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BLOOD, SWEAT AND VINYL: DIY IN THE 21ST CENTURY avec Kenneth Thomas

Portrait de baktelraalis
BLOOD, SWEAT AND VINYL: DIY IN THE 21ST CENTURY avec Kenneth Thomas

On enchaîne les entrevues en ce moment et ici ce sera avec un brin de promotion pour l'événement que nous organisons en association avec Blue Skies Turn Black et qui aura lieu ce lundi 21 novembre à la Sala Rossa de Montréal. Kenneth se plie donc au jeu des questions/réponses et nous en dit plus ici sur ses motivations, la vision de son oeuvre, et nous donne sa sélection de documentaires musicaux qu'il faut absolument avoir dans sa culture personnelle. Si vous voulez savoir pourquoi vous devez venir voir la projection lundi, c'est dans la suite que ça se passe.<--break->

- Tout d'abord quel est le cheminement qui t'a amené à faire un reportage sur cette scène musicale ? Qu'est ce qui t'a fait franchir le pas ?
 

L'idée de ce reportage est survenue en octobre 2005. Les années précédentes avaient vu de nombreux documentaires musicaux sur les « bonnes vielles années du punk » : Punk: Attitude et Ramones: End of the Century, pour ne citer que ces deux là.
 

Dans ces docus on voyait des extraits d'entrevues d'artistes comme Henry Rollins et Jello Biafra, et jamais auparavant je n'avais entendu quelqu'un dire que ce mouvement qu'ils encourageaient battait de son plein encore aujourd'hui. Tout le monde parlait de « ce bon vieux temps », mais personne ne disait « on a inspiré de nombreux groupes, ils ont pris cette idée et sont partis avec ». J'ai puisé mon inspiration dans l'esprit de ces groupes modernes, et je suis parti de l'idée que ces personnes ne reconnaissaient pas cette musique qu'ils avaient pourtant influencée. Je trouve cela injuste.
 

- Dans quel état d'esprit étais-tu lors de la conception du reportage ? Tu savais où tu allais avec un plan précis ? Combien d'années de recherche cela t'a-t-il demandé ? 
 

En regardant ma collection de CDs j'ai remarqué que Hydra Head, Neurot Recordings et Constellation étaient très présents. En observant les artworks et en me remémorant des concerts récents, j'ai vu que l'aspect DIY évoqué dans les reportages sur le punk que j'ai cité au-dessus était bel et bien présent, avec cependant des styles de musique et des artworks différents, des packagings spécifiques et une esthétique indéniable et difficilement définissable. J'ai senti qu'il était nécessaire de parler de cet état actuel du DIY. Je l'avais souvent remarqué et j'appréciais beaucoup cette musique, mais il a fallu attendre 2005 pour que je commence à me rendre compte à quel point ils étaient tous connectés, autant musicalement qu'artistiquement.
 

- Avec quel groupe as-tu commencé à t'intéresser à cette scène, celui qui, en quelque sorte, a ouvert ta troisième oreille?
 

Mon goût pour les morceaux longs, lourds et épiques est né à l'instant où j'ai entendu Kill'Em All de Metallica sortir de la chambre de mon grand frère. J'avais 11 ans à l'époque et je suis resté un metalleux depuis ce jour-là. Puis je suis sorti de l'université, mes goûts musicaux commençaient à stagner, puisque je n'arrivais pas à trouver quelque chose qui me toucherait autant que Metallica l'avait fait quand j'étais plus jeune. Ma copine de l'époque m'a fait découvrir Times of Grace de Neurosis. Je pense que c'était sa façon de me dire « Arrête d'écouter toujours les mêmes albums de Slayer. » C'était le bon moment puisque j'avais besoin de nouveauté et de quelque chose d'excitant, et cet album m'a satisfait au plus haut point. Quelques années plus tard, j'ai découvert Godspeed You! Black Emperor alors que je glandais avec des amis dans une caravane en plein milieu des bois de San Juan Island. Je n'arrivais pas à me concentrer sur la conversation tellement la musique dégageait d'émotions. Et cette musique était purement instrumentale, sans chant ! Ça aussi c'était nouveau pour moi et excitant, ainsi la quête de musique qui me touche comme Godspeed et Neurosis venait de commencer.
 

- D'après toi, qu'ont en commun Neurot, Hydrahead et Constellation ? As-tu eu du mal à produire quelque chose d'homogène ?
 

