Les prairies canadiennes, là où la terre donne l'impression d'être plate, tellement l'horizon s'étend à l'infini. Winnipeg, Manitoba, "a frozen shithole" pour reprendre l'expression d'Aaron Funk alias Venetian Snares. Winnipeg est aussi un de ces hauts lieux de la musique indépendante canadienne où au travers des années, de petits et de gros groupes, mais qui ont tout de même eu un impact majeur, ont émergé. Swallowing Shit, KEN Mode, Comeback Kid, The Weakerthans, I Spy, Electro Quaterstaff, Head hits Concrete, Venetian Snares et surtout, le groupe qui est synonyme de la ville des prairies: Propagandhi. Les porte-étendards du drapeau de la défiance, du refus d'obtempérer, les champions de ceux qui n'ont pas de voix, qui se double aussi en une machine hybride punk thrash et metal ultra efficace et qui commence sa 31e année d'activité. Un monument musical canadien aussi important que D.O.A., NoMeansNo, John K. Samson, Narduwar et Neil Young qui revient avec son nouvel opus, Victory Lap, via Epitaph Records.
5 ans après le magistral tour de force qu'était Failed States et 8 ans après Supporting Caste, le groupe a fait face à des changements: des tragédies personnelles (les décès des parents de Jord Samolesky et Todd Kolawski) et l'agrandissement de leurs familles (un deuxième enfant pour Chris Hannah), mais aussi le départ de David Guillas à la guitare et l'arrivée de l'américaine Sulynn Hago pour le remplacer ; elle s'acquitte d'ailleurs admirablement bien de la tâche difficile d'être guitariste dans Propagandhi (ils ont reçu plus de 400 candidatures!). Le groupe semble définitivement revigoré.
L'album Victory Lap est composé de 12 chansons d'un punk thrash qui laisse voir (ou revoir) une facette un peu plus mélodique, sans être moins mordante, une sorte d'hybride entre Less Talk More Rock, Potemkin City Limits et le son plus thrash de Supporting Caste et Failed States. La troupe de Glen Lambert est fâchée de l'état actuel du monde, et ils ont un bon perchoir pour pouvoir observer ce qu'il se trame autant ici que chez nos voisins du Sud. Plus que jamais, les paroles sont très tranchantes et d'actualité. Cependant, ils sont aussi venus pour le rock et pour s'amuser, ils ont amené des riffs qui nous sablent le visage d'un punk thrash abrasif et incisif. Les paroles n'en sont pas moins sérieuses et cinglantes, touchant aux travers humains, à la politique, aux droits des animaux, à la surconsommation, à certains fous furieux en charge d'armes nucléaires qui se narguent entre eux au point d'en avoir le doigt sur le piton, et à tous les autres maux qui font en sorte que notre belle planète se rapproche de jour en jour du point de non-retour. Le tout non sans une touche d'humour et de sarcasme et mit en musique de façon sublime et brutale, avec dextérité et aplomb.
L'album s'ouvre sur le premier single qui est paru plus tôt cet été, Victory Lap, avec une grosse ligne de guitare qui fait très thrash metal pour ensuite s'en aller en terrain plus familier avec des mélodies punk et une livraison vocale typique d'Hannah. Ensuite, une des pièces les plus fortes de l'album avec Comply/Resist qui commence tranquillement, pour ensuite devenir un brûlot punk thrash frénétique propulsé par la batterie de Samolesky et la livraison de paroles digne d'une mitraillette de milice guerrilla révolutionnaire. Le reste de l'album déboule comme ça, Kowalski chante sur deux chansons (When All Your Fears Colide, Nigredo) qui sont plus introspectives, reflétant des moments sombres de la vie du bassiste, qui sont aussi sont les chansons les plus métals du disque - laissant le reste des voix à Hannah, qui est vocalement en très grande forme. Kowalski l'est aussi, il a récemment commencé des cours de chant et a découvert qu'il est un bariton naturel, alors qu'il chantait dans un registre beaucoup plus aigu, endommageant ses cordes vocales après des années de spectacles.
Les autres moments forts de l'album: Lower Order (A Good Laugh), une chanson qui traite du tort fait aux animaux et qui raconte les péripéties d'un jeune Chris Hannah et de son premier voyage de chasse, une pièce très efficace, bien imagée par des paroles très prenantes. Nommons aussi les pièces Letters to a Young Anus, la furieuse Cop Just Out Of Frame et In Flagrante Delicto qui sonnent comme du Propagandhi pur et dur. L'album se ferme ensuite sur une pièce appelée Adventures in Zoochosis, celle-ci débute avec une guitare lointaine et un collage sonore de ce qui semble être les enfants d'Hannah qui jouent dans la cour, entrecoupé d'extraits de Trump, "We have to build a wall, we have no choice" pour qu'ensuite la pièce se lance à toute allure dans un éloquent manifeste punk rock sur la peur de laisser un monde fou à nos enfants, et non un meilleur.
L'enregistrement lui, est d'une excellente qualité, fait à Private Ear à Winnipeg (là ou le groupe avait aussi enregistré Failed States) et mixé au Colorado par Jason Livermore chez Monsieur Bill Stevenson, ou autrement dit Le Blasting Room, studio de renom parmi les fans de musique punk. Les guitares sont claires, lourdes et tranchantes - ce qui est très important dans un groupe où les acrobaties de guitares sont nombreuses - la batterie et la basse sont aussi impeccablement capturées, bien à leurs places dans le mix général. Samolesky martèle la batterie de mains expertes, avec une vitesse étourdissante et féroce, ce qui rajoute au côté agressif de la musique. Les voix auraient pu être un peu plus fortes, surtout pour un groupe à texte comme Propagandhi, mais ce n'est pas très dérangeant au final.
Bref, Propagandhi nous servent un album ultra solide où ils parient sur ce qu'ils font bien, puisent dans leurs forces, sans prendre trop de chances tout en revenant par moment au côté plus mélodique de leur époque Fat Wreck Chords du début des années 90. Le tout mis au goût du jour et servi avec cœur, conviction et passion. Un message d'alerte, un avertissement clair sur les chemins sombres que notre société commence à emprunter avec un peu trop d'aplomb, et sur le rôle que nous y jouons, sans trop le vouloir. Vus dans quelle époque nous vivons, nous avions grandement besoin d'un nouvel album de Propagandhi.
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