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Greg Jouvenne : journaliste / attaché de presse
Depuis quelques temps déjà l'idée de rencontrer puis d'archiver des conversations écrites avec des acteurs de la scène dans laquelle nous nous aimons à divaguer trottait dans ma tête. Après avoir établi un questionnaire simple mais complet, ma quête est maintenant de vous ramener des témoignages de personnes qui ont décidé de prendre la vie d'un certain angle, car oui il ne sera pas forcément question que de musique. Musiciens, artistes visuels, journalistes, blogueurs, photographes et bien d'autres seront passés au crible, et vous permettront de découvrir qui se cache réellement derrière cet écran de fumée pas toujours aussi sombre qu'on le croirait. Aujourd'hui rencontre avec Greg Jouvenne aka Vincent Duke, journaliste, attaché de presse, membre de Pelecanus.net et surtout mélomane à l'esprit ouvert.
Présente-toi brièvement à nos lecteurs "internautes" : comment t'appelles-tu, d'où viens-tu et que fais-tu dans la vie ?
Greg Jouvenne, aka Vincent Duke, né le 1er mars 1978 à Vichy, France. Journaliste, attaché de presse, animateur/programmateur radio et à l'occasion, organisateur de concert. Actuellement en recherche d'emploi sur Montréal, secteur communication/relations publiques.
On a tous un album, un mouvement musical, une personne qui a changé notre vision de la musique, quel est ton parcours personnel ?
La première fois que j'ai vraiment écouté de la musique, c'était au début des années 90 avec le rap : Public Enemy, Pete Rock, EPMD, Assassin, ONYX, etc... Puis grosse claque sur Bob Dylan, un ou deux ans plus tard. Dans le même temps, sont arrivés dans mes oreilles le hardcore et l'électro. Je devais avoir alors 17/18 ans. Et les choses se sont mises en place d'elles-même. Une découverte, une rencontre en amène une autre, etc... Sans oublier que ces années étaient particulières à bien des égards : arrivée de nouveaux styles de musiques, large diffusion (j'ai découvert un groupe comme Ministry à la télévision française) et un "vent de liberté"...
Ton implication dans la musique? Le moment où tu as franchi le pas? Celui où, si c'est le cas, cette activité est devenu ton métier?
C'est variable. J'aurais peut-être l'occasion de m'expliquer... Pour le "passage à l'acte", la fac m'a bien aidé... L'armée aussi. Disons que pour éviter de passer 10 mois en kaki à me faire hurler dessus en marchant dans la boue à 4h du matin, je devais rester à la fac. Je précise que le kaki ne me va pas du tout au teint. J'avais un maximum de temps libre et j'ai commencé à écrire dans des fanzines (la connexion internet était de 56k à cette époque...) puis j'ai eu une émission et un poste de programmateur à Radio Campus Clermont-Ferrand, une radio associative du réseau Iastar. Un jour, je lisais un mag de skate, les pages musiques, et le rédacteur en chef expliquait que ses chroniques rock n'étaient peut-être pas fantastiques car son journaliste musique avait quitté le pays. J'ai pris mon téléphone et je lui ai proposé une interview de Fugazi. C'était parti. Je gagnais de l'argent pour mes textes et il m'est apparu comme une évidence que je devais en faire mon métier.
Les principales difficultés que tu as rencontrées? Celles que tu rencontres encore?
