batterie tribale vient rajouter les entrées discrètes mais subtiles. « Kerkersong » offre des lignes d'une mélodie étrangère d'entrée de jeu, c'est unique et hypnotique. Brötzmann est plus un type aimant les ambiances. Son jeu remarquable va chercher les sonorités de la guitare d'un côté aussi mélodique que percussif. Peu de guitaristes savent exploiter les coins moins conventionnels du jeu de guitare, Brötzmann sait en tirer le maximum.
« Kerkersong » est possiblement la pièce la plus entraînante de l'album. L'esprit « rock » y est, ça sonne classique tout en assurant une marche solide réglée au quart de tour. La fin offre une superbe improvisation qui vient ébahir. On imagine qu'en studio, cette opportunité d'enregister live avait fait son effet. Le power trio est passé maître dans l'art de créer des tensions et de les soutenir. Bien avant la vague post-rock, Brötzmann avait compris l'efficacité de faire progresser des pièces en hypnotisant ses auditeurs et en les gardant captivés.

Car « Schlaf » est une orgie sonore garguantuesque. Il faut bien garder une note stridente de feedback pendant une minute et demie pour la détruire avec une passe mortelle de vibrato. « Koksofen », avec son discours et ses sonorités rappelant les belles heures de la musique industrielle, pousse le tout à garder un tempo unique sans déborder. C'est digne de Laibach, ici, et ça rit joyeusement des clichés gothiques contemporains.

Koksofen est une rareté musicale comme il s'en fait peu et Caspar Brötzmann Massaker a fait un amalgame particulier qui ne sonne certainement pas comme un ramassis ordinaire d'influences qui ne sait où donner de la tête. Les structures établies et les improvisations englobent un complément parfois lent mais jamais pénible, parfois plus rapide mais jamais expéditif. Plus de 20 ans après sa parution, Koksofen reste parmis les grands.

Caspar Brötzmann Massaker - Koksofen (1993)
Caspar Brötzmann Massaker
Koksofen
Hymne
Wiege
Kerkersong
Schlaf
Koksofen
À saisir.

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