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Godflesh - Hymns (réédition 2013)

Portrait de DMDFC
Godflesh - Hymns (réédition 2013)

Alors que le duo de Birmingham annonçait en 2012 qu’un nouvel enregistrement était prévu, voilà que ressort l’album de Godflesh qu’on attendait le moins : le dernier en date.

2001 (encore). Godflesh vient de se barrer d’Earache, dégoûté du label comme à peu près tous ceux ayant signé un papelard chez eux un beau jour, pour poser ses valises chez Music For Nations – qui à l’époque assure conjointement la promo pour cet album ainsi que celui d’un autre poids lourd du succès d’estime : Will Haven. De succès d‘estime, il est ici expressément question : Godflesh est un groupe respecté et admiré, souvent copié, influent bien au-delà de l’imaginable, mais qui ne fascine pas outre mesure le public. De Korn à Isis, tous ont un moment ou un autre pillé ou « repris » le son Godflesh. 2001 est donc une année faste pour Green et Broadrick (et pourtant…). Celui-ci vient d’ailleurs de publier l’ultime album de Techno Animal, Brotherhood of the Bomb, un chef-d’œuvre absolu, avec son confrère Kevin Martin. Ce qui se passe chez Techno Animal n’est probablement pas anodin d’ailleurs : Godflesh sortait en 99 dans une indifférence totale Us and Them, son album le plus méconnu et probablement le plus abouti d’un point de vue exercice stylistique. Jamais la fusion homme/machine n’avait été poussée aussi loin et avec autant d’impact chez Godflesh. La double sortie d’un album de Techno Animal, ouvertement hip hop d’un côté, et Hymns de l’autre, tend à montrer que Broadrick voulait définitivement marquer une distinction dans son travail.

Hymns est l’album de Godflesh le plus « à part » de sa discographie, le plus singulier de par le renoncement du duo à son identité. Green et Broadrick sont connus pour leur mutation de cordes distordues et de boîte à rythme implacable. Comme une sorte de continuité à Songs of Love And Hate, le duo s’offre un batteur pour la seconde fois de son histoire. Mais ici il ne sera pas question de fusionner les éléments, mais de devenir purement et simplement un « simple » groupe de rock. La spécificité même du groupe se dilue complètement sur cet enregistrement. Là où l’enregistrement avec Brain Mantia amenait une dualité sampler/fûts, Hymns sera le triomphe du kit de batterie seul. L’élu est un proche de la famille Broadrick, Ted Parsons, alors ancien batteur des Swans, qui avait déjà accompagné le groupe en live. Parsons n’a d’ailleurs aucun problème avec les machines, puisqu’il est en train de former le groupe de dub Teledubgnosis qui signera chez Wordsound quelques mois plus tard.

Le groupe est sur le point de péricliter, mais forcément, il est impossible de le deviner quand l’album sort. Comme son prédécesseur, il sort dans l’indifférence. Surtout, Godflesh est méchamment en train de se faire manger par les petits frères. La scène post-hardcore est en pleine explosion. Isis, pour n’en citer qu’un, a publié avec un certain succès Celestial et prépare Oceanic, ses concerts laissent l’audience admirative. Ils revendiquent Godflesh comme influence majeur. Alors les « vieux » Anglais sont vus comme les grands frères de toute cette scène, mais semblent incapables de tenir tête aux rejetons. Pourtant, 12 ans sont passés et quand on réécoute Hymns, on se rend compte que Godflesh a sorti un disque qui a bien mieux vieilli que tous les suiveurs, qui gavés de gimmicks et de tics n’ont pas encore su poser un travail pérenne. Godflesh, oui. 

Certes, Hymns n’a pas l’ambition débordante d’autres enregistrements de Godflesh. Il n’a ni la grandeur ni la force de Streetcleaner ou de Songs of Love and Hate. Il est néanmoins un disque de rock ultra agressif, groovy, et salement efficace. Puissant. On le rapprochera volontiers d’une certain scène noise (Unsane, ou Helmet ne sont pas très loin). Parsons amène une certaine continuité dans le groove des deux précédents opus et martèle avec force mais avec une certaine cadence, un sens du rythme terriblement addictif. Il propose des rythmes parfois proches du hip hop, mais le jeu sur le kit complet le distingue clairement d’une approche « boom bap ». La dynamique générale en est chamboulée. Pourtant, il est indéniable que Broadrick et Green ne font qu’accoler le code Godflesh à leurs nouveaux morceaux : les guitares sont débordantes, hyper imposantes. Si J.K. Flesh avait pris l’habitude de laisser mourir ses notes et de laisser Green dessiner le squelette de certains morceaux, il fait ici preuve d’un sens du riff hyper développé. Chaque morceau s’articule autour de la phrase de guitare, et chaque riff, chaque plan, pue la hargne certifié Birmingham. Green reste fidèle à lui-même : il est celui qui mène en toute discrétion la musique du groupe, apposant avec un son de bûcheron massif des lignes qui sont les véritables locomotives du son Godflesh. Et pour cette ultime (jusque là) enregistrement, ses 4 cordes ramonent salement le bas ventre.

