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Howard Philips Lovecraft : Rêves et mythes : au-delà, à l’intérieur

Portrait de Julien
Howard Philips Lovecraft : Rêves et mythes : au-delà, à l’intérieur

Tout a déjà été dit sur Lovecraft (1890-1937). Ou presque. Artiste maudit ? Faux. Il entre dans cette zone grise d’artistes qui peinent à vivre de leur art. Mais il est lu à l’époque, et reconnu par ses pairs. Inadapté social ? Circonstances atténuantes. Il ne parvient jamais à se fixer durablement dans un travail, mais le contexte économique des USA (la grande crise de 1929) ne lui est pas favorable. Poseur ? Oui. Il envisage les relations humaines, parle et écrit comme un homme du XIXème siècle. Raciste ? Oui. Misanthrope de salon, WASP jusqu’au bout des doigts, il a bien du mal à ne pas mépriser tous ceux qui sont différents de lui.

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Tout a déjà été dit, mais Lovecraft reste une énigme. Sa vie est riche, son œuvre immense, son influence sans fin. 

Parmi ses fervents lecteurs, nous trouvons des géants de la littérature de l’imagination : Clive Barker, Stephen King, Graham Masterton. Pas de la vraie littérature ? L’écrivain Borgès, l’un des écrivains les plus cérébraux du fantastique, lui a aussi rendu hommage en le pastichant gentiment. 

Côté musique, les fidèles se bousculent. Les citer prendrait plus d'une page. On nomme son groupe HP Lovecraft ou The Great Old Ones. On intitule un album à partir d'un grand élément de la mythologie Necronomicon (Nox Arcana), The Music of Erich Zann (Mekong Delta),etc. On compose pléthore de chansons faisant référence aux œuvres maîtresses de Lovecraft : Dunwich (Electric Wizard),The Call of Cthulhu (Metallica), Behind, The wall of sleep (Black Sabbath), etc.

Pourquoi une telle dévotion ? Nous aimons Lovecraft, parce qu’il synthétise au moins deux siècles de littérature de l’imagination et qu’il en préfigure au moins deux autres.
Pourtant n’a-t-il pas toujours été aussi estimé. On lui préfère Poe, plus littéraire, à qui on décerne le titre d’artiste, réservant celui d’artisan à Lovecraft. Détestable dichotomie. « La main à la plume vaut la main à charrue », Arthur Rimbaud. Et vice versa. 

Lovecraft me fait penser à Sartre, en ce qui concerne son enfance. Il est élevé par sa mère et ses grands parents, son père étant mort jeune, vraisemblablement syphilitique. Il vit environné de livres. Des colonnes de bouquins comme les barreaux d’une prison. Tout est dit : il ne sera bon à rien d’autre qu’à écrire. D’aucuns veulent croire qu’il manquait un homme, comprenez un modèle parental mâle, à la maison, de là la faiblesse, l’asthénie, la tendance à la fantasmagorie, blablabla. Et mon cul, c’est du poulet ? La seule raison pour laquelle Lovecraft devient une légende littéraire tient en l’exploration répétée et savante d’un ouvrage : Les Mille et une Nuits, recueil non moins légendaire de contes indiens, perses et arabes. Une entité fantastique le fascine : le djinn. Le Necronomicon, l'ouvrage fictif le plus célèbre du XXème siècle qui entrera plus tard dans le folklore fantastique, commence déjà à s'écrire.

NB : Oubliez les adaptations sucrées de Disney (le génie, déformation étymologique impropre). Le djinn est une créature surnaturelle, apparenté au monde de la sorcellerie, créé par le feu, habitant de vastes étendues désertes. Dans le Coran, Satan (Sheitan) est désigné comme étant un djinn (il porte le nom d’Iblis). Dans les Mille et une Nuits, le djinn apparaît comme un être supérieur à l’homme, tantôt bienveillant, tantôt malfaisant, toujours indépendant. Le côtoyer s’avère assez souvent dangereux.

Il n’en faut pas plus pour mettre en forme l’univers de Lovecraft, ce syncrétisme très singulier d’ésotérisme, d’horreur, d’astronomie, de fantasy et de science fiction.

