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The Young Gods - The Young Gods (1987)

Portrait de Martin
The Young Gods - The Young Gods (1987)

1987. C’est l’année où un certain groupe irlandais lance un album qui marquera les sphères de la musique pop pour les décennies à venir, le consacrant maître du monde. Le « roi de la pop », lui, lancera son album « Bad ». C’est aussi l’année où Margaret Thatcher est réélue au Royaume-Uni et où Ronald Reagan met au défi Mikhail Gorbatchev de détruire le Mur de Berlin. Au Canada, la pièce d’un dollar (le « loonie ») fait son apparition.

1987 est aussi l’année où un certain trio suisse se prénommant « The Young Gods », d’après le EP des Swans, lance son premier album, éponyme. Le génie du trio composé d’un chanteur, d’un batteur et d’un clavier/échantillonneur, l’établira dans les sphères de la musique alternative des années durant, sans jamais susciter les vagues que ses adeptes susciteront (comme Trent Reznor). Pourquoi alors en parler ? « The Young Gods » est un chef d’œuvre qui n’a jamais eu la reconnaissance à laquelle il avait droit. Comme maints autres albums précurseurs, déchiffreurs, ceux qui ouvrent la voie aux suivants qui eux deviennent garants de succès, le premier album du trio établira un son nouveau, à l’apogée de la technologie moderne du temps, utilisant ces ressources au maximum et développant sa niche, son créneau et son individualité.

Aucune guitare, aucune basse à l’horizon, on penserait avoir affaire à un groupe new wave donnant dans l’électro-pop. Cependant, et malgré sa structure, le trio est tout ce qui a de plus « rock ». Un chanteur avec une présence allumée, remarquable, physique, capable de varier les intonations du plus guttural au plus mélodique, un claviériste qui traite ses échantillonnages comme des instruments mélodiques, littéralement musical dans le sens propre du terme et un batteur strict, mesuré, n’ayant pas peur de battre la cadence et qui fait office d’une retenue exemplaire.

On aurait essayé d’imaginer un truc du genre que notre imagination ne nous aurait servie qu’au quart du pouvoir du groupe. Le hip-hop s’établissait lentement, pourvoyeur de nouveaux sons, mais l’attitude courante restait simpliste à la structure rock traditionnelle. Une année auparavant, Ministry, avec son album « Twitch », osera explorer timidement les possibilités de s’éloigner de cette électro-pop insipide et découvrir cette technologie obscure. Les Belges de Front 242, tout en gardant le côté dansant, scruteront et incluront les échantillonneurs parmi leur base de synthés et claviers. Les Young Gods, eux, pousseront l’audace jusqu'à en faire partie intégrante de son unité, un instrument musical à part entière. Franz Treichler, le chanteur du groupe, est un guitariste formé en conservatoire mais on n'aurait peine à trouver un amplificateur de guitare en studio ou sur scène.

Sans doute sans surprise, le groupe se trouvera un groupuscule d’adeptes dans les scènes post-industrielle et gothique, signature sur Wax Trax! et production de Roli Mossiman (Swans) obligent. L’originalité du groupe, un trio suisse chantant seulement en français, viendra ajouter au charme que les contre-cultures lui trouveront. Ce sera aussi, malheureusement, une raison pour laquelle le trio restera en arrière-plan des années durant avant de trouver un certain succès avec une pièce anglophone sur la trame sonore du film « Sliver » (« Skinflowers »).

« The Young Gods », offre d’emblée un titre occulte, « Nous de la Lune », une pièce lourde aux accents martiaux avec cloches et distorsion, rappelant Laibach et Swans. « Jusqu’au bout » se plait à engager un post-modernisme notable, des échantillonnages d’instrumentation classique, une batterie en effervescence, tout en gardant des structures repérables. « À ciel ouvert », dans son agressivité et son temps court (1 :47) est remarquable par sa puissance nihiliste palpable. « Fais la mouette », tel un terme dadaïste faisant fi des conventions, mélange synthés, échantillonnages de guitare et une fin belliqueuse. Un terme qui reviendra fréquemment dans les compositions des Young Gods est celui de « collage » ou plus à propos celui de « peinture sonore », elles font littéralement voyager, elles sont particulièrement distinctes les unes des autres qu’elles tiennent la route à elles seules.

Pour ce premier album, c’est « Jimmy » et « Envoyé! » qui retiendront l’attention et attireront les fans, sans doute car elles sont les pièces les plus « rock » dans le sens légal du terme mais aussi les plus endiablées. Elles deviendront des « classiques » incontournables dans les prestations du groupe.

Plus de 25 ans après la parution de cet album, le groupe fait toujours fi des conventions. Même s’il attend toujours le succès auquel il a droit, il a le mérite d’avoir influencé maints artistes tels que Trent Reznor, David Bowie (pensons « Outside ») et Mike Patton. Ce premier album éponyme est un obscur classique, un opus culte où les initiés y savourent des moments de grande musique. Les amateurs de musique originale, autant que les curieux et ceux qui désirent remonter les lignées et l’héritage musical des artistes énumérés précédemment, peuvent y jeter une oreille et décider par eux-mêmes.

Les albums suivants du groupe sont tous aussi excellents, l’idée de se renouveler sans cesse n’étant pas étrangère. Cependant, cet album, il n'y en a qu’un, sait définir son apport en testant les contraintes et limites du temps et de la technologie. Il peut rester par lui seul, contre vents et marées, se taillant une place de choix dans la culture musicale des érudits et autre fans de vraie musique.

The Young Gods - The Young Gods (1987)
The Young Gods
The Young Gods
Nous De La Lune
Jusqu'Au Bout
À Ciel Ouvert
Jimmy
Fais La Mouette
Percussionne
Feu
Did You Miss Me
Si Tu Gardes
À saisir.

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