Je vais donc pouvoir revenir sur "variable". La principale difficulté? Vivre de son métier en le faisant correctement et honnêtement. Être journaliste implique une conscience professionnelle et un travail permanent (veille documentaire, recherches) ainsi que de l'intégrité. Je ne parle même pas des embûches du statut de journaliste indépendant. Les pigistes n'étaient pas très bien traités quand j'ai commencé ; c'est devenu une vaste blague de nos jours. Techniquement et officiellement, en plus de mon travail de journaliste, j'ai été : matelot sur des péniches, adjoint administratif pour le Ministère de l'Intérieur, chargé de la gestion des fonds patrimoniaux pour une bibliothèque municipale, gestionnaire de communauté pour des opérateurs de téléphonie mobile, déménageur, concierge chez Harley, chargé de communication et attaché de presse. Pour être journaliste indépendant dans la musique, tu as le choix entre vendre ton caleçon en pièces détachées ou avoir un taf (une job) alimentaire à côté pour équilibrer ton budget certains mois. La crise du disque, celle de la presse papier... J'avoue, j'ai déjà chroniqué des disques en suivant des consignes alors que JAMAIS je n'aurais eu l'album chez moi tellement il était mauvais et sans le moindre intérêt. J'ai commencé à gagner de l'argent en écrivant à l'âge de 19/20 ans : une chronique de disque faisait 1500 à 2500 caractères, payée entre 70 et 120 euros. Quand j'ai pris la décision de ne plus vivre du journalisme, on me proposait de faire des chroniques de 450 caractères (nom du groupe, de l'album et du label compris) pour 8 euros. Pour promouvoir des groupes minables en plus, qui ne se trouvent dans des pages de magazines que pour une seule raison : les maisons de disque les font vivre en achetant de la pub. Tu connais le dicton « on ne mord pas la main qui vous nourrit » ? Un rédac-chef d'un magazine vendu en kiosque m'a même un jour balancé à la gueule que j'étais "vénal" parce que je demandais à être payé pour mes articles. Il y a aussi de fortes pressions sur le style d'écriture, ce que tu as le droit de dire, ou pas. Les coups de fil de rédac-chef juste avant une interview pour te faire penser à la question "marketing", genre "tu penses bien de demander à Dave Grohl quelque chose sur Nirvana!". Depuis quelques années et ma partielle « reconversion », j'écris dans des webzines et j'ai l'esprit en paix. Si je chronique un disque, c'est uniquement parce que j'estime, en mon âme et conscience, qu'il est bon. J'ai la chance de bosser avec des gens qui ont aussi une éthique. Dans l'absolu, je ne rencontre donc plus aucune difficulté.
Ton avis sur l'éthique du DIY (Do It Yourself) ? Ta propre définition?
Faire les choses honnêtement, sans compromis, ni « petits arrangements », et dans une perspective de développement durable. J'insiste sur la notion de développement. Chaque "acteur" dans la culture, quel que soit son rôle, est confronté aux réalités économiques. La culture n'est pas gratuite, faire de la musique, avoir un magasin de disques ou un label, organiser des concerts, non plus. Générer des revenus ne signifie pas "être un vendu qui se fait de l'argent sur le dos du public, des artistes, etc...". Ça veut juste dire que tu rentres dans tes frais et que tu es capable de continuer et développer ton activité sur le long terme.
Tes projets? Comment vois-tu ton activité évoluer? Tes souhaits? Tes craintes?
Rester dans l'univers de la musique, à un degré ou un autre, et continuer à écrire. De toute façon, je ne peux pas arrêter. C'est un besoin vital. Et mine de rien, j'ai pu apprendre pas mal de choses via ce boulot, développer des « talents annexes » dans la communication et les relations de presse, secteur culturel ou autre. L'enrichissement personnel est lui incalculable. Pour l'évolution, même si je reste très attaché à l'écrit, je m'intéresse de plus en plus aux possibilités de la vidéo pour les interviews et à la diffusion sur internet. Le mix images et textes. Pas de « crainte » à proprement parler. La musique se porte très bien, il y a des groupes fantastiques, et pas mal d'exemples dans les dernières années que oui, il est tout à fait possible de faire du bon, sans compromis, et que ça marche. Je pense à Music Fear Satan, un excellent disquaire et label français, au Roadburn Festival aux Pays-Bas, à Constellation Records à Montréal, … La liste est longue. Les cultures de niches sont une réalité. Et elles sont en plein développement.
Ton album ultime? Le concert auquel tu penseras toujours?
Sacrée colle... Pour l'album ultime, je peux en balancer trois ? « Red Medicine » de Fugazi, « The Birth Of The Cool » de Miles Davis et « The Downward Spiral » de Nine Inch Nails. En ce qui concerne les concerts : le dernier des Portobello Bones, au Café Charbon à Nevers et la première fois que j'ai vu Motörhead. Mais encore une fois, c'est très dur de choisir.
Ton instant musique de prédilection pour la ressentir au maximum ?
C'est vaste... Ça va d'être dans ma voiture à chez moi, seul, en face de ma platine vinyle, en passant bien sûr par les concerts, la soirée entre amis, les transports en commun. Oups, je me rends compte que j'ai beaucoup de mal à vivre sans musique. C'est grave, Docteur ? Il y a aussi un ou deux autres "instants musique", comme tu les appelles, auxquels je pense mais dont je ne parlerai pas, je suis un gentleman.
