Vous êtes ici
Voïvod : "Profiter de la vie à travers tout ça. C'est ça qui nous allume"
Le jeudi 24 janvier dernier, les légendaires musiciens de Voivod proposaient à leurs amateurs une soirée bien spéciale. Le Café Chaos était l'hôte du lancement de leur treizième album studio intitulé Target Earth. Pour l'occasion, nous avions la chance d'acheter l'album en primeur et nous pouvions également rencontrer les musiciens lors du déroulement de la soirée. Les quatre membres actuels étaient présents pour cet événement intime, Pelecanus n'allait évidemment pas passer à côté de cette opportunité d'entrevue. À la base, nous avions rendez-vous avec l'un des membres fondateurs du groupe, soit Denis Bélanger (chant) ou encore Michel Langevin (batterie). Pour une raison de logistique, nous nous sommes retrouvés avec le sympathique nouveau guitariste Dan Mongrain. Malgré le manque de préparation par rapport à cette situation, nous avons passé un bon moment à discuter du groupe. Voici le résumé de la rencontre entre deux admirateurs inconditionnels de Voivod.
Enchanté de vous rencontrer, je suis William et je représente le webzine Pelecanus.
Enchanté, moi c'est Dan.
Tout d'abord, je vous remercie d'avoir pris l'initiative de créer un événement de ce genre afin d'écouter le nouvel album et de prendre du temps avec vos fans. Est-ce la première fois que Voivod tente l'expérience, du moins depuis ton arrivée dans la formation ?
Je pense qu'il y a toujours eu des lancements ou des listening parties, mais pas nécessairement à Montréal. Parfois, ils avaient lieu ailleurs. Pour autant que je me souvienne, il n'y en a pas eu à Montréal, mais plutôt aux États-Unis lorsque le groupe était avec Jason Newsted lors de la sortie des albums Infiniti et Katorz. J'ai assez suivi Voivod comme fan, alors j'aurais entendu parler des événements si nous en avions eu à Montréal, hahaha.
C'est bien puisqu’au final l'entrevue se déroule entre deux fanatiques de Voivod.
Haha, ouais c'est exactement ça. C'est une soirée assez fun jusqu'à présent.
Évidemment, Target Earth vient tout juste de sortir et la première question qui me vient en tête est la suivante, quelle a été la réaction des musiciens face à cette situation de composition à quatre membres actifs qui survenait pour la première fois depuis plusieurs années ?
Je pense qu'ils ont toujours composé proactif à quatre, il est certain que les idées se dessinent parfois d'un bord puis de l'autre. Avec Jason, ils ont fait beaucoup d'improvisations et de jams, ils ont toujours fait ça Voivod, partir des improvisations pour créer les tounes. On a fait ça un peu pour cet album là, Blacky est arrivé avec plein d'idées, moi je suis arrivé avec mes idées aussi et on a jammé tous ensemble et on enregistrait nos improvisations. C'est devenu ensuite le noyau de certaines tounes. Il y a d'autres tounes qui étaient composées un peu plus à l'avance, mais aussitôt qu'on arrivait au local ça devenait du Voivod en pas long, parce que tout le monde y mettait sa couleur, puis c'est comme ça que l’album s'est sculpté. En travail d'équipe.
Parlons justement de ce nouveau disque, sa sonorité rétro est assez frappante. À notre grande surprise, nous avons l'impression de nous retrouver à l'époque de Dimension Hatröss. Est-ce que ce genre de retour aux sources était une chose naturelle ou même préméditée pour Voivod après une carrière aussi longue et tumultueuse ?
Je pense que tous les albums sont purement Voivod. Le fait qu'on ait joué du matériel des années 1980-90 durant deux ou trois ans avant de composer et le retour de Blacky dans le band joue pour beaucoup dans le son global. Je pense qu'il y a des éléments d'à peu près tous les albums sur Target Earth et ça boucle bien le trentième anniversaire du groupe. C'est un résumé, ça traverse toutes les époques de Voivod, toutes les couleurs. C'est certain que le son Blacky, le son original du band, mixé avec une nouvelle touche, une nouvelle chimie, un nouveau line-up fait en sorte qu'on touche un peu à tout, mais avec plusieurs nouveaux éléments.
