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Basic House - Visa Prick (2015)
Basé au nord-est de son Angleterre natale, le musicien Stephen Bishop ne cesse d’attirer les regards de la sphère musicale électronique. Son adolescence, vécue dans la ville de Newcastle, fut bercée par des harmonies pesantes et furieuses. Sa passion pour les styles hardcore, screamo, noise et punk le guida dans les sentiers de quelques labels américains comme Ebullition, Gravity ou encore le défunt Level Plane. Fervent collectionneur des nombreux singles à paraitre sur ces étiquettes à l’esprit « do it yourself », il forgea ainsi son penchant pour la musique en édition limitée et artisanale.
Bishop, seul membre du projet Basic House, s’est façonné une solide réputation depuis la fondation de son label Opal Tapes en 2012. Quelques années plus tard, il s’agit d’une véritable institution de la scène électronique marginale. Spécialisé dans la production de cassettes en très faible quantité, le Britannique contrôle toutes les étapes de production à l’intérieur de sa compagnie. Il ne laisse rien au hasard, que ce soit la recherche de nouveaux talents, la confection des pochettes, le mastering, jusqu’à la promotion et la distribution. Le sentiment de rareté qui s’empare des parutions de l’étiquette crée alors le repère parfait pour certains artistes émergents ou encore des plus réputés qui auraient envie de balancer des compositions plus déjantées qu’à leurs habitudes. L’assoiffé de musique décrit sa méthode de recherche comme un jeu, où il se donne une heure pour dénicher un artiste sur le web qui a moins d’une cinquantaine d’écoutes, mais qui défonce littéralement. Cette vision très pointilleuse et acharnée de la musique se reflète évidemment dans la sonorité très riche de Basic House.
La nouvelle création du musicien britannique, soigneusement baptisé Visa Prick, est d’ailleurs parue sur son propre label en édition ultra-limitée de cinquante cassettes. Il est totalement absurde de penser qu’une oeuvre de la sorte ne verra pas le jour plus largement sur le marché. Mon opinion ne semble malheureusement pas être la même que celle de Bishop puisqu’à l’intérieur du visuel, la phrase suivante est méticuleusement inscrite ; « A bunch of shitty dance tracks ». Pourtant, l’album paru en janvier dernier se présente à nos tympans comme une véritable collision de musique électroacoustique, de techno croustillante et d’expérimentations sonores délectables. Dès les premiers instants de Roe, le rythme frénétique captera votre attention et vous entrainera dans un splendide périple de plus de dix minutes. Cette escapade en terre inconnue est purement vivifiante, des percussions ahurissantes parsèment l’intégralité du morceau. Vous aurez l’impression de danser au beau milieu de la jungle tout en étant encerclé par une tribu frappant sur des tambours étrangement futuristes. Ce premier titre est monumental, un véritable labyrinthe sonore dont l’auditeur n’a assurément pas envie de s’échapper, vous n’y ferez pas exception.
À l’intérieur du visuel, la phrase suivante est méticuleusement inscrite ; « A bunch of shitty dance tracks »
La complexité ainsi que l’originalité de Basic House sont aisément palpables, la recherche d’un son différent est une caractéristique fondamentale de la démarche artistique du musicien. Une amusante anecdote permet de bien comprendre l’ampleur de la motivation du personnage: lorsqu’il était plus jeune, il en eut assez de la scène noise entourant Newcastle, il s’exila alors durant six mois en compagnie d’un ami pour aller concevoir du son à l’intérieur d’une cabine en bois située à 45 kilomètres de toutes villes avoisinantes dans une vallée irlandaise. Même si selon ses écrits cette expérience fut relativement négative, j’adore percevoir ce genre de flamme artistique chez un musicien. Cette fraicheur mélodique se ressent d’ailleurs merveilleusement bien sur des titres comme Cones et P.G Bruce. La maitrise prodigieuse des percussions sur l’intégralité de l’album est bouleversante. Malgré l’efficacité de la première composition, l’élément clef de Visa Prick restera néanmoins le captivant troisième titre. L’aspect tribal et dansant de Roe et Harlequin s’écarte doucement afin de laisser place à une profondeur déstabilisante sur Cones. La trame de fond de cette création est surprenante, les éléments réjouissants se multiplieront au fil des nombreuses écoutes que vous lui accorderez. C’est d’ailleurs à partir de ce morceau que l’influence de la scène musicale ambiante, drone et électroacoustique se fait grandement sentir dans la sonorité de Basic House.
Il s'exila durant six mois en compagnie d'un ami pour aller concevoir du son à l'intérieur d'une cabine en bois situé à 45 kilomètres de toutes villes avoisinantes
Visa Prick ne plait peut-être pas à son créateur, mais il possède les atouts pour satisfaire la majorité des amateurs de musique électronique. Son style hybride fonctionne sur l’ensemble de l’album, un son qu’il décrit d’ailleurs comme l’équivalence de ce que vous entendez lorsque vous êtes défoncé dans les toilettes d’un bar, mais que vous entendez résonner la musique dans la pièce principale. En outre, nous pourrions résumer par une phrase qu’il a lui-même déjà utilisée et qui se veut plus efficace dans sa langue originelle « It’s the middle ground between the dancefloor and toilet bowl ». À mon humble avis, cette métaphore veut simplement dire que la musique de Basic House plane entre plusieurs scènes musicales. Les compositions sont sans doute trop dansantes pour les amateurs de musique expérimentale, cependant elles doivent également être trop expérimentales pour les fanatiques de techno plus conforme. Allez savoir pourquoi, mais je sens que je suis exactement le public cible pour ce genre de crossover en matière de musique électronique. Une panoplie de surprises vous guettent sur cet album et vous aurez du mal à ne pas mettre certains morceaux en répétition sur votre lecteur. Le seul petit bémol de Visa Prick se trouve au niveau du positionnement des titres, l’inutilité d’une composition comme Charm Crawl en clôture d’album est déplorable. Les morceaux plus atmosphériques auraient certainement dû être intégrés entre deux pièces plus étoffées et non tous refoulés en deuxième moitié d’album. Toutefois, ce minime détail ne justifie en rien l’utilisation de la désormais fameuse inscription « A bunch of shitty dance tracks ».
Chroniqueur montréalais pour Pelecanus depuis juin 2010 ayant participé à l'organisation de concerts ainsi qu'au défunt projet de webradio. |
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