Quel est ton rapport avec un instrument de musique ? Fascination, peur, frustration ?
Aucun. Zéro. Ah, si!!! Au collège, j'étais forcé de jouer de la flûte en cours de musique. Une catastrophe. J'ai appris pas mal de trucs au contact d'amis musiciens, mais je n'ai jamais eu la moindre envie de jouer. Chacun son boulot. Je pense qu'un journaliste qui joue ou a un groupe, cela crée un conflit d'intérêt. Il y a quelques exceptions, mais être juge et partie... Bof. Quand tu es journaliste musical, tu t'adresses à des gens qui écoutent de la musique, pas à des musiciens. Ce n'est que mon avis, mais savoir quel instrument, quelle gamme de notes a été utilisé sur tel passage dans un morceau, je ne crois pas que ça intéresse les gens. C'est déjà assez difficile de faire réaliser à quelqu'un qu'il y a autre chose que les « artistes » mis en avant dans les médias de masse, si en plus tu as une vision élitiste... C'est un travers qui est malheureusement courant et qui crée une triste situation : d'un côté ce qu'il faut appeler par leur nom, des vendus donc, qui mettent Linkin Park en couverture et de l'autre, des pseudos intellectuels, « grands théoriciens » de la musique, avec une vision ultra-élitiste et malsaine.
Parmi les nombreux styles de musique autour desquels nous gravitons, lequel t'es le plus cher et pourquoi ?
Ne demande pas à quelqu'un de choisir entre ses enfants. Je suis incapable de répondre à cette question.
Es-tu capable d'écouter des choses totalement différentes ? Si oui des exemples pour tenter de nous faire peur?
Heureusement pour mes disquaires, malheureusement pour mon compte bancaire, oui. Je suis un gros fan de rap (golden age et scène actuelle), de funk, d'indus, d'électro (jungle, drum'n bass, dubstep, minimaliste, brain dance), de rock psyché (des années 60 à maintenant), de stoner, de hardcore, de doom, de heavy, de blues, de folk et de jazz. Ne me demande pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même, je suis absolument hermétique au reggae. Je suis aussi fan de la première période de Tom Jones.
Dans quoi mets-tu le plus d'argent ? Vinyles/CDs/Bandcamp, concerts, merchandising?
Définitivement les vinyles. CD ? Qu'est-ce ? Merch, pas vraiment, sauf pour des affiches de concert à l'occasion. Bon, j'ai bien mes tee-shirt Saint Vitus et Motörhead... Bandcamp, ou Revernation, etc... sont de bons outils pour faire découvrir sa musique mais je suis absolument contre le principe d'album dématérialisé. Le mp3 est pratique, aucun doute, mais ça a un côté froid et sans vie qui ne me procurera jamais le plaisir que je ressens en posant une grosse galette en vinyle sur ma platine. Un album est un ensemble : le disque, l'artwork de la pochette, le livret avec les textes et les crédits.
As tu une "consommation" similaire dans d'autres formes d'art?
Je magasine (j'ai bon?!) aussi ciné, bouquins, séries TV, romans graphiques.
Tes parents écoutaient quoi quand tu étais enfant ?
Michel Sardou, Claude François, Johnny Halliday (l'équivalent de Éric Lapointe). Ma mère est une grande fan de Nolwenn Leroy (Cœur de Pirate, version française) et a même sa photo dédicacée dans son salon. Question suivante !
Le mot de la fin : il est à toi, dis ce que tu veux.
D'abord, je tiens à te remercier de m'avoir fait passer un des pires moments de toute ma vie ! Quinze ans que je pose des questions et d'être de l'autre côté de la barrière est absolument horrible ! Ensuite... La vie est courte. Soyez-en acteur. Ayez l'esprit ouvert. Si vous aimez la musique - le conseil est valable pour tout - cherchez, creusez, échangez avec d'autres gens. Allez chez des disquaires indépendants et dans des concerts. Ce n'est pas devant un ordinateur à discuter avec des « amis » que vous n'avez jamais vus que ça se passe. Si vous décidez de vous impliquer dans ce milieu, faîtes-le pour les bonnes raisons : parce que vous aimez la musique et que vous voulez la défendre et la faire découvrir aux autres. Dernière chose : si quelqu'un veut bien m'offrir une édition vinyle, même un repressage, de "Solid Oak" de Top Drawer, j'accepterai le cadeau avec plaisir.
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