Ton arrivée officielle au sein du groupe et le retour de Blacky ont-ils redonné envie aux autres musiciens de relancer la machine ?
Voivod s’était fini à une certaine époque. Le premier show qu'on a fait ensemble c'était vraiment un hommage à Piggy, un hommage à la carrière de Voivod et ça a été bien émotif. Après ça, il y a eu d'autres offres et ça n'a jamais arrêté. De fil en aiguille, on ne s'est pas trop posé de questions et les gars étaient contents de retourner sur scène. Ça s'est fait au fur et à mesure, les gars ne se sont pas dit let's go on recommence et on fait un album dans quatre ans. C'est arrivé un jour à la fois.
De quelle façon les membres de Voivod t'ont-ils découvert, était-ce justement lors d'un concert hommage ?
En fait, j'ai rencontré Blacky en 2002 et on a fait une couple d'affaires ensemble, on est devenu de bons amis. Au travers de ça, Piggy est tombé malade et il est décédé. De mon côté, j'ai fait un hommage à Voivod sur un album de Martyr et c'est Blacky qui jouait la basse sur la toune. À un moment donné, on a fait un medley de Voivod, moi et Blacky avec un band qu'on s'était monté pour les vingt-cinq ans du métal québécois et la famille de Piggy, de Snake et Away était dans la salle cette soirée-là. C'est là que le déclic s'est fait dans leurs têtes. Finalement, ça s'est concrétisé après.
La stabilité et le bonheur de jouer semblent être plus présents que jamais au sein du groupe, diriez-vous qu'après une trentaine d'années d'existence vous ayez atteint un certain équilibre qui permet de prolonger la carrière de Voivod ?
C'est clair pour moi que c'est du monde résilient, ils sont forts dans l'adversité. Ils ont traversé toutes les épreuves possibles, j'ai entendu des histoires complètement folles de tournées. Ils ont été autant dans les tops que dans les creux les plus profonds. Des accidents, la mort versus des moments de gloire. C'est pour ça que les gars savent qu'il n'y a rien d'acquis et que c'est au jour le jour. Toutes les choses qu'on vit en ce moment ensemble, on est heureux de les vivre et on ne regarde pas trop loin en avant. On a un bon espoir de continuer pendant un petit bout encore, à date ce qui se passe est assez magique et on en profite.
Félicitations, tu incarnes très bien le rôle que tu as au sein du groupe, tu rends pleinement hommage à Piggy.
Merci beaucoup, en fait je pense que Piggy est toujours là à travers son héritage musical. C'est un honneur de participer à l'aventure.
Est-ce que j'ai raison de croire que tu as un peu laissé ta vie musicale et tes autres projets de côté pour vivre l'expérience pleinement avec Voivod ?
Pas vraiment, j'ai toujours joué dans un paquet de groupes. À un moment donné, j'avais douze groupes en même temps. Ça ne m’a jamais empêché de donner la priorité à certains groupes qui étaient plus créatifs plutôt que des projets moins originaux. C'est-à-dire, dans le sens de pas de composition. Par contre, l'appel de Voivod est là et je me sens impliqué dans ce projet-là et je suis très content d'y être et de faire partie de l'aventure. C'est vraiment magique ce qui se passe et c'est dur à décrire. En fait, pour un petit jeune de onze ans qui a acheté son premier album avec son propre argent, un album de Voivod à l'époque où je ne jouais même pas de guitare encore. Quand je pense à cela aujourd'hui, j'ai dû mal à expliquer ça. Il n'y a rien à expliquer en fait, ça se vit. Je suis content d'être là, j'aimerais mieux que Piggy soit là et être dans la salle en train de le regarder jouer. La vie étant ce qu'elle est, c'est un honneur pour moi de participer à ça.