Une chose qui me semble très étrange à chaque fois que je me repasse un album de Godflesh, c’est la diversité des musiques que Broadrick a abordé tout au long de la vie du groupe. La musique électronique, le rock noise, le metal, la drum’n’bass, le hip hop, l’ambient, l’indus, le dub et encore tant d’autres. Hymns ne fait pas exception à la règle, car même si orienté noise, cet album alterne comme souvent les sévères punitions typiques Godflesh à des choses plus rythmées et dynamiques ou beaucoup plus expérimentales. Notamment sur le dernier titre de l’album, « Jesu », longue envolée découpée en deux parties séparées et portant un nom prémonitoire. Ce qui est amusant, justement, c’est qu’en défendant la suite de sa discographie, Broadrick a toujours défendu Jesu comme un projet beaucoup plus libre et moins cadenacé que ne le fut Godflesh. Même sur un album aux tendances plus « resserrées » comme Hymns, le duo prouve et hurle à chaque seconde le contraire : Godflesh a toujours été plus aventureux, plus audacieux, plus ouvert, plus fou et créatif que ne l’aura été jusque là sa suite. Cette seconde entité ne s’aventure que rarement au-delà de son vocabulaire (plutôt chialeux), alors que chaque album de Godflesh était une réaction au précédent, et que chaque morceau déployait son propre climat (surtout sur la fin de sa carrière).

Quel intérêt, donc, de ressortir cet album, pas le plus connu ni le plus recherché de la discographie de la chaire divine ? On peut rester dubitatif quant à l’intérêt. Broadrick a remasterisé l’album et même si le jeune homme est plutôt un artiste malin, sa manière de retoucher les bandes d’un album est loin d’être délicate : on l’avait déjà constaté lors de l’édition de Streetcleaner, quand le patron remasterise, il fait un travail plus proche du remix pur en poussant les basses fréquences jusqu’à l'écœurement. Faut aimer. Ça reste assez peu utile. Non, cette édition est surtout intéressante pour le second disque qu’elle propose. Pendant quelques temps, les démos de l'album n’étaient disponibles que de façon illégale sur le net, et les voici aujourd’hui publiées sur un disque. Et c’est bien là que réside tout l’intérêt de la réédition. Loin de la production très massive, de l’apport évident du studio, les morceaux conçus par le groupe gagnent en crasse et en dynamisme. Deaf Dumb And Blind, morceau dévastateur devient une sorte de noise groovy dégueulasse complètement addictive, reléguant la version finale au niveau de l’anecdote. Idem pour les autres morceaux, qui respirent, s’amplifient dans ces versions sauvages. En bout de course, on a même un inédit qui pointe son museau.

L’album de trop ou mauvaise période ? Green abandonnera Godflesh juste avant que le groupe aille défendre son enregistrement en tournée (remplacé par feu Raven de Killing Joke). Broadrick se retrouvera dans une période trouble (personnelle, financière puisque plantant une tournée US) et mettra fin au projet l’année suivante. Il mettra fin également à Techno Animal et collaborera une ultime fois avec Kevin Martin pour enregistrer son album le plus violent à ce jour : Curse Of The Golden Vampire. Après un silence de quelques mois, il remettra en route son projet Final et sortira des disques sous le nom Jesu… mais tout ça, c’est une autre histoire.

Godflesh - Hymns (réédition 2013)
Godflesh
Hymns
Defeated
Deaf, Dumb & Blind
Paralyzed
Anthem
Viodhead
Tyrant
White Flag
For Life
Animals
Vampires
Antihuman
Regal
Jesu
Voidhead (Demo 2012 Mix)
Vampires (Demo 2012 Mix)
Deaf, Dumb & Blind (Demo 2012 Remastered)
Anthem (Demo 2012 Remastered)
Paralyzed (Demo 2012 Remastered)
For Life (Demo 2012 Remastered)
If I Could Only Be What You Want (2012 Remastered)
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