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Yann et Thibaut curateurs et pères de Falling Down
Curation. Ouh quel vilain mot ! Mais après tout, c'est ce que nous faisons au quotidien, quand nous "blippons" ou "last.fmons" les morceaux que nous écoutons, quand nous partageons ou "likons" nos dernières découvertes sur forums et réseaux sociaux à ceux qui eux-mêmes nous avaient partagé cette énorme perle il y a quelques mois. Il y a aussi ceux qui tiennent des blogues ou des webzines, qui ont envie de partager de manière plus engagée ou construite leurs coups de coeur. Et puis il y a ceux qui décident d'agir de manière tout à fait originale, avec un concept plus vieux que la plus vieille des plateformes de l'Interweb : la compilation. Yann et Thibault sont les 2 ombres s'agitant du haut de leur montagne derrière ces immenses coffrets remplis d'inédits et de nouveaux groupes à découvrir. Dans le cadre de la sortie de leur prochaine compilation Falling Down IIV (réunissant des morceaux de The Winchester Club, Year of No Light/Mars Red Sky, Syndrome, Aidan Baker, Monarch et bien d'autres) déclinée dans plusieurs éditions très très classes et disponible en pré-commande par ici, je leur ai proposé notre classique interview fleuve qu'ils ont décidé d'affronter en binome à la suite.
Présentez-vous brièvement à nos lecteurs "internautes" : comment vous appelez-vous, d'où viennez-vous et que faites-vous dans la vie ?
Yann : « Dans un immense univers, un petit globe, la terre, tourne autour d'une étoile. Il occupe la troisième place, après Mercure et Vénus, dans la famille planétaire. Il est constitué d’un noyau solide, tandis que la majeure partie de sa surface est recouverte de liquide, et il possède une enveloppe gazeuse. Des créatures vivantes peuplent le liquide. D'autres volent dans le gaz, et d'autres encore rampent ou marchent sur le sol, au fond de la couche gazeuse. » Je suis de ceux qui marchent, et qui font de la vie ce qu'ils doivent en faire : trouver un sens.
Thibaut : j'erre dans l'autre monde, de tout façon, il n'y a que ça à faire, attendre...
On a tous un album, un mouvement musical, une personne qui a changé notre vision de la musique, quel est votre parcours personnel ?
Y. : Ce portrait est loin d'être évident. À bien y réfléchir, il me semble que tout commence en 2006, lors d'un festival de musiques extrêmes basé à Clisson, dans le sud de la France, à côté de Montpellier. J'écoutais depuis un certain temps déjà du BM et du Death, ce qui expliquait ma présence sur ce site. Et puis j'ai assisté à ce concert d'Amenra, en début d'après-midi si j'ai bonne mémoire. Je ne connaissais pas, j'errai. J'ai été hypnotisé. Bouleversé par la présence du chanteur, Colin. Je crois que je n'avais jamais ressenti quelque chose de similaire par le passé. C'était d'une telle pureté, d'une telle sincérité. Un groupe d'individus, qui sont devenus des amis, à parler à la fin du concert à un des musiciens, dont je ne me rappelle plus de l'identité, peut-être est-ce mon ami Mathieu ? Je les ai suivi, curieux d'en savoir plus sur ce que je venais de vivre. Je me suis fait dédicacé le Mass III par tous les musiciens, à leur stand. Oui, je crois que c'est le point nodal de mon parcours personnel musical, là où tout commence vraiment et où tout découle.
T. : L'imprécision m'emporterait presque... J'ai toujours aimé l'émotion d'un gars comme Cobain sur scène, les plus cachées d'ailleurs ; probablement que cela transpirait le vide. Tu sais, je n'te parle pas de Nevermind là... Alors, il y a diverses choses qui traversent une existence, et je n'saurais tout reconstituer en pseudo-ordre de préférence, bien que certains trucs marquent au fer rouillé.
Votre implication dans la musique? Le moment où vous avez franchi le pas? Celui où, si c'est le cas, cette activité est devenu votre métier?