Permets-moi de contredire certaines idées que les gens ont pu avoir. Ce docu n'est pas un docu « metal », un docu « post-rock », ou quoi que ce soit qui ne s'intéresse qu'à un seul style. L'idée c'était de se demander pourquoi des gens font une telle musique et de montrer à quel point ces groupes chérissent l'idée de ne pas être placés sous des étiquettes. Est-ce qu'on peut simplement dire que Neurosis c'est du metal ? Franchement, ça signifie quoi « post-rock » ? On utilise ces mots pour décrire ces groupes, mais ils ne suffisent pas. Ces groupes ont en commun la défiance de la description, mais surtout, ils partagent une éthique DIY inspirée par des musiciens punks des années 80. Cet esthétisme et ces idées, lancés par des labels dirigés par des musiciens comme SST et Dischord, sont allés jusqu'à rassembler différents styles d'art et de musique, comme on peut le voir pour des labels modernes comme Hydra Head, Neurot Recordings, et Constellation, d'où l'idée de « DIY in the 21st Century »
 

L'exemple parfait : regarde le line up du Festival ATP dont Godspeed You! Back Emperor a été le curateur en décembre dernier : Neurosis, Wolves in the Throne Room, Thee Oh Sees, Tim Hecker, pour ne mentionner qu'eux…
 

- Pourquoi as-tu choisi ces labels ? Est-ce que tu as interrogé uniquement des musiciens signés sur ces labels dans ton docu ? Je crois avoir entendu dire que Rosetta, signé sur Translation Loss, et des disquaires faisaient également une apparition ?
 

Le schéma du documentaire a été fortement influencé par Aquarius Records et leurs listes de nouvelles parutions bihebdomadaires. Pour ceux qui l'ignorent, ce disquaire fait systématiquement des critiques d'albums et de musique de niche, et ce avec des descriptions très détaillées qui renvoient à d'autres groupes, labels et genres. Je connaissais déjà Godspeed et Neurosis, mais Aquarius m'a fait découvrir ISIS, et cette idée de communauté de labels. Du coup, ils se devaient de faire partie des personnes interrogées dans le docu, tout comme Pete Majors de Vacation Vinyl, un disquaire de Los Angeles qui se spécialise également dans ces styles de musique loin d'être populaires.
 

D'autres labels étaient vraiment en compétition pour le documentaire, comme Southern Lord, Ipecac, Translation Loss, et Temporary Residence, et je savais qu'il était important de parler d'eux puisqu'ils suivent ces mêmes idées. Malheureusement il n'y avait pas assez de 90 minutes pour parler en détails de TOUS ces labels. Je ne voulais pas dénaturer l'idée originale du film en en mettant trop. Comme je voulais de la qualité et non de la quantité, j'ai choisi de me focaliser sur ces 3 là, du début à la fin.
 

- Dans ton docu tu analyses ces scènes musicales, est-ce que ça a changé ta façon de voir le monde? Penses-tu qu'il ne s'agit pas uniquement de musique ? Est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire qu'il s'agit aussi de politique?
 

J'ai rencontré et interrogé plein de gens, ma philosophie en a donc été renforcée. Entendre ces gars parler de leur musique m'a donné des frissons, mais cela m'a également conforté dans l'idée que je devais continuer de faire ce docu. Ces idées d'indépendance et de considération de la musique comme un art et non comme un produit semblent tellement simple en théorie, mais je peux comprendre l'envie de toucher une plus grande audience, juste pour survivre financièrement. Et c'est justement pour ça que mener ce projet jusqu'au bout était si important. Ces groupes et labels ont choisi de prendre en main leur destin, de garder leur énergie pour créer leur propre héritage, ce qui, à mon avis, va beaucoup plus survivre au temps qu'un groupe cherchant juste à signer un contrat. Les fans de cette musique comprennent l'importance de l'intégrité et savent à quel point c'est ancré dans cette philosophie. Ça peut sonner un peu politique, mais je pense que ça vient du fait que les communautés hors de la musique « mainstream » se sont développées, et c'est une très bonne chose.
 

- Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées? Es-tu seul à financer ce projet ? Est-ce que quelqu'un te supporte ? Comment y arrives-tu ?
 

Ce projet a été autofinancé à 100%. C'est en partie pour ça que ça a pris 5 ans ! J'ai reçu beaucoup d'aide de la part de la boite de production pour laquelle je travaillais à l'époque. Ils étaient vraiment d'un grand secours, en me laissant emprunter des caméras vidéo, des micros, et des tripodes pour la plupart des scènes multi-caméra du docu. De nombreux amis qui s'y connaissaient en film et caméras et qui aiment cette musique m'ont également aidé. La persévérance, l'amour de la musique, et connaitre les bonnes personnes qui ont accès à l'équipement adéquat sont les trois facteurs qui ont rendu tout cela possible.
 

