Vous êtes ici

Shellac + Helen Money 01/06/2016 @ La Gaîté Lyrique, Paris, France

Portrait de Boris
Shellac + Helen Money 01/06/2016 @ La Gaîté Lyrique, Paris, France

C’est bien peu de dire que le passage à Paris de Steve Albini et de son increvable trio bruitiste de Chicago était attendu comme le Sauveur par tous les musicomanes amateurs d’expériences auriculaires limites…

Et ils furent nombreux, ce mercredi 1er juin, à braver les torrents de pluie déferlant sur la capitale pour trouver refuge au sein de la grande salle de la Gaieté Lyrique, ce joyau d’éclectisme architectural à l’acoustique particulièrement enveloppante - palais idéal pour festoyer gaillardement par delà les codes du concert de rock typique, en compagnie de nos trois roublards underground aux punchlines aussi corrosives qu’un bain d’acide fluorhydrique.

Helen Money

Une prestation magnétique tout en ondoiements et en remous émotionnels

En guise d’apéritif, on dégustera comme un bon vin - boisson de terroir fort prisée par les membres de Shellac à ce qu’il semble - la prestation intense, tout en clair-obscur, de la violoncelliste Alison Chesney, plus connue par le nom de son projet solo Helen Money. Installée seule au milieu de la scène, avec à ses pieds un complexe enchevêtrement de pédales de saturation et d’échos multiples par lesquelles transite son instrument avant d’être amplifié dans un haut-parleur de guitare électrique, Helen Money confère à sa musique avant-gardiste tantôt un caractère de dépouillement minimaliste - une Philip Glass destroy sous acides - tantôt une expérimentation acousmatique flirtant avec la noise que n’auraient pas renié Sonic Youth ou Godspeed You! Black Emperor… Une prestation magnétique tout en ondoiements et en remous émotionnels qui sera appréciée à sa juste valeur par un public conquis et respectueux - pas un bruit durant les pianissimos de la violoncelliste - et qui ouvre l’appétit pour le plat de résistance de la soirée.

 

Shellac

La grande salle de la Gaieté affiche quasi-complet lorsqu’apparaissent les trois vétérans activistes de Shellac; Steve Albini côté jardin est revêtu à son habitude d’un bleu de travail aux couleurs de son studio d’enregistrement, Electrical Audio, qu’il tombera tout de même avant de saisir sa guitare, Bob Weston côté cours arbore un t-shirt Dischord Records, bien bel hommage au label de Fugazi, tandis qu’au devant de la scène, en position de frontman, trône la batterie rudimentaire du sauvageon Todd Trainer.

Comme Fugazi, Black Flag ou les Minutemen en leur temps, ils possèdent au plus haut degré cette vertu rare et précieuse, la probité.

Le sublime doigt d’honneur pointé vers toute une industrie de l’entertainment sclérosée par le pouvoir de l’argent et les compromissions de la société spectaculaire affleure d’ors et déjà dans cette disposition scénique atypique. En allant jusqu’à supprimer les retours sur scène, en jouant toutes lumières allumées, en invitant le public à participer et poser des questions entre les morceaux, les musiciens de Shellac abolissent l’équation habituelle « spectateur passif - vedette toute-puissante ». Comme Fugazi, Black Flag ou les Minutemen en leur temps, ils possèdent au plus haut degré cette vertu rare et précieuse, la probité. A quoi l’on ajoutera ce délicieux sens de l’humour caustique dont Albini et Weston feront assaut durant à peu près tout le concert, raillant tour à tour les sports d’équipe, les boites de nuit, les réglementations sonores françaises applicables aux lieux musicaux, ventant les qualités gustatives du vin servis dans les loges et incitant le public à venir voler leurs t-shirts… n’en jetez plus!

Et la musique dans tout ça? Un parcours sans fautes mon général… De l’introductif « Riding Bikes » à l’apothéose minimaliste « The End of Radio » et ses trois accords de basse répétés ad libitum par Weston tandis que Trainer et Albini commencent à ranger leurs instruments - ultime fuck you de la soirée - Shellac déploie son rock abrasif et angulaire selon une setlist bien rodée puisant équitablement dans toute leur discographie. Dès les premiers accords de « Copper », les premiers rangs de la Gaité se déchainent et se transforment en véritable pit gentiment foutraque, ça danse, ça se bouscule, ça chante, on s’amuse bien… Copper will never be gold… Nos dudes incredibles continuent à larguer leurs armes de destruction massive, bénéficiant d’un son über-massif, et enchaînant leurs pépites les plus efficaces telles que « My Black Ass » - quelle basse mes aïeux - , le kinky « You Came In Me », l’enivrant « Compliant », j’en passe et des meilleurs…

Avec une section bass/bat au top; le jeu de batterie de Trainer évoquant un croisement improbable entre John Bonham et un homme des cavernes, un Bob Weston goguenard prenant un plaisir évident à apostropher le public entre les morceaux, et un Steve Albini à la voix de slacker en grande forme, Shellac a livré ce mercredi soir une prestation de grande qualité, et l’on n’espère rien de moins que de les revoir très vite sur scène dans nos contrées… Qu’on se le dise, la bonne musique live existe encore, et, comme toujours, elle provient du sous-sol.

 

Crédit Photos : CSAOH / Andrey Kalinovsky

Ajouter un commentaire