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François-Carl Duguay : photographe / auteur auto-publié

Portrait de baktelraalis
François-Carl Duguay : photographe / auteur auto-publié

Repéré un jour grâce à sa proéminente chevelure rousse en mode hélico headbanguesque lors d'un concert à Montréal, François Carl est une de ces personnes pour qui documenter son époque est d'une importance capitale. Passant d'un regard objectif sur son époque et sur sa région d'origine, l'Acadie, avec son livre "Les Acadiens" à l'amour de la musique, des concerts et des voyages avec sa série "On The Wagon", il s'est récemment essayé à l'auto-publication avec La ligne à harde. Pour en savoir plus sur son quotidien d'artiste photographe, d'auteur auto-publié et d'étudiant endetté, c'est dans la suite que ça se passe !

Présente-toi brièvement à nos lecteurs "internautes" : comment t'appelles-tu, d'où viens-tu et que fais-tu dans la vie ?
 

Mon nom est François Carl Duguay, Carl pour les intimes. Je suis originaire de la Péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick, d'une ville qui s'appelle Tracadie-Sheila. Ce que je fais dans la vie, principalement? J'accumule les dettes. J'ai déménagé à Montréal en 2004 pour poursuivre un bac en arts visuels. J'ai commencé à faire de la photographie en réalisant des portraits « intimes » de mes amis lorsque j'étais ado. Quand est venu le temps de décider ce que je voulais faire comme études supérieures, j'ai choisi la photographie. Je me disais que si je voulais étudier les arts visuels contemporains, je devais me déplacer vers un centre où je serai en contact avec ce type d'art. Montréal grouille d'activités culturelles et de diverses galeries, et surtout nous avons le musée d'art contemporain, c'est un plus pour un étudiant en arts. J'ai déménagé à Montréal non seulement pour l'art, mais aussi pour la culture en général. Surtout la musique. Il va sans dire qu'à Tracadie, il n'y a pas beaucoup de concerts. Pourtant, l'Acadie est très métal selon moi. Je dirais même très « trash » métal : de la bière, des chars et des « bécik », etc. Donc, lorsque je suis arrivé à Montréal, j'étais comme un enfant dans un magasin de bonbons. Je voulais tout voir! Mon premier spectