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Portobello Bones : « On a fait des milliers de kilomètres pour jouer 30 minutes. Mais ça valait le coup. »

Portrait de Matiu
Lionel Fahy : « On a fait des milliers de kilomètres pour jouer 30 minutes. Mais ça valait le coup. »

Avec son groupe Portobello Bones, Lionel Fahy a été, durant une dizaine d’années, l’un des fers de lance de la scène indé française. Rencontre avec un artiste protéiforme incarnant l’esprit DIY et alternatif, de la musique au tatouage.

Pelecanus : Pourrais-tu nous raconter un peu l’histoire de Portobello Bones ?

Lionel Fahy : Portobello Bones a débuté en 1991, lorsque j'étais étudiant à l'institut d'arts visuels à Orléans. J’ai démarré le groupe avec Fabrice Metais. A l’époque on jouait tous dans des petits groupes du côté de Tours, et on s'est rencontrés dans des concerts. On ne savait pas vraiment jouer, d’ailleurs on s’est rapidement grillé un peu partout, tellement on jouait mal, et fort ! Surtout on jouait une musique que personne ne connaissait. Il faut dire qu’à l’époque, on était en plein revival Blues. Et nous, nos influences c’était plutôt The Accused, GBH, Crass, les Dead Kennedys… un autre monde quoi.

A la même époque en France c’était aussi le début pour les Burning Heads, DDT… C’est aussi à ce moment là que je me suis fait virer de l’école d’arts visuels. Je me suis alors inscrit dans une école de management de la musique.

Commençant à apprendre quelques ficelles, on a pu tourner un peu plus régulièrement et je me suis dit que c’était le moment de se lancer et de sortir un disque. A cette époque, c’était le début de la folie du CD. La Fnac bradait tous ses vinyls, tout le monde pensait que ce support fini. Mais de notre côté on avait pas mal de contact dans le petit milieu des fanzines, on a donc malgré tout décidé de sortir un vinyl. C’était en 1993, et c’était le disque avec les arêtes de poisson sur la pochette. On était dans le vrai DIY, on découpait nos pochettes nous-mêmes, on faisait les sérigraphies et on les collait le soir.

J’ai ensuite commencé à envoyer des choses à l’étranger. Et c’est un label allemand, Noise, qui s’est intéressé à nous. Or ils étaient en licence chez WMD Fnac Music pour la France, et le gars de chez WMD était vexé d’entendre parler d’un groupe français par les Allemands ! Ce qui fait qu’on a finalement signé une licence chez WMD.



C’est avec WMD que vous avez sorti l’album Nu ?

Oui, c’était l’époque où on jouait souvent avec Condense, Prohibition, tous ces groupes là. On a sorti Nu en 1995, et cet album nous a assuré une assez grosse distribution au niveau national. Il nous a aussi permis de commencer à voyager à l’étranger. Même si ce n’est peut-être pas mon album préféré, c’est celui qui nous a poussé à nous professionnaliser.

Rapidement on s’est retrouvé à six personnes à vivre de ce groupe et à partir en tournée dans le camion. C’était un esprit de famille. On était trois musiciens sur scène, avec un sonorisateur, un lighteux et un chauffeur. On a fait plusieurs tournées en Europe et au Canada dans cette configuration.

Une autre particularité de Portobello Bones, c’est qu’on a fait le choix de toujours rester producteur de nos albums. On était propriétaire des bandes. Ce qui fait que lorsque WMD s’est cassé la gueule, on a dû cherché un nouveau label pour notre licence. Et c’est comme ça qu’on a fini par signer avec Crash Disc. Et en parallèle on a aussi sorti plein d’autres disques sur mon propre label, Forked Tongs. Des disque d’autres groupes et aussi un live enregistré durant une tournée dans les pays de l’Est, titré Zyqkimasz.



Vous avez développé un lien particulier avec ces pays-là…

Oui. Il se trouve que les pays d’Europe centrale se sont ouverts d’un coup à cette époque, avec un énorme soutien des USA. Et plein de groupes US qu’on admirait ont commencé à tourner là-bas, alors qu’ils ne venaient même pas en France ! Je te parle des Fugazi, Lungfish, Born Against, et la plupart des groupes de la scène Dischord Records. Et en parallèle il y avait un renouveau extraordinaire de la jeunesse dans ces pays, avec des bars qui s’ouvraient partout, des squats, et tout une scène d'extrême gauche très présente et très organisée.

C’est comme ça qu’on s'est retrouvés, via les fanzines, à monter nos propres tournées là-bas. On a même eu un album sorti en Pologne ! Ca s’appelait, "Use your Head" et c’était sur Kukuryku, un label mythique qui publiait en K7 tous les gros groupes du moment ! Ils avaient même les Dead Kennedys sur leur catalogue !

Comment s’est passé le retour en France après ça ?

