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Jess and the Ancient Ones : la « rétromanie » à son meilleur

Portrait de Sébastien
Jess and the Ancient Ones : la «rétromanie» à son meilleur

Nous sommes en 2014. Je n'ai pas écouté ce qu'a produit le vieillissant Danois King Diamond depuis les belles années de Mercyful Fate, depuis mes années d'adolescence, de mes années de longs cheveux frisés, de jean ultra serré, d'espadrilles blanches avec la grande langue sale qui pend par devant et qui fait la grimace, les années glorieuses de cette veste de jean délavée aux manches coupées, ornée de patches et de noms de groupes dessinés au feutre portés comme de fiers graffitis ou les honneurs d'une guerre occulte dont l'origine s'est perdue dans l'épaisseur du temps. J'ai rendez-vous avec le maître de l'occulte kitsch qui a su influencer autant Marilyn Manson que Ghost.

Dans l'air humide de la rue Saint-Denis, sous un crachin qui donne de l'éclat aux lumières de la rue et qui accentue l'écho de la voix de la chanteuse au Bistro à Jojo, je talonne un jeune homme habillé exactement comme je l'étais en 1985. Je me suis. Étrange retour en arrière, vers un passé somme toute révolu, mais qui, parfois, se donne de drôles d'airs et qui me fait comprendre qu'en quelque sorte, bien des choses n'ont pas tant changé depuis trente ans... Ma vision se verra confirmée à mon arrivée à l'Olympia. On dirait une soirée de retrouvailles du secondaire où les imberbes boutonneux de l'époque ont gagné en ride, en pilosité et en tour de taille et où les filles que l'on trouvait si belles à l'époque sont parvenues, elles, à prendre avec le temps un lustre que la profondeur de leurs regards et les rides qui pointent au coin des yeux accentuent.

Après avoir montré patte blanche à l'imposant service de sécurité mis en place à l'entrée (nous sommes à l'Olympia, quand même...), après avoir, comme un gentilhomme, obtempéré aux exigences de l'agente toute menue qui me demande poliment d'enlever ma casquette pour voir si je n'y cache pas une arme ou de la drogue et sans avoir pris la peine de fouiller dans ma barbe où j'avais caché un six-pack de Molson Ex, une once de weed, un jack-knife et un poing américain, j'entre dans la salle où j'entends déjà la voix de la chanteuse du groupe d'ouverture. Car voilà... Je ne parlerai pas de King Diamond. C'est plutôt l'univers psychédélique finlandais de Jess and the Ancient Ones qui a retenu mon attention et a bousculé mes attentes.

La première pièce se termine et je suis déjà conquis. La chanteuse a une voix juste et douce, elle danse avec grâce, les musiciens sont excellents. Ils entament la prochaine pièce (Sulfur Giants) et je jubile.

 

Ça me fait penser à Ghost, à Abba, voilà que je danserais presque si j'en étais capable.

Une intro toute en douceur, deux minutes planantes puis, ça embarque. Ça me fait penser à Ghost, à Abba, voilà que je danserais presque si j'en étais capable. On entend un peu de Heart, un peu de Grace Slick et The Jefferson Airplane dans la voix, c'est bluesy à souhait. Les deux gars devant moi, eux, ne semblent pas autant apprécier.

    ― Dude, on dirait du disco.
    ― C'est la dernière toune, j'te jure.
    ― King Diamond, tabarnak !

Bon. C'est certain que je n'irai pas partager avec ces braves gens l'espèce de fébrilité qui m'agite et qui m'envahit lorsque je découvre un nouveau groupe. Car, oui, en effet, le groupe est relativement jeune.

Groupe de rock psychédélique formé à Kupio, Finlande, en 2010 avec des membres du groupe de death/trash metal Deathchain, ils ont enregistré un album éponyme en 2012 et un EP de six pièces, Astral Sabbath, sorti en 2013. Après avoir interprété une autre pièce aux accents bluesy et planants (lors du solo de clavier de The Devil, on croirait entendre les Doors), ils enchaînent justement avec la pièce titre de l'EP dont l'intro nous amène tout droit à la surf music des années '60, qui nous propulse non seulement vers une époque qu'on croirait périmée (ce qui cadre bien avec le thème de la soirée), mais qui semble rivaliser avec les bandes sonores d'un film de Quentin Tarentino...  Ce qui ne semble pas satisfaire les deux gars de tantôt, un peu débinés d'entendre des relents de surf music à un show de King Diamond... Sacrilège, quand tu nous tiens !

C'est à se demander si la tendance que l'on remarque depuis quelques années et qui consiste à puiser, avec ou sans élan nostalgique, dans la musique des années 60 et 70 une influence et un esprit qui se sont un peu perdus dans les dédales du délire technologique du tournant du siècle ne fait plus que produire d'habiles curateurs de styles musicaux oubliés.

Malgré tout le plaisir que j'y prends, le mélange d'influence devient un peu lourd. Si la foule tout de même considérable pour une première partie montrait un intérêt plus que relatif lors des premières pièces, elle semble maintenant, comme moi, devenir quelque peu dubitative. Car à porter tous ces chapeaux, c'est un peu comme si Jess et ses comparses ne parvenaient jamais à trouver leur voix, pigeant aléatoirement dans telle ou telle influence pour nous servir un ragoût musical vraiment pas piqué des vers, mais qui, à la longue, devient un peu indigeste et nous fait opter pour le Perrier plutôt que la bière ou le vin.

La « rétromanie » à son meilleur, celle qui, entre autres, pousse certains groupes à partir en tournée pour reprendre en entier un album classique. C'est à se demander si la tendance que l'on remarque depuis quelques années et qui consiste à puiser, avec ou sans élan nostalgique, dans la musique des années 60 et 70 une influence et un esprit qui se sont un peu perdus dans les dédales du délire technologique du tournant du siècle ne fait plus que produire d'habiles curateurs de styles musicaux oubliés, des artisans d'hybrides qui transcendent à la fois l'histoire et la géographie, mais qui ne parviennent trop souvent qu'à nous rappeler comment nous sommes irrémédiablement éloignés de ces époques...

Heureusement, plusieurs groupes parviennent néanmoins à produire des œuvres fortes. Kadavar, pour un, m'avait déculotté lors de leur spectacle au Il Motore tandis que Scorpion Child, qui les suivait sur scène, était plutôt parvenu à me faire fuir l'Est de la ville pour la tranquillité du Mont-Saint-Hilaire pour terminer la soirée... Et c'est sans parler de Tonton Acide (Uncle Acid and the Deadbeats) ou de Pallbearer qui ont su, chacun à leur manière, incorporer dans leur travail des éléments du passé qui les font ressortir du lot. Jess and the Ancient Ones ne passeront pas (du moins pour l'instant) à l'histoire, mais ils ont tout de même eu l'honneur de me faire passer un excellent début de soirée et de mettre la table pour la fête avec l'émissaire du Porteur de Lumière...

 

 

Crédits photos : Jess and the Ancient Ones, Facebook

Écrivain/ébéniste.

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