NB 2 : La cosmogonie de Lovecraft est intimement liée à l’astronomie, science dont il voulait faire son métier. Doté d’un niveau en mathématiques insuffisant, il échoue. Son imagination débordante s’accordait mal avec la rigueur nécessaire. Pourtant nous ne pouvons qu’être frappés par certains passages. Ainsi dans La Maison de la sorcière : « Un après-midi, il y eut une discussion sur l’existence possible de courbures insolites de l’espace, et de points théoriques d’approche ou même de contact entre notre partie du cosmos et diverses autres régions aussi éloignées que les étoiles les plus lointaines. » Ibidem : « Un tel passage […] ne demanderait que deux étapes ; d’abord la sortie de la sphère à trois dimensions que nous connaissons, et ensuite le retour à la sphère à trois dimensions en un autre point […]. » Evocation assez libre de ce qui sera formalisée comme la théorie des n-branes, c’est à dire la pierre philosophale moderne qu’est la théorie des cordes. Rien de moins.

Son œuvre, considérable, peut être divisée en trois cycles :

  1. Les histoires macabres (Weird Tales)
  2. Le cycle onirique (peu ou prou de la fantasy)
  3. Les mythes de C (peu ou prou de la science-fiction)

La distinction est discutable, mais commode, car Lovecraft n'a jamais pensé son panthéon cosmique autrement que comme un nuage. En d'autres termes, Lovecraft pratique une récurrence de personnages dans ses romans et nouvelles sans avoir établi une structure rigide ou une arborescence. Pour compliquer la tâche du lecteur, Auguste Derleth cherchera à organiser et à développer le mythe après la mort de Lovecraft, vite rejoint par d'autres amis qui avaient déjà collaboré avec le génie de Providence. Intention louable, mais vouée à l'échec. En ajoutant de la matière aux mythes, ceux-ci ne feront que l'encombrer un peu plus. 

S'il s'avère impossible de hiérarchiser la nébuleuse des mythes de Cthulhu, rien n'empêche en revanche d'y chercher des dénominateurs communs, tant dans les personnages, les lieux que les thèmes..



Le Necronomicon

 « Sitting on the edge of a dune, they dictated to me / Like whispers of Jinns they force me to write / Incantations to invoke these gods / cursed bible, obscene words / Alone in the desert I lose my sanity / and I write the end of humanity »
The Great Old Ones, Al Azif


Qui parle ? Abdul Alhazred, (700-738 après JC) le poète arabe dément qui demeura dix ans dans la solitude du désert situé au sud de l'Arabie. Au terme de ce séjour, il s'établit à Damas pour écrire son livre maudit. 

De quoi ? Le Necronomicon (titre original Al Azif, « bruit qu'on entend la nuit et qui est censé être le hurlement des démons [des djinns] » Lovecraft, Histoire du Necronomicon.

Pour en savoir plus : Dans l'imaginaire de Lovecraft, d'abord un livre de sorcellerie et de connaissances occultes, puis le média nécessaire pour invoquer Les Grands Anciens. Rares sont les copies en circulation, la plupart des gouvernements ayant fait détruire toutes les traductions existantes du fait de leur dangerosité.

Danger : Immense. Sa lecture rend fou. Ne même pas songer à lancer une incantation (se souvenir de Evil Dead)



Les Grands Anciens

« The Old Ones were/And They Shall be again/Yog Sothoth is the Gate/Planetary alignment predicts their reign. »
Electric Wizard, Supercoven


Qui ? Un adorateur.

De quoi ? Les Grands Anciens, « une redoutable race interstellaire dont l'origine devait se trouver très au-delà du plus grand cosmos connu, le continuum espace-temps einsteinien. » (Celui qui chuchotait dans les ténèbres, Lovecraft.) Panthéon très riche, composé de multiples divinités attendant leur heure sur la planète Yuggoth, un avant poste.

Parmi eux, Yog Sothoth, vénéré par certains cultes occultes, messager  des autres dieux. « Yog Sothoth connaît la porte. Yog Sothoth est la porte. Yog Sothoth est la clé et le gardien de la porte. » (L'abomination de Dunwinch, Lovecraft).