Y. : Membre fondateur de la .falling down company, que je décide à présent de renommer .falling down foundation.
T. : Hmmm. Ca manque de... Comment dire, je renomme .fallling down empire.
Les principales difficultés que vous avez rencontrées? Celles que vous rencontrez encore?
Y. : Si je devais lister les difficultés rencontrées, ce qui me semble impossible, je crois que les plus gros formats ne suffiraient pas. C'est inimaginable. Je pense vraiment que peu de personnes imaginent combien ce genre de projet est incroyablement compliqué à mettre en place. J'en parlais récemment avec mon ami Manu, qui a décidé, il y a de cela quelques temps, de produire une compilation plus axée sur la scène hardcore internationale, en partie inspiré par ce qu'on a pu faire avec .fallingdown, notamment par cette volonté de réunir le maximum de morceaux inédits. Je vous encourage à vous pencher sur son projet : Straight from the heart compilation. Nous sommes tombés rapidement d'accord sur le fait que tant que tu n'as pas vu l'envers du décor, tu ne peux avoir qu'une infime idée du merdier que c'est. C'est à t'en faire douter du pourquoi. Pourquoi me suis-je aventuré dans ce foutu bourbier. J'incite tes lecteurs à se lancer dans ce genre de projet, et de changer le terme même de compilation, qui est bien trop réducteur et inadapté : c'est tellement plus.
T. : Afin d'éviter toutes, du moins une partie des difficultés, il n'y a pas une orgie de chemins qui s'offre, il faut s'éloigner de l'environnement des semblables.
Votre avis sur l'éthique du DIY? Votre propre définition?
Y. : Je dois être trop jeune. Je ne connais que très peu, au final, cette éthique DIY. Nan, vraiment, je suis mal placé pour répondre.
T. : C'est une voie. Personnellement, et peu importe les aspects logistiques, je n'ai aucun rapport particulier avec cela ; l'indifférence, sans doute...
Vos projets? Comment voyez-vous votre activité évoluer? Vos souhaits? Vos craintes?
Y. : Après plus d'un an à bosser sur ce projet de volume IIV, je peux t'assurer que tu prends un soin méticuleux à ne pas tourner trop brièvement la page. Notre récompense est incroyable. Pouvoir enfin le faire partager, ce qui m'est curieux comme sentiment à bien y regarder et étant plutôt bien placé pour me connaître, et pour l'avoir vécu déjà trois fois, est un moment dans ta vie foncièrement singulier et agréable. Une distraction éphémère, avant de reprendre cette véritable chute libre, bien réel cette fois-ci, au/du quotidien.
Mes souhaits ? Nous connaissons déjà plus ou moins la tracklist du volume IIII, qui n'en sera à n'en pas douter fidèle à la représentation que nous nous en faisons, puisque dans le cas contraire, il n'aura pas lieu d'exister.
Mes craintes ? L'Internet. Il apparaît plus que probable que je ne tienne plus le coup longtemps, et que je quitte tout cet univers virtuel. Seul .fallingdown m'y retient.
T. : Bien qu'il reste encore beaucoup de choses à gérer, c'est l'instant (enfin dans un mois) où tu libères un effort de plusieurs mois, où tu présentes une réalisation à cœur... Alors tu as envie forcément que les groupes, les gens, apprécient cela, qu'ils soient satisfaits, qu'ils découvrent de fantastiques musiques, etc., simplement que tout soit parfait. Ça ne t'empêche pas de mépriser chaque semblable de cette planète et de maudire l'inconséquence de conscience ici-bas, il ne faut pas tout confondre et se perdre... Alors maintenant, nous faisons quoi ? Divaguons à la portée de la plume, plutôt ce putain de clavier, dans des lueurs mélancoliques, sombres et imprécises ; énumérons nombres d'errances, allons au croisement des mots et du grand n'importe quoi... Apprécions les retours positifs, ignorons l'ignorance du reste, et sourions dans la conscience de l'éphémère. La crainte serait d'être trop bas, et ainsi ne plus pouvoir creuser davantage : effectivement tout est déjà mort, mais je fais confiance à la mélancolie pour m'écraser.
