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Roadburn 2017 : jour 03 - « Tout fout le camp »

Portrait de Andrey
Roadburn 2017 : jour 03 - « Tout fout le camp »

Si vous êtes déjà allé à un festival dans votre vie, vous connaissez forcément cette petite feuille imprimée avec des groupes surlignés au marqueur. Cette feuille, qu'on garde à l'abri de la pluie avec autant de véhémence que s'il s'agissait d'un livre sacré, nous dicte quoi faire pendant le festival, sans elle on ne sait plus dans combien de temps joue Chelsea Wolfe, combien de morceaux on peut rester devant Ulver sans louper Emma Ruth Rundle, quand aller manger; bref, sans elle tout fout le camp. Cependant, il arrive aussi que le running order ne nous arrange pas, et on se retrouve avec une feuille tristement peu surlignée, errant ainsi d'un groupe à l'autre tel une âme perdue. Et si je vous parle de tout ça, c'est parce que, vous l'avez sûrement deviné, ce fût mon cas aujourd'hui.

Je commence la journée calmement, par quelques morceaux de No Spill Blood. Plutôt inattendu, le groupe joue un mélange curieux de sludge et d'electro, la partie lead étant assurée par des synthés bien abrasifs. Ça joue bien et ça me donne bien envie de jeter une oreille aux albums en rentrant, mais hélas je n'ai pas le temps de trainer. Il FAUT se placer pour Cobalt.

Une chose a cependant changé: ça pue la mort dans la salle.

Si vous avez lu mon article pré-Roadburn, vous devez savoir que Cobalt faisait partie des groupes que j'avais le plus hâte de voir. Un excellent album de black metal/hardcore, des morceaux aux refrains bien percutants, des petites sonorités Toolesques ci et là, bref tous les ingrédients étaient réunis pour une bonne grosse claque. C'était sans compter sur le nouveau chanteur, Charlie Fell (ex-Lord Mantis). Non pas que son chant soit mauvais, le souci se trouve plutôt du côté de l'attitude sur scène. Le musicien (très probablement plus défoncé que tous les spectateurs réunis), tire des grimaces, se dandine comme s'il avait 16 ans et qu'il était en boite, tire sur des cordes invisibles, et arrive très rapidement à dégager un je-ne-sais-quoi qui me met curieusement mal à l'aise. Si je suis à fond dedans pendant le premier morceau (Hunt the Buffalo), l'enthousiasme retombe dès le deuxième, que j'adore pourtant en album (Cold Breaker, putain !). L'apothéose arrivera au troisième morceau (Witherer). Charlie Fell s'en va de la scène pendant un passage instrumental, puis revient à la fin de celui-ci, trempé, pour reprendre ses étranges gesticulations comme si de rien n'était. Une chose a cependant changé: ça pue la mort dans la salle. Genre, vraiment. Les gens commencent à se retourner, cherchant la source de la puanteur, et les premiers rangs se vident de plus en plus. Je tiens jusqu'au début du quatrième morceau puis déguerpis aussi, ne supportant plus l'odeur (qui semblait être du vinaigre) ni l'attitude redneck qui se dégage de la scène. Pour couronner le tout, les musiciens additionnels (Cobalt étant à la base un duo), sans être mauvais, dégagent vraiment une impression de "musiciens live", pas plus impliqués que ça dans les riffs qu'ils jouent. Bref, je serais bien curieux de revoir ce groupe dans d'autres conditions, mais en attendant c'est une grosse déception.

Ne sachant pas trop quoi faire, je me décide à suivre mes amis à Oranssi Pazuzu. Les Finlandais sont déjà passés au Roadburn l'année dernière, mais une petite erreur dans l'estimation de leur popularité les a placé dans la Het Patronaat, provoquant une queue démesurée à l'entrée de la salle. Le festival a donc décidé de corriger ça en les réinvitant cette année, cette fois sur la Main Stage. Parfait, ça me donne donc une occasion de les voir, même si je dois avouer que je n'ai jamais trop accroché en studio. J'entre donc dans le pit photo, totalement insouciant et absolument pas préparé à ce qui va venir. Dès le premier morceau, le son est hallucinant, la maitrise des musiciens aussi, et je ne comprends juste pas comment j'ai fait pour ne jamais accrocher à ce groupe auparavant. Mais ce n'est rien comparé à la branlée absolue que sera le deuxième morceau, Saaturatio. Ce titre commence par un riff lancinant et hypnotique (qui nous accompagnera pendant plusieurs minutes), puis se voit renforcé encore et encore par des couches de guitares et de claviers, sans jamais devenir trop brouillon ni bordélique. L'apothéose arrive rapidement, accompagnée de flashs de lumière bleue sur un fond noir. Je pose mon appareil photo, totalement inutile dans cette situation, et me contente juste de profiter, abasourdi, du spectacle apocalyptique qui se déroule à même pas deux mètres devant moi. Putain, je n'ai pas eu de révélations de ce niveau depuis le set special d'Enslaved il y a deux ans, dans cette même salle.

Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin, et peu avant la fin du set de mon nouveau groupe préféré, je décide de bouger à la Het Patronaat pour jeter un oeil à Youth Code. Ce groupe, que j'ai découvert grâce à l'excellente playlist du festival (très utile pour remplir un peu plus La Petite Feuille), se décrit comme un mix de EBM et d'industriel, mais vu que je trouve que l'étiquette EBM (pour "Electronic Body Music") ne veut rien dire, je préfère les décrire comme "Atari Teenage Riot rencontre Godflesh". Rien à dire, leur set se révèle tout aussi efficace qu'en studio, les synthés tabassent dur, et Sara Taylor met bien l'ambiance en sautant partout tout en hurlant ses paroles. Je ne resterai pas assez longtemps pour voir mes morceaux préférés (Consuming Guilt et For I Am Cursed, si jamais vous êtes curieux), mais je repartirai toutefois satisfait, l'univers du groupe se montrant vraiment rafraichissant dans un festival plutôt orienté "musique à guitares".

Warning c'est la déprime absolue.

Gros changement d'ambiance avec Warning à la Main Stage. Warning (à ne pas confondre avec The Warning, le trio d'adolescentes mexicaines, ni avec Warning, le groupe de heavy français) est un groupe de doom metal anglais, dissout il y a quasiment 10 ans au profit de 40 Watt Sun, nouveau projet du leader. Autant dire que lorsque le festival a annoncé que le groupe reviendrait pour jouer en intégralité leur mythique album Watching From A Distance, les fans ont explosé de joie. Enfin, si les fans de Warning sont capables de ressentir de la joie. Le sont-ils ? Bref, vous l'aurez compris, Warning c'est la déprime absolue. Que ça soit au niveau de la musique ou des paroles, on est en plein dans le broyage du noir, et le chanteur semble tout aussi plongé dans cette ambiance que le public, totalement silencieux. J'assiste à cette belle prestation pendant quelques morceaux, avant de bouger encore. Puisque je vous dis que le Roadburn c'est du sport, hein.

Direction Het Patronaat encore, pour le nouveau projet de Jacob Bannon (aussi connu en tant que Monsieur Converge, et Monsieur Deathwish), j'ai nommé Wear Your Wounds. Si l'annonce de l'album m'a laissé totalement indifférent, j'ai quand même jeté une oreille au disque à sa sortie, pour être agréablement surpris par une ambiance mélancolique à mi-chemin entre metal et ambient, non sans rappeler Mamiffer. J'étais donc là encore bien curieux de voir ce que ça donne en live. Je ne fais pas durer le suspense plus longtemps: ce fût décevant. Si en studio les morceaux sont remplis de nuances, de passages doux et de voix presque murmurées, ce n'est visiblement pas la direction que Jacob a décidé de prendre pour les concerts. En effet, nous avons ainsi droit à pas moins de trois guitaristes, une batterie très présente, et une voix beaucoup plus hurlée que murmurée, le tout absolument pas aidé par un son horrible (sûrement le moins bon du festival) et beaucoup trop fort. A vrai dire, entre le show Blood Moon de l'année dernière (lors duquel il a, entre autres, chanté sur une reprise de Disintegration de The Cure) et ce concert-ci, je commence sérieusement à me demander si Jacob Bannon sait vraiment jouer des morceaux calmes et s'il ne ferait pas mieux de s'en tenir à son rôle de frontman de Converge, dans lequel il excelle sans équivoque.

Je sors de Wear Your Wounds, il est trop tard pour aller voir Ahab (non pas que j'en ai spécialement envie, ceci dit), et le reste ne me branche pas plus que ça; j'en profite donc pour faire une pause, avant de repartir à l'attaque avec Aluk Todolo, encore un groupe auquel je n'ai jamais accroché.