Le fait de voyager énormément, et dans des conditions parfois sommaires, nous a beaucoup appris et nous a permis de tourner dans de relativement bonnes conditions en France. Ca nous a aussi beaucoup professionnalisés, alors même qu'on était vraiment dans la scène punk. Pas punk à crête, plutôt punk « tu te prends en charge ». Et c’est ce qu’on a fait.

On était aussi dans l'utopie, on croyait qu'on pouvait faire en France ce qui se passait aux US. Des groupes qui s'aident et qui montent des tournées, et puis aussi vendre des disques entre nous de façon indépendante et s'autofinancer. C’est dans cet esprit là qu’on a sorti la compilation « 17 groupes 17 francs » sur laquelle on retrouvait toute la scène de l'époque, Prohibition, Hint, Condense. L’idée de ce disque était qu’on pouvait le re-presser autant de fois qu'on voulait puisqu’on était propriétaires des bandes. Et puis on n'arrêtait pas de tourner, on a dû faire presque 350 concerts. Ce qui ne nous a pas empêché de travailler d’arrache pied jusqu’au bout, en cherchant toujours à nous renouveler. Par exemple notre tout dernier, Eden On Earth, était selon moi notre meilleur album, il ouvrait de nouvelles pistes musicales. Mais le problème c’est qu’on ne récupérait pas vraiment d'argent chez Crash Disc, car en tant que producteur on n’avait pas les mêmes pourcentages.

 



Pourquoi avoir décidé de ressortir l’intégralité de la discographie de Portobello Bones en téléchargement gratuit ?

Comme je te le disais, on était producteur de nos albums donc on en reste propriétaires. Et il se trouve que Crash Disc nous a vraiment entubés à l’époque. Donc quand j’ai appris que Marsu envisageait de ressortir les albums de Portobello alors que le groupe était terminé depuis plus de 10 ans, je me suis dit qu’il fallait réagir.

C’est pourquoi avec Chanmax Records on a décidé de tout ressortir en téléchargement gratuit. Comme ça tout est disponible. Si les collectionneurs veulent acheter des rééditions des disques, libre à eux, mais la musique, elle, est disponible de toute façon.

Je l’ai fait en demandant aux autres membres du groupe de se positionner, aucun ne m’a répondu. On n’a plus vraiment de contact. On nous a proposé de l’argent pour remonter le groupe pour des festivals, ou même pour refaire des disques. Mais à l’heure actuelle je ne suis pas prêt pour ça, je n’aime pas les trucs réchauffés. On aurait sans doute des choses à dire musicalement, mais je pense que c’est terminé, on est tous partis dans des directions différentes.

On a vécu dans des conditions vraiment dures, dormi dans des camions, dans le froid, fait des milliers de kilomètres pour jouer 30 minutes. Mais ça valait le coup. Et en même temps c’était une chance, on s'est servi de ce groupe comme d’une agence de voyage. Ca nous a ouvert sur le monde, ça nous a donné une certaine tolérance, on a eu la chance de rencontrer des gens qu'on aurait jamais rencontrés autrement. Même politiquement ça nous a fait grandir. Ca a été une immense expérience, mais pour moi Portobello Bones c’est vraiment terminé depuis longtemps.

Ta nouvelle carrière c’est le tatouage, y a-t-il un lien entre les deux ?

En fait il n’y a pas vraiment de lien entre les deux mondes, et la musique ne m'a pas particulièrement aidé dans le tattoo. Il a fallu que je me reconstruise en repartant à zéro. On pourrait dire que si la musique m'a ouvert au monde, le tatouage m'a poussé encore plus loin dans les voyages. Dans le milieu du tattoo, il y a des gens qui ouvrent leur boutique et y restent, moi ça m'a emmené aux 4 coins du monde. Un peu comme en tournée, j'ai dormi par terre chez des gens, j'ai eu un mode de vie nomade. Mais de toute façon je suis comme ça, je ne suis bien qu’en voyage, je me fous du luxe. Je suis un peu atypique par la force des choses, comme avec la musique, comme avec le style de tatouage que je fais.

Mais tu as encore des projets musicaux ?

En fait j’avais totalement arrêté la musique pendant 10 ans. Pour moi c'était une page tournée et j'étais totalement occupé par le tatouage.

Et puis un jour je suis allé voir un concert, tout seul, un peu par hasard. C’était un groupe sud-américain. Pendant la première partie je me disais « ah oui je comprends pourquoi toute cette musique là c'est fini pour moi ». Ca ne me parlait pas je m’ennuyais un peu tout seul à ce concert… et puis est arrivé le groupe tête d’affiche. Ils se sont pointés à 23h. Ils avaient eu un problème avec leur camion, le genre d’histoire que je connais, tellement banale pour un groupe en tournée ! Et voilà ces gars à peine descendus de leur camion qui sortent leur matos, branchent les amplis, ils ne font même pas de balance et ils ont commencé à jouer, direct. Et là ils ont scotché tout le monde, un truc de fou ! Tu vois j'en ai encore la chair de poule quand je t’en parle ! Je me souviens même plus vraiment du nom du groupe, un truc improbable, genre trash métal brésilien, mais j’ai pris ce concert en pleine tronche. Ca m'a fait une source incroyable d'énergie positive ! Du coup je suis retombé dans les disques que j'ai par milliers à la maison, et j’ai repris plaisir à les écouter.