Plus : Souvent convoqués, toujours déjoués

Danger : Fin de l'humanité, telle que nous la connaissons. Une éternité d'horreur.



Cthulhu

« Not dead which eternal lie/Stranger eons Death may die »
Metallica, The Thing that should not be


Qui ? un adorateur de Cthulhu.

De quoi ? De Cthulhu, le « Chaos rampant » selon les formules rituelles. 

Vraisemblablement banni ou exilé par les Grands Anciens, « dans sa demeure de R'Lyeh la morte, Cthulhu rêve et attend. » (L'appel de Cthulhu, Lovecraft). Cette divinité qui donne son nom à tout un cycle est maintenant entré dans le folklore. Dans l'oeuvre de Lovecraft, il attend son avènement pour réduire l'humanité à sa merci. Tout comme les Grands Anciens, son pouvoir est à chercher du côté des étoiles : il est tributaire d'une configuration spatiale spécifique pour revenir à la vie, pour appeler ses fidèles. En effet, il est mort ou il dort.  Ou les deux. Ou ni l'un ni l'autre. Selon le Nécronomicon : « N'est pas mort ce qui à jamais dort/Et au long des siècles peut mourir même la mort. » (L'appel de Cthulhu, Lovecraft, cité avec une grande fidélité par Metallica). En VO (une langue probablement déjà vieille quand la Terre était encore jeune) : « Ia ! Ia ! Cthulhu fhatgn ! » (L'appel de Cthulhu, Lovecraft, cité par Craddle of Filth dans Mother ofAbominations).

Plus : Décrit comme une masse informe apparentée à un calmar, Cthulhu pose des questions très basiques de prononciation. Si vous êtes un puriste, de nombreux tutoriaux existent sur le web. Se rappeler que c'est de toute façon imprononçable du fait d'une « singularité de timbre, de registre, d'harmoniques qui situaient ce phénomène entièrement en dehors de la sphère de l'humanité et de la vie terrestre » (Celui qui chuchotait dans les ténèbres, Lovecraft).

Danger : C'est un Grand Ancien...

 

Les sorcières

« Your mothers witches »
Electric Wizard, Dunwich


Qui ? Nous ne savons pas, mais référence est faite à Wilbur Whateley, le « Dunwich child » (ibid), né des amours de Yog Sothoth et d'une mère white thrash visiblement sorcière.

De quoi ? De toutes les sorcières apparaissant chez Lovecraft en règle générale. Descendantes des fameuses sorcières de Salem, elles officient, parmi d'autres « ministres » au retour des Grands Anciens. Parmi elles, la très célèbre Keziah Mason, connue pour son étrange « évasion de la prison de Salem » (La Maison de la sorcière, Lovecraft).

Plus : Lovecraft révise le mythe des sorcières en les dotant de pouvoirs moins telluriques que cosmiques. Si, suivant la tradition, elles s'entourent de familiers (l'abominable Brown Jenkins pour Miss Mason) et convoquent des sabbats, elles montrent leur puissance en s'affranchissant des « frontières traditionnelles » (ibidem) temporelles et spatiales. Tout comme les Chiens de Tindalos (auxquels Metallica consacre un morceau, All Nightmare long), elles passent « par des angles impossibles », suivant « une géométrie non euclidienne » (Frank Belknap Long, épigone de Lovecraft, Les chiens de Tindalos).

Danger : Courez. Puis mourez.

 

Innsmouth

« Hybrid Children watch the sea/Pray for Father, roaming free »
Metallica, The Thing that should not be


Qui ? Nous ne savons pas.

De quoi ? La ville portuaire d'Innsmouth (fictive) et de ses habitants vouant un culte à Dagon et Cthulhu, et décrits par Lovecraft comme des hybrides « poissons grenouilles » (Le Cauchemar d'Innsmouth).

Plus : Innsmouth fait partie des villes inventées pour les besoins de ses récits. A rapprocher de Dunwich (à laquelle Electric Wizard consacre une chanson) et Arkham, connu dans les récits lovecraftiens pour l'université Miskatonic (l'asile d'aliénés de Batman lui rendant hommage).

