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Retour sur Swans
Swans. Les fans en sont finis, les autres n’y comprennent rien. S’il y a un groupe qui exprime avec autant d’aplomb le misérabilisme urbain, ce groupe ayant vu son origine il y a plus de 30 ans en est le porte-parole. Une rectitude sonore architecturale, pesée, calculée, une hargne ostensible livrant des gueulements autoritaires, dominants et directs. L’influence qu’a exercée le groupe au fil des décennies n’est plus à discuter. Swans fait partie de ces légendes qui ont transcendé les genres.
Il fallait contourner les décennies et se réinventer perpétuellement pour en arriver à un statut aussi légendaire. Swans ne peut passer inaperçu. Les affres no-wave et les salves abrutissantes de leurs débuts en 1982 auront vite fait la marque d’un groupe new-yorkais nihiliste. Le groupe était principalement une réponse glauque, hargneuse, pestilentielle et acrimonieuse au déclin de la vie des discos et de la musique dansante qui enivrait la Grosse Pomme en ce début de décennie.
L’influence que le groupe exercera par la suite est indéniable. On voudrait classer le groupe dans un genre défini qu’on aurait beaucoup de peine à le faire, Swans a eu plusieurs phases en ses 18 ans de carrière. Si les riffs uniques et les rythmes lourds des premiers ébats de Filth, Cop et du ep Young God ont su offrir quelque chose de tout à fait original, le groupe a su s’éloigner de ce style primal en offrant un côté plus mélodique avec ses parutions subséquentes. Norman Westberg, possiblement le guitariste le plus sous-évalué de l’histoire du rock et, outre Michael Gira et Jarboe, un joueur majeur dans l’évolution du groupe, ajoutera une mécanique restreinte mais rassembleuse à la guitare, ce qu’il continuera de faire au courant des décennies en jouant sur tous les albums (sauf Love of Life).
Le groupe se fera ainsi une réputation d’être assez intense au fil des prestations. Volume intenable, agressions marquées de Gira envers la foule, assister au Swans en concert deviendra soit une expérience notable soit un acte de bravoure. Ou les deux. Personne ne sortait d’un show de Swans indifférent. Ce qui est intéressant est que plus de 30 ans ont passé et que ceci est toujours d’actualité.
Car même si Swans est a priori le véhicule créatif de Michael Gira, un véhicule totalement machiste, nihiliste, agressif et exacerbant des influences homo-érotiques, le groupe ajoutera une voix particulière en 1984, ce qui viendra marquer à jamais le déroulement du groupe. Le côté obscur se verra donc un peu tamisé, une sorte de ying/yang intemporel, une symbiose mâle/femelle primaire. Jarboe, outre sa superbe voix célestiale et divine, composera de solides pièces avec une étendue remarquable. Son arrivée ajoutera une perspective efficace et inégalée comparativement à tout groupe de l’époque. Les albums Greed et Holy Money la mettront à l’avant plan et assureront sa place inégalée dans la mythologie du groupe. Swans se transformera tranquillement, laissant certaines influences industrielles apparaitre mais aussi en offrant un certain sens mélodique intransigeant.
L’album culminant et celui regroupant les diverses sonorités du groupe est sans aucun doute Children of God. S’il y a un album qui redéfini le groupe tout en assimilant avec justesse ses diverses influences, c’est celui-ci. In My Garden et Blackmail démontreront à quel point Jarboe est une chanteuse et compositeure remarquable. Gira se permettra une pièce solo acoustique avec You’re not Real, Girl et les défonces âcres de New Mind, Beautiful Child, Like a Drug, Trust Me et Blind Love (possiblement la pièce incontournable de l’album) réaffirmeront la place du groupe dans le panthéon de la lourdeur. Cependant, la présence d’instruments acoustiques ouvrira la voie à un changement de direction notoire dans le groupe.
Gira, exaspéré par la lourdeur du groupe, tentera un virage acoustique avec des résultats mitigés. Jarboe et lui enregistreront deux albums sous le nom de World of Skin (Skin en Europe) et sortiront une reprise de Love Will Tear Us Apart en 1988, offrant une version avec Gira au vocal et une autre avec Jarboe. C’était soudainement suffisant pour se voir offrir un deal avec une multinationale. Uni/MCA viendra cogner à la porte de Gira et ce dernier, las de bûcher comme un damné et de faire des pieds et des mains pour survivre à sa vie de musicien maudit dira oui à cette alliance diabolique.