Pour ceux qui n'ont jamais vu Aluk Todolo, l'une des particularités du groupe est de jouer avec un éclairage on ne peut plus minimaliste, à savoir une grosse ampoule accrochée devant la batterie, qui s'illumine plus ou moins fort au rythme de la musique. C'est plutôt cool, et ça marche à merveille avec l'esthétique du groupe, allant chercher du coté de l'esoterisme, mais sans non plus en faire des caisses. Musicalement, on est quelque part entre le black metal et le krautrock: des riffs répétitifs et hypnotiques, invitant le spectateur à se laisser porter par le courant. Je pense toutefois que je n'étais pas dans le bon état d'esprit (ou peut-être pas à la bonne marche sur l'échelle de la sobriété) pour réussir à me plonger dans le show, car j'ai très rapidement commencé à trouver leur musique un peu trop pesante et oppressante. Je reste cependant intrigué par l'univers du groupe et serais bien curieux de les revoir dans de meilleures conditions (à savoir, plus sobre, sans avoir trois jours de festival dans les pattes, et sans être compressé comme une sardine dans la Green Room).

...mais on voit quand même régulièrement des chaussures passer au-dessus de la foule. [...]  C'est bien à ça qu'on mesure la qualité d'un concert de hardcore, non ?

J'enchaine alors sur Disfear, aka LE groupe "bagarre" du festival. Disfear, ça tabasse. Disfear, ça sonne (mise à part la basse, un peu trop sourde, le groupe était au moins à 7 sur l'échelle de Whores.). Bref, Disfear c'est cool. Voilà. Plus sérieusement, je dois avouer que j'ai rien à redire sur le ce concert: Tomas Lindberg (aussi chanteur de At The Gates, pour ceux qui ne le savaient pas, comme moi) assure son rôle de frontman à merveille, tous les morceaux sonnent (bien qu'ils se ressemblent quand même tous un peu), et l'ambiance est au rendez-vous. Certes, le public du Roadburn étant un peu plus frileux, on est loin d'un concert de Trash Talk au Klub, mais on voit quand même régulièrement des chaussures passer au-dessus de la foule, parfois accompagnées par leurs propriétaires. C'est bien à ça qu'on mesure la qualité d'un concert de hardcore, non ?

Bref, Carpenter Brut a définitivement prouvé que son concept, que certains ont rapidement considéré comme un gimmick, tient totalement la route et a même bien évolué

Dernière ligne droite de la journée: Carpenter Brut. Ayant loupé Perturbator la veille pour cause d'une queue interminable, je me pointe bien en avance, pour retrouver mes amis, déjà tous en train de camper là. Une petite bière et quelques dizaines de minutes plus tard, le concert commence enfin. A vrai dire, j'en attendais pas grand chose. Non pas que je n'aime pas Carpenter Brut, loin de là, mais je ne voyais pas vraiment comment ça pourrait être surprenant par rapport à ses autres concerts auxquels j'ai pu assister. Comme pour quasiment tout aujourd'hui, j'ai eu tort, puisqu'il s'agissait clairement du set le plus "mature" que j'ai vu de l'artiste. Au lieu d'une simple série de morceaux en mode "best-of", nous avons eu droit à un set très continu, enchainant morceaux cultes et d'autres plus obscurs (voire même inconnus pour moi ?), de façon très fluide, à la manière d'un concert de EDM. Le tout avec un excellent guitariste, et un tout aussi excellent batteur en bonus. Bref, Carpenter Brut a définitivement prouvé que son concept, que certains ont rapidement considéré comme un gimmick, tient totalement la route et a même bien évolué, se transformant en une vraie machine rodée et efficace. Et quel bonheur d'enfin assister à un concert de Carpenter Brut où le public ne passe pas son temps à chanter les mélodies en "POPOPOPO" !

Je resterai donc à la Green Room jusqu'à la toute fin, pour la désormais classique reprise-karaoké de Maniac, une superbe façon de finir la journée dans une bonne ambiance. Que dire de cette journée au final ? Et bien, j'ai été déçu par quasiment tous les groupes que j'attendais avec impatience, et très agréablement surpris par quasiment tous les groupes dont je n'attendais rien. Bref, tout fout le camp. 

J'aime les ours, le whisky et les internets.

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