Votre album ultime? Le concert auquel vous penserez toujours?
Y. : L'utilisation du singulier dans cette phrase m'empêche cruellement de te répondre.
T. : Bis.
Votre instant musique de prédilection pour la ressentir au maximum ?
Y. : J'ai une idée plutôt précise sur ce que peuvent être les conditions parfaites pour ressentir au maximum la musique. Par chance, je les ai déjà vécu. Pour des raisons évidentes que je ne prendrai pas la peine d'expliciter, sans doute par nécessaire auto-censure, je ne peux pas rentrer dans les précisions, notamment sur les forces externes auquel il est possible de faire appel. Mais laissez-moi vous parler d'un des lieux particulièrement propice, nous concernant. Avec Thibaut, nous avons la chance d'avoir plusieurs endroits dans lesquels nous nous sentons bien, plus serein, plus apaisé pour ainsi dire. L'un d'eux est dans nos montagnes, aux abords d'un chalet perdu dans la forêt. Au milieu de nul part. Nous y avons passé des moments inoubliables, et nombreux étaient ceux où la musique nous accompagnait, s'échappait dans l'atmosphère de paix ambiante, la bande son d'un paysage incroyable, pleine de quiétude, d'un ciel étoilé, admirant la voûte céleste, telle une simple « créature vivante », parmi la multitude d'autres qui t'entoure harmonieusement. Dès que je le peux, je sais que de me balader en montagne, de m'y arrêter, et d'y écouter une poignée de morceaux soigneusement choisis, est pour moi un moment d'une grande importance. Inutile de préciser que dès que les conditions météorologiques s'agitent et se dégradent un peu, ça n'en est que plus magnifique à vivre.
T. : Seul? C'est déjà un bon point ; mais cela n'écarte pas forcément la présence de la cavalerie réduite. Dans le noir, horizontalement ; dans les montagnes aux paysages de feu, les forêts, les endroits isolés, évidemment. Les concerts intimistes également. Encore faut-il que la musique soit transcendante, ce qui n'est que poussière à l'échelle globale. T'imagines toi, il y en a qui vont dans des bars ou pire, qui dansent et qui disent aimer la musique... Il y en a aussi qui se plaisent, toujours à se faire violer les oreilles, dans d'immenses festivals sans la moindre touche de grâce... La plénitude et la folie, mais aussi l'extase intérieure profonde, l'essence des sons, se dégagent de la musique et non de la mascarade et des clowns tout autour. Alors tu montes là-haut, tu terrasses la neige histoire de te faire un support solide, tu lèves la tête dans des contrées oculaires de magnificences et tu plonges dans l'avalanche sonore, aux émotions diverses.
Quel est votre rapport avec un instrument de musique ? Fascination, peur, frustration ?
Y. : De la frustration, à n'en pas douter. Je ne veux pas passer une longue vie entière ici-bas sans avoir vécu au moins une fois la sensation et l'excitation de ce que c'est d'être sur scène pour jouer sa musique. Ça me ferait également très plaisir d'y monter en tant qu'invité pour un groupe que j'admire. J'espère que ça va se faire prochainement.
T. : Je n'ai pas un rapport particulier avec les objets, les plus fous soient-ils. Je m'en sers bizarrement, pour faire des vagues sonores introspectives. Ça pourrait également servir comme instrument d'expiation, mets-moi une jolie guitare entre les mains et je l'écrase sur les accessoires (mouvants?) environnants, dans un éclat à mille sens.
Parmi les nombreux styles de musique autour desquels nous gravitons, lequel vous est le plus cher et pourquoi ?
