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Freddie Gibbs et Madlib - Piñata (2014)
Si The Wire, « la meilleure série jamais réalisée » selon certains, a eu un impact certain dans le monde de la musique en inspirant de nombreuses rimes chez les rappeurs du monde entier, ses créateurs se sont toujours refusés à inclure une bande son autre que celle écoutée par leurs personnages. Cette attitude à part dans le monde des séries et de la fiction s’inspire de l’un des architectes du succès de cette série culte, George Pelecanos, auteur de polar humaniste où les personnages sont autant définis par leurs actions que par leurs goûts musicaux. Du Wu-Tang Clan à Aretha Franklin, les références musicales dispersées par l’auteur dans les rues de Washington animent tant le rythme de ses romans qu’il a même inclus une BO avec l’une de ses histoires.
Décrire les faits sans juger, illustrer la réalité avec le plus de justesse possible, ces principes journalistiques et policiers, David Simons et Ed Burns les ont appliqué au monde des séries. À son tour, Freddie Gibbs a eu pour idée de les appliquer à sa musique pour ce disque en collaboration avec le producteur émérite Madlib. Ainsi, si Gibbs prend le rôle de Simons et Burns dans ce disque sur la vie de dealer, Madlib se prend pour Pelecanos et disperse les références musicales adaptées pour peindre une toile de fond aux confessions de ce gangster.
La rue, les deals de drogue et la violence urbaine, le rap les décrit depuis des années et en soi Pinata n’est donc qu’une pierre de plus à l’édifice. Ce qui distingue ce disque du reste est qu’à l’inverse de nombreux prétendants au trône d’héritier de 2 Pac, Gibbs saisit la couronne avec si peu d’effort que l’on ne peut que se rendre à l’évidence de son statut d’héritier. Le bonhomme n’a pas attendu de rencontrer Madlib pour montrer ses prouesses car si l’on consulte son disque précédent on y trouvera des morceaux grandioses dispersés sur la longue tracklisting. La nouveauté est qu’avec un producteur aussi talentueux et un archiviste musicale à la culture débordante tel que Madlib, Gibbs a enfin trouvé un partenaire capable de lui faire repousser les limites de son style en lui offrant des beats surprenants. Madlib déballe de nombreux samples soul de sa collection mais pas que. Fidèle à sa réputation, il brouille les pistes en faisant bredouiller les rythmes et les lignes de chant afin de créer un terrain mouvant sur lequel Gibbs démontre toute la maitrise de son flow.
Alors qu’il s’était laissé dépasser par son besoin de multiplier les samples sur sa collaboration décevante avec Guilty Simpson, Madlib se recentre sur ses fondamentaux et compose des instrumentaux habités pour un Gibbs prêt à relever le défi. L’album a mis tant de temps à sortir que l’on croyait le disque en voie de devenir un nouveau Madvillain 2, mais après deux singles excellents, dont le somptueux Shame, Pinata a enfin vu le jour et s’impose aisément comme l’un des disques de gangsta rap les plus pertinents de ses dix dernières années en évitant tout les écueils des samples funk à la Dr Dre et préférant une atmosphère mélancolique et amère parfaitement illustrée par une série de clips superbes.
Loin de glorifier la rue et les abus de ceux qui habitent les coins de rue des ghettos, Freddie Gibbs décrit avec une simplicité brutale son quotidien et celui de ses camarades. A l’instar d’un Iceberg Slim, auteur de Pimp, ou d’un Richard Bunker, il n’excuse rien et laisse l’auditeur seul juge tandis que Madlib se charge de l’accompagner avec justesse, sans jamais tomber dans le mélodrame. Les featuring présents sont aussi nombreux avec la participation de Danny Brown, Domo Genesis de Odd Future ou Rakewon du Wu-Tang mais c’est le rappeur en chef qui brille tout au long de ce disque. Pinata est l’album de la révélation à un plus large public pour Gibbs mais c’est aussi un futur classique à ranger au même rang que Pimp ou Aucune bête aussi féroce. Un disque habité et riche destiné à être exploré des centaines de fois.
25/02/82, 1m80, à peine 60 kilos et élevé pour parcourir le macadam parisien de refuge en refuge jusqu'à son déménagement à Londres. Chroniqueur rock de 2004 à 2010 sur Eklektik-rock puis sur la fille du rock depuis 2010, bibliothécaire 2.0 depuis 2008, passionné de musique (metal, jazz, rap, electro …) et de comics. Ecrit aussi en anglais sur Delay and Distorsion (Chronique musicale). |
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