- Il y a deux docu musicaux dont on parle beaucoup en ce moment : Such Hawks Such Hounds (qui traite du Stoner/Desert Rock) et Slow Southern Steel (qui traite de groupes heavy du South). Pensais-tu qu'il était temps de parler de ces scènes underground depuis trop longtemps ? Aurais-tu des documentaires musicaux qui ont influencé ton travail ou que tu aimerais nous suggérer, qu'ils soient récents ou plus anciens?
 

Je pense que plusieurs facteurs ont fait que de nombreux documentaires sur la musique indépendante ont été faits. Les caméras vidéos sont devenues plus abordables ces 10 dernières années. Ajoute à ça les radios qui deviennent de plus en plus homogènes et conventionnelles et la facilité avec laquelle n'importe qui peut se procurer cette musique. Beaucoup de groupes qui apparaissent dans Blood, Sweat + Vinyl, et les autres docus que tu as mentionné, ont une forte composante visuelle et une relation très personnelle avec leurs fans, il n'y pas de syndrome du musicien sur un piédestal, tu vois ces gens se promener dans les rues de ta ville, ou travailler à l'épicerie du coin. Cette proximité et l'envie de découvrir de la musique, je pense, a motivé les gens à vouloir documenter sur quelque chose qu'ils pensent spécial. Et dans mon film je compare l'indépendance de ces labels et groupes aux pionniers du DIY, issus de cette scène punk des années 80. Ces gars ont pris cet héritage et sont partis avec, et il est important que le monde sache que cet esprit est toujours vivant. Je pense que le besoin de savoir que notre voix est entendue est particulièrement fort en ce moment, ça contribue au désir de documenter.

Concernant les documentaires qui m'ont influencé, il y en a des tas, mais j'ai choisi les plus importants :

Half Japanese: The Band That Would be King – sans conteste mon documentaire musical préféré. C'est une observation hilarante et narquoise de la scène "indie" ainsi que des performances live avec une passion rarement captée en vidéo. Cela m'a également montré comment faire un documentaire sans avoir recours à la voix off ou à la narration.

Punk: Attitude – Ce film a été le catalyseur, celui qui m'a poussé à réaliser Blood, Sweat + Vinyl. C'est une analyse en profondeur du punk des années 70-80 qui ne se concentre pas sur l'attitude, mais beaucoup plus sur la musique.

AC/DC - Let There Be Rock – Je l'ai vu quand j'étais au lycée et ça m'a donné envie de shooter des concerts, mais pas dans le sens vidéo-éditée-à-l'arrache-façon-MTV. Ce film te donne l'impression d'être en plein concert au travers d'images minutieusement choisies qui révèlent l'énergie d'AC/DC et occultent tout le reste.

Talking Heads: Stop Making Sense – c'est vraiment le meilleur film réalisé. Tu prends la description d'AC/DC au-dessus, et tu la multiplies par 100.

Night Flight – C'était une émission diffusée en soirée sur USA Network aux États-Unis. Ça montrait des courts films étranges et des clips qui avaient les couilles d'expérimenter le media avant même que le mot « clip » devienne un gros mot. Tu parles d'une inspiration pour un gamin de 10 ans !

 Totally F****d Up – Ce n'est pas un docu de musique, mais un long métrage par Gregg Araki. Écrit, filmé, produit et réalisé par Araki; avec une bande son qu'il avait lui-même choisi, la plupart des morceaux étant sortis chez 4AD. Ce film est l'un des meilleurs exemples de ce à quoi peut ressembler une vision vraiment indépendante et il a réussi à capturer l'esprit de la musique à travers une histoire bien ficelée.

1991: The Year Punk Broke – Un docu sur Sonic Youth qui adopte l'approche d'un film de famille pour filmer un groupe en tournée, sur films super-8. Ça m'a prouvé l'importance d'avoir une relation personnelle avec les gens que tu interroges.

Nirvana: Live at Reading – Celui-ci est un exemple d'anti-inspiration. Pour ce qui est considéré comme un concert historique de Nirvana, ça a été édité avec des chutes coupées à l'arrache par MTV qui servent uniquement à montrer l'esprit embrouillé des réalisateurs. À regarder comme un exemple de ce qu'il ne faut PAS faire pour documenter un concert.
 