Y. : Et si je te demandais lequel t'es le plus cher parmi les nombreux styles de musique autour desquels nous gravitons, au sein de nos compilations, que répondrais-tu ? Il y a fort à croire que tu me dirais aucun, pour d'ailleurs cette raison que Pelecanus serait, si c'était le cas, loin d'être si éclectique. Je pense que nous avons besoin de complémentarité, de trouver un certain équilibre. Des groupes de BM m'apaisent, des formations drone me tétanisent, des groupes de space-rock me rapprochent un peu plus près des étoiles, des formations hardcore catalysent ma haine, etc. Les sentiments m'apparaissent comme éphémère et cyclique, il me paraît donc normal de les satisfaire aussi différemment que leurs essences le sont.
T. : Je ne me pose pas la question. C'est comme si je voulais comparer Chokebore à d'autres groupes... C'est faire voguer un navire dans les forêts...
Etes-vous capable d'écouter des choses totalement différentes ? Si oui des exemples pour tenter de nous faire peur?
Y. : Si c'est devenu commun, je pense que ça peut tout de même encore en surprendre quelques uns : passer la gueule grande ouverte de l'épilepsie d'un The Dillinger Escape Plan, aux longues plages à l'atmosphère exacerbée d'un Asva, pour taper contre un mur sur un Kickback en hurlant des insanités, puis pleurer et s'effondrer sur la beauté inégalable d'un Cult of Luna, avant d'exploser de malignité sur un Arkhon Infaustus.
T. : De la musique classique au Drone, passant par le Psychédélique, etc, la douceur, la mélancolie ou la violence... Il y a déjà tellement de choses, et tellement de groupes qui sortent d'étiquettes... L'original et le profond ont de grandes chances de me toucher, et ne seraient à caser précisément nulle part.
Mais bien sûr que je pourrais faire peur, d'ailleurs la conscience de l'écoute est déterminante dans l'écoute, donc il y a un caractère relatif ; mais l'ensemble le fait mieux que moi, sans relatif, et pas simplement dans ses goûts.
Dans quoi mettez-vous le plus d'argent ? Vinyles/CDs/Bandcamp, concerts, merchandising?
Y. : Sans aucun doute, c'est de la science économique : compilation.
T. : La production c'est la ruine...
Avez-vous une "consommation" similaire dans d'autres formes d'art?
T. : Pourrait-on qualifier cela d'art... Probablement.
Y. : Nan, c'est malheureusement un don qui me manque. Je commence à peine à cerner les possibilités qu'offre la photographie, et les plaisirs qui s'y rapportent.
Vos parents écoutaient quoi quand vous étiez enfants ?
Y. : Je me rappelle que mon père me donnait des coups de ceinture, mais également parfois de martinet, les fesses à l'air, à en saigner, en écoutant du Piaf (« Nan, rien de rien... nan, je ne regrette rien! »).
T. : Je suis toujours un enfant ; irradié par vos concepts certes. D'ailleurs si tu peux me présenter ton père mec, j'ai envie de coups de fouet, c'est incoercible...
Le mot de la fin : il est à vous, dites ce que vous voulez.
Y. : Merci à toi, et de manière plus générale à toute l'équipe de Pelecanus, pour votre soutien ces dernières années. Merci de nous avoir permis de nous exprimer. Merci à ceux qui nous soutiennent. Merci à Sylvain/Synckop qui nous a vraiment permis d'avoir un magnifique visuel dépassant nos attentes, merci à Mariexxme pour sa précieuse aide dans l'élaboration du dvd de la endless edition, merci à notre talentueux ami Julius pour ses fabuleux trailers (thanks a lot man!), merci à Aurelio pour son aide via le W-Fenec et Domino Media Agency (mec, j'ai une envie incoercible de te voir en photo!), merci à nos ingénieurs du son Julien Fehlmann et JP (également guitariste des fous furieux de Rorcal!), et merci à Charles (Metalorgie de manière plus générale!) pour son support depuis plusieurs années. No fun, no errors.
T. : Une envie de vous embrasser, ceux qui nous inspirent, ceux qui nous soutiennent... D'aller de divagations en vides, à refaire le ciel étoilé, regrouper l'ensemble autour de quelques bières, au centre de quelques montagnes. Mais la fin reste le vide.
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