Peu de temps après ça, un gars est venu me chercher. Il m’a convaincu de venir à une répétition avec son groupe. J’étais réticent, mais il a insisté, alors j’ai fini par ressortir mon ampli, retrouver ma guitare, j’y suis allé … et après 10 minutes de repet’ j’étais à fond, excité comme un gosse !

Donc me voilà à nouveau dans un groupe, qui s'appelle Granit665. D’une certaine façon je suis retombé dans la musique tête baissée en rejouant avec Granit665. Et comme je sais un peu y faire, on a eu la chance d’enregistrer avec un producteur anglais, Chris Hamilton, on a dégoté un label. En un an de temps on a fait 2 disques, un en vinyl et un en CD. On a aussi fait un disque pour un label russe, avec comme invitée Stéphanie Cabdevilla.

J’ai aussi monté un autre projet musical avec Stéphanie, totalement différent du nom de Copenhagen. Ce projet là a également donné 2 disques, un sur IKK et un sur Chanmax qui s’appelle "Sail away with me" et qui est également disponible en téléchargement gratuit.

A quand un prochain album de Granit665 ou de Copenhangen ?

Alors Granit, c’est assez particulier et très peu de gens aiment ce qu'on fait. C'est une musique incompréhensible pour beaucoup, car c'est à la fois lourd et répétitif. On aime bien le côté derviches tourneur, presque en transe, mais avec un très gros son. En termes de style on a le cul entre 2 chaises, car c’est moi qui chante et je ne sais pas faire autrement que chanter mélodique. Du coup on n'est pas dans le métal extrême non plus.

En fait je crois que je préférerais ne pas chanter, ne faire que de la rythmique, tu vois… Mon rêve c'est d'être comme Rudolf Schenker le guitariste de Scorpion, ou Malcom Young, le genre qui reste derrière et déboite tout avec 2 accords !

Mais ce qui est sûr c’est que ce groupe a une identité. Car on est au service du groupe, pas d’un égo. La moyenne d'âge dans Granit665 est dans les 35-45 ans, avec des musiciens qui ont beaucoup d'expérience. Donc même si on n’est pas accessibles on s’en fout, on ne cherche pas à plaire. C’est un peu la même chose avec Copenhagen. C’est aussi un peu bizarre, très calme, ça va parler à très peu de gens, mais ça n’est pas grave.

Comment te situes-tu maintenant par rapport à ce que tu faisais avec Portobello Bones ?

Maintenant, clairement, je suis tatoueur. La musique, ces deux groupes, ce sont des projets en plus, dans des styles totalement différents. Copenhagen c'est une sorte de correspondance, quelque chose de très personnel. Alors que Granit665 c'est un groupe de mecs, ça sent des pieds et ça boit de la binch’ !

Pour Copenhagen j’ai déjà cinq ou six titres en préparation, mais c’est un processus assez lent. J'aurai certainement des invités sur ce projet, je me réserve cet hiver pour travailler dessus. Ce sera à nouveau quelque chose de doux, très intimiste.

Pour Granit il y a eu des changements dans le groupe et après le premier album on remonte le groupe en formule à deux basses. On est en train de caler des répétitions et on a effectivement en projet un second album.

J’aime bien cette dualité, qu’on retrouve un peu chez les êtres humains finalement. On peut être doux, être posé dans l’intimité, et puis avoir aussi parfois besoin de déchirer, d'envoyer du lourd sur un gros ampli Marshall. Il n'y a pas d'incompatibilité entre ces deux univers, ça fait partie de moi.

Dans tous les cas, l’essentiel est de s’exprimer en restant vrai. Et peut-être toucher un peu les gens, voire leur donner l’envie de faire des choses et s’exprimer à leur tour. Et même si ça n’était pas ton intention à la base, et bien si ça arrive, on peut dire que ça n’aura pas été en vain.

 

L’intégralité de la discographie de Portobello Bones est disponible en téléchargement gratuit, sur le site du label Chanmax Records :
http://www.chanmaxrecords.com/PB/

La page de Granit665 sur le site de Chanmax Records
http://www.chanmaxrecords/granit665

L'album de Copenhagen « Sail away with me » est disponible en téléchargement gratuit sur le site de Chanmax Records :
http://www.chanmaxrecords.com/csawm/

Pour en savoir plus sur la carrière de Lionel Fahy comme tatoueur :
une interview plus centrée sur le tatouage :
http://www.fortybubbl.es/node/21

et son blog :
http://lioneloutofstep.blogspot.fr/

Lionel Fahy : « On a fait des milliers de kilomètres pour jouer 30 minutes. Mais ça valait le coup. »
Mangeur de udons, buveur de whisky, amateur de sci-fi et de musique indé. Dilettante professionnel.

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