- Planifies-tu de projeter ton documentaire en Europe ? Parle-nous en, j'ai beaucoup d'amis en Europe qui meurent d'envie de voir le film.
 

C'est drôle que tu mentionnes la France. À l'heure où on parle on est en train d'organiser une petite tournée européenne pour avril et mai 2012, avec plusieurs dates dans différentes villes françaises. On est tenté par la Suisse et l'Allemagne, et l'Italie aussi. C'est plutôt tôt pour confirmer quoi que ce soit, puisqu'on en est au tout début du processus, mais on a hâte d'aller en Europe pour présenter ce film lors d'une soirée où des groupes apparaissant dans le film pourraient jouer. Alors restez à l'écoute !
 

- J'ai entendu dire que tu avais travaillé sur un autre documentaire « The Pathology of Civilization », qui sera projeté pendant que Hangedup jouera à Montréal avant qu'on projette "Blood, Sweat and Vynile". Parle-nous de ce film, ce que j'ai vu sur Vimeo m'a intrigué.
 

« The Pathology of Civilization » est une « trilogie multi medias » inspirée par le livre du même titre, écrit par John Zerzan, un philosophe anarchiste. Les sujets principaux sont: la futilité du progrès qui émane de la dissonance entre l'humanité et la nature, la course au progrès, le tout inspiré par le film de Koyannisqatsi, mais en insistant plus sur le vide et l'écho des paysages abandonnés. Ce n'est pas vraiment un documentaire puisqu'il s'agit d'une étude racontée grâce à des images minutieusement choisies, travaillées et éditées, combinées à une bande sons qui va produire des images au travers de réverbérations de voix intrigantes, de passages drones. La musique a été grandement inspirée par Godspeed, Neurosis, et Tim Hecker, je trouve que les ambiances et l'atmosphère que ces artistes dégagent reprennent les mêmes idées.

Pour la prestation de Hangedup, j'ai retravaillé les images, en ajoutant de l'imagerie figée et d'autres images de ma collection de vidéos réalisées pendant des années qui pourraient coller à l'ambiance du film. J'espère que le public s'efforcera de faire un lien entre les images et la musique, je pense sincèrement que ça peut être très puissant.
 

- Sur quoi aimerais-tu travailler à l'avenir ? D'autres projets concernant la musique ?
 

Pour moi, filmer des concerts et réaliser des documentaires sur la musique est un travail très satisfaisant, j'hésite même à utiliser le mot « travail » puisque ça voudrait dire que je le fais à la base pour recevoir un salaire et payer mon loyer. Si c'était mon but, je ferais des films sur des groupes plus conventionnels signés sur des gros labels. Au lieu de ça, je continue mon diplôme en cinéma, comme ça à l'avenir je pourrais enseigner à l'université, tout en continuant à travailler avec des groupes et sur la musique qui comptent pour moi, et apporter quelque chose et aux groupes et aux fans. Pour le moment je suis très pris par un vaste projet d'archivage que je réalise. Je ne peux pas citer le nom du groupe, mais disons au moins qu'il y aura un DVD l'an prochain avec beaucoup d'extraits de concerts et d'autres trucs sur lesquels les fans vont vraiment tripper.
 

J'aimerais aussi déménager au Canada pour continuer de travailler sur ces projets. J'ai visité le pays plusieurs fois et je suis devenu très attaché à Montréal en particulier. Je veux faire ça depuis des années, et comme il est de plus en plus difficile pour les artistes de vivre de leur art aux États-Unis, l'idée devient plus une nécessité qu'une envie.
 

Si je peux continuer à travailler sur ces films, enseigner et devenir expatrié au Canada… et bien, tu sais j'ai fait un film sur les mammouths alors je peux bien réussir à faire ça! Tu veux voir mon cv ? (rires)
 

- L'entrevue est terminée, les derniers mots sont les tiens, que veux-tu dire?
 

Je suis très content que le film soit présenté avec un concert d'Hangedup puisque c'est pour ça que le film a été fait: l'énergie et la passion des prestations de ces groupes sont ce qui m'ont amené à figer ces instants dans le temps, avec ces labels et groupes qui chérissent ce que, je pense, est une réelle évolution de l'esprit DIY du punk-rock. Réaliser ce film et travailler avec ces artistes m'a apporté beaucoup de joie et fut un réel honneur. Je suis très pressé de venir à Montréal pour montrer tout ça dans la ville de Constellation!

BLOOD, SWEAT AND VINYL: DIY IN THE 21ST CENTURY avec Kenneth Thomas
Baktelraalis
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