Diabolique car cette époque est sans aucun doute la pire dans l’histoire du groupe. The Burning World fera des Swans un groupe néo-folk bien peu engagé. L’album aura peu de succès et le label aura vite fait de se départir du groupe. L’expérience négative du groupe après son flirt avec un label majeur se résumera en la création de White Light From the Mouth of Infinity. Un album solide étant la suite logique de Children of God. Des pièces remarquables comme Failure, Love Will Save You et Better Than You redonneront confiance aux fans refroidis par les dernières lancées du groupe.
Love of Life sortira un an après pour ensuite placer la table pour The Great Annihilator et l’album double et final du groupe (pour cette période) : Soundtrack for the Blind, un habile mélange de sonorités ambiantes, de pièces acoustiques et de post-rock.
En 1997, Gira dira un adieu formel au Swans. Déjà occupé à vaquer avec son autre groupe, Angels of Light, et une carrière solo, il dira avoir fermé la boucle concernant Swans et dira à qui voudra bien l’entendre que c’est bel et bien fini. Jarboe, qui avait déjà une carrière solo en parallèle, continuera sur cette voie en offrant de solides albums.
Un peu à la surprise de tous, Gira annoncera en 2010 la reformation du groupe. Ce qui aurait pu passer inaperçu ou n’être qu’une reformation sans intérêt suscitera bien des réactions. Gira dira qu’il avait en tête plusieurs compositions qui ne pouvaient être présentées dans le cadre d’Angels of Light. Elles étaient trop « agressives » et a cru bon redémarrer Swans. Cette version aurait pu cheminer encore des kilomètres sur le son des derniers albums. Cependant, la redéfinition de ce Swans 2.0 a fait des heureux : le son de la première heure était revenu mais en assurant une pleine maturité. Dehors les guitares acoustiques et les influences folk, les Swans redeviennent une machine oppressante et écrasante. Du coup, My Father Will Guide Me a Rope To The Sky redéfinit un groupe de seniors qui n’a rien à prouver et qui ne cherche certainement pas une tranquillité d’esprit dans des compositions douces. The Seer, paru en 2012, continue à démontrer à quel point le groupe est actuel et unique.
Il faut avoir assisté à un spectacle des Swans pour comprendre l’immensité de la chose. Volume intenable est un euphémisme, c’est la force du groupe qui fait d’un spectacle des Swans une expérience unique. Encore, ce n’est pas l’indifférence qui prime ici. Nombre de spectateurs sortent, s’évanouissent, se bouchent les oreilles, font des signes de négation en se disant qu’un tel groupe n’est pas endurable et d'autres savourent chaque moment et chaque salve que le groupe envoie. Car il aura vite fait d’amortir les poitrines et d’attendrir les tympans, les vibrations y sont remaquables. Ajoutons au maelstrom sonore, un public suintant et une salle à peine tolérable au niveau du confort de chaleur et vous avez une expérience ultime que peu de groupes peuvent livrer.
Car voir Swans est toute une expérience. À défaut de donner dans le cliché et de qualifier le tout de « transcendant » il est effectivement à propos de qualifier ces prestations d'uniques. On pourrait aussi y rajouter un aspect méditatif et même « gothique », dans le sens « American Gothic » (et non en référence vampirique), correspondant à cette identité purement américaine influencée du blues primaire évoluant dans un cadre industriel et néo-classique, n’ayant pas peur d’y rechercher certaines influences orientales. Le groupe touche au « heartland » et au rêve brisé américain, à l’espoir qui aurait dû être. L’effet hypnotique des répétitions et la voix assurante de Michael Gira sont la colonne de ces expériences mais c’est le tout qui en fait un mémorable et glorieux évènement.
Swans sera en concert le 25 mai prochain dans le cadre du Festival Villette Sonique à Paris. À ne rater sous aucun prétexte.
À saisir. |
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