Avec ces paroles, tu confirmes bien ma vision de Voivod. C'est un groupe vrai, humain et très généreux avec son public.
Je pense que c'est le secret de leur survie aussi, leur intégrité, leur unicité, leur authenticité.
J'imagine que la condition actuelle facilite la décision de continuer à faire de la musique. D'ailleurs, les amateurs semblent être plus présents que jamais ?
La dernière tournée qu'on a faite en Europe, pas que les premières n'étaient pas bonnes parce que c'était super le fun et il y avait bien du monde, mais la dernière fois on sentait l'énergie de plus en plus. C'est exponentiel partout où on va. Avec le nouvel album, on le sent déjà, avec les critiques, la perception du monde, le message qu'on reçoit des fans. Les retours sont bien bons, il y a un espèce de revival, une flamme qui prend de la force et c'est super. On est tous bien contents de ça.
Est-ce que tu crois que la participation à des festivals du genre (Roadburn, Maryland Deathfest, Heavy MTL, etc) a permis de vous remettre un peu dans l'actualité ?
Voivod est un peu passe-partout à travers tout ça. Ils ont des tounes de plusieurs styles de musique, ils se faufilent bien dans n'importe quel contexte. Alors oui, il y a des jeunes qui ne connaissaient pas Voivod et qui nous découvrent de plus en plus dans les shows. Il y a des jeunes aussi qui connaissent Voivod de par leurs parents, leurs cousins et ils connaissent le répertoire. C'est capoté de voir des jeunes de quinze ans chanter en avant du stage, je me rappelle en Allemagne à un moment donné, il y avait un kid qui avait à peu près huit ans et qui savait Jack Luminous au complet. Une toune de dix-sept minutes, il était sur les épaules de son père et il tripait. C'est le fun de voir ça. La musique s'est immortalisée, c'est intemporel. C'est ça qui est le fun.
J'ai d'ailleurs découvert Voivod grâce à mon oncle d'une quarantaine d'années qui m'a prêté sa collection de CD et je suis tombé sur Phobos. Ce disque a changé ma vie et ma perception de la musique.
C'est un bon album, je l'aime beaucoup. Tu as raison, j'ai adoré la période avec Eric Forrest, j'ai adoré Phobos, c'est un de mes albums préférés de Voivod. Le côté psychédélique, bien vaporeux, bien crotté. J'ai beaucoup aimé cet album moi aussi. C'est un disque qui a eu un peu moins de succès, mais Voivod ce n’est pas fait pour avoir un succès commercial de toute façon. Ça a un succès avec le monde qui aime ça, pis il y en a en masse.
Puisque tout va bien actuellement, c'est un peu étrange de poser la question, mais avez-vous déjà songé à stopper Voivod ?
À la mort de Piggy le groupe était arrêté, c'était clair pour moi que Voivod c'était fini. C'était clair pour tout les gens sur la planète qui connaissaient Voivod. Ce n’est pas ça qui s'est passé, je pense que c'est une des meilleures façons d'honorer Piggy aussi. Que les gars soient encore sur scène, qu'on joue ses tounes à lui et qu'on continue à garder son esprit et sa sonorité à travers les nouvelles compositions. La tournée, le voyage, la rencontre avec les gens, les fans. De profiter de la vie à travers tout ça. C'est ça qui nous allume.
L'effort acharné et justifié de sortir les derniers albums où Piggy avait fait la composition semble avoir porté ses fruits, quel effet ça fait de compléter des albums qui faisaient déjà partie du passé avant même leur sortie ?
Moi je n'étais pas là, je me mets dans leurs peaux et je me dis que c'est comme écouter le message laissé sur un répondeur par une ex-blonde ou encore de tes meilleurs chums qui sont décédés, que tu n'as jamais effacé la cassette et que tu réécoutes ça. Ça doit être terrible, mais en même temps j'imagine que ça les a aidé à vivre le deuil pleinement. Je te dis ça sous toute réserve, ils ont été très résilients à travers cette épreuve-là. Ça n’a pas dû être facile d'enregistrer après la mort de Piggy. Je ne m'imagine même pas ce que ça doit être pour eux. Je leur lève mon chapeau de l'avoir fait.
Est-ce que les chansons de Katorz et d'Infini sont encore jouées en prestation ?
Oui, on en a une ou deux qu'on a gardées dans le répertoire. Dépendamment des jours, des shows et du temps alloué, on les fait encore.
Vous avez eu la chance de faire partie du Festival Roadburn ces deux dernières années, festivals auxquels j'ai d'ailleurs assisté, comment le contact s'est-il produit entre votre groupe et Walter ?
Walter est un admirateur de Voivod, il connaissait Michel. Je ne sais pas trop comment l'approche s'est produite. Par contre, ç’a été un des festivals les plus riches en termes de diversité musicale, l'attitude des gens qui vont là est incroyable, l'ambiance totale. Le fait de pouvoir aller voir plein de bands pendant quatre jours, dans plein de contextes, dans plein de styles. C'était vraiment magique les deux fois où on y est allé et on a eu l'honneur de pouvoir choisir une journée l'année dernière. On a pu inviter plein de chums, plein de bands qu'on aimait. J'ai adoré le fait qu'on ait pu interpréter Dimension Hatröss en entier pour la première fois, c'était quelque chose d'assez unique. C'est aussi là qu'on a joué Jack Luminous pour la première fois, une toune de près de vingt minutes. C'est quelque chose de très mémorable, dans toutes les sphères du festival et pour le groupe. C'est dur à décrire, il faut le vivre pour pouvoir l'expliquer.
L'expérience de l'année dernière fut encore plus particulière puisque vous étiez les curateurs de votre événement "Au-Delà Du Réel". Voici une question un peu plus indiscrète, mais est-ce qu'il y a un groupe que vous auriez aimé attirer, mais qui n'a pas pu être de ce festival ?
Oui c'est sûr, il y en a une couple que l'on aurait aimé avoir. Certains étaient simplement hors budget et d'autres n'étaient pas disponibles. On est contents d'avoir attiré les groupes qu'on voulait, autant les plus connus que les moins connus. C'était des groupes qu'on aimait tous. Pis j'étais content de partager la scène avec tous ces bands là.
L'an dernier vous avez reproduit à deux occasions l'album Dimension Hatröss en intégralité, est-ce que l'expérience de Montréal était une demande faite par la communauté en réponse à votre expérience en Europe ?
Non, on voulait le faire à Montréal aussi. On tenait à refaire le concert ici et il y avait du monde qui le voulait aussi. On voulait vraiment le faire. Même en Europe, c'était nous autres qui avions suggéré ça à Walter. On voulait faire quelques choses de spécial pour l'occasion.
J'imagine que la réponse serait différente pour chacun des membres, mais si tu avais le choix de reproduire un seul album, est-ce que Dimension Hatröss serait ton choix ?
Ah oui, moi je les ferais tous. Hahaha. C'est pas compliqué.
Pour la dernière question, j'aimerais que tu nous parles tout simplement de ce que Voivod nous réserve pour 2013, quel genre de tournées ou de projets sont à anticiper de votre part ?
Beaucoup de tournées, beaucoup de shows. Il est encore tôt, mais c'est sûr qu'on va tourner beaucoup en Amérique du Sud, au Texas, au Canada. Après ça, on va commencer la tournée en Amérique du Nord et ensuite l'Europe. Ensuite, on veut aller dans des marchés qui s'ouvrent tranquillement comme l'Asie, la Chine, retourner au Japon, aller en Australie, Nouvelle-Zélande on aimerait bien ça. On veut faire le tour du monde finalement.
Après trente ans de carrière, je pense que vous le méritez amplement. Merci infiniment pour tout ce que tu fais avec Voivod.
Merci beaucoup, c'est très gentil.
Chroniqueur montréalais pour Pelecanus depuis juin 2010 ayant participé à l'organisation de concerts ainsi qu'au défunt projet de webradio. |
Ajouter un commentaire