Danger : Arkham est une ville agréable, offrant une richesse culturelle étonnante. Nous ne pouvons en dire autant de Dunwich, du fait de ses habitants décrits comme « une race à part portant les stigmates physiques et mentaux caractérisés de la dégénérescence et des unions entre consanguins » (L'abomination de Dunwich). Innsmouth est, elle, infréquentable, car dangereuse, du fait de la monstruosité des habitants.

 

Le rêve

« Visions cupped within a flower/Deadly petals with strange power/Faces shine a deadly smile/Look upon you a your trial. »
Black Sabbath, Behind the wall of the of sleep


Qui ? Un voyageur parvenu par delà le mur du sommeil.

De quoi ? De l'aventure onirique extraordinaire vécue par Joe Slater qu'il relate à son aliéniste, avant que ses « visions éclatantes de Titan » (Par-delà le mur du sommeil, Lovecraft) ne le tue. Il tente le voyage pour comprendre et découvre une autre race intelligente qu'il décrit comme une « mystérieuse entité flamboyante qui tremblait » (ibidem).

Plus : Les héros lovecraftiens sont de grands rêveurs. Le plus célèbre d'entre eux est sans conteste Randoph Carter (Démons et Merveilles). Rêver implique de se faire aventurier et de gagner des territoires inexplorés de l'inconscient où les symboles règnent en maître. Le voyage n'est pas dangereux, mais il réclame une grande ouverture d'esprit (Joe Slater meurt, parce qu'il ne comprend pas ce qu'il voit et qu'il choisit d'en être terrorisé). Mais le rêve peut se comprendre en rêverie induite par quelques narcotiques étranges : ainsi Chalmers, l'écrivain occulte des Chiens de Tindalos absorbe une drogue « de la connaissance », apparenté au Tao, et en paie le prix fort. Une exception. Les rêveurs sont récompensés par la vision de « royaumes élyséens » (Par-delà le mur du sommeil, Lovecraft).

Danger : Pas plus qu'un cauchemar en règle générale. Risque de jet-lag atypique assez grand en revanche.

Je ne crois pas que Lovecraft aurait imaginé (un comble!) que ses textes et ses thèmes puissent être mis en musique. On peut écrire pour des Pulp et être rétif à tout autre forme d'art populaire. Gageons que les musiciens lui auraient fait peur de toute façon, en dépit de leur enthousiasme à louer son imagination.

Deux façons de penser se confrontent, ce qui se ressent au niveau énonciatif. Le « je » présent dans les récits de Lovecraft est celui d'un homme (et jamais d'une femme) butant contre des forces inconnues qui le menace et qu'il est incapable de conceptualiser la plupart du temps : « Ce qu'il y a de plus pitoyable, c'est, je crois, l'incapacité de l'esprit humain à relier tout ce qu'il renferme. » (L'appel de Cthulhu, Lovecraft). Vision terriblement pessimiste, jamais enjouée de l'être humain. Dans les différents morceaux, nous trouvons souvent un « nous » («we») plein d'alacrité. Les musiciens jubilent à l'idée d'incarner les déités et les créatures maléfiques des mythes de Cthulhu. Pour notre plus grand plaisir.

Pourtant manque-t-il, pour que notre plaisir soit entier, une part de Lovecraft qu'il révéla finalement peu : une spiritualité de l'ailleurs, un désir très pur que quelque part se situe un univers parfait. Durant sa courte vie, Lovecraft ressassa ses idées racistes, de faute, de malédiction, de décadence, d'impuissance, de démence, etc. L'homme était fragile et vulnérable. Il n'est pas impossible de penser qu'il voulut protéger derrière une rhétorique de haine un autre Lovecraft qui croyait naïvement qu'il pourrait trouver « la clé mystérieuse, la clé qui lui ouvrirait enfin les portes des civilisations oubliées et futures, et l'accès à des dimensions perdues qui le conduiraient aux étoiles, à l'infini, à l'éternité » (Le Descendant, Lovecraft).

Howard Philips Lovecraft : Rêves et mythes : au-delà, à l’intérieur
J'aime les chats roux, les pandas roux, Josh Homme et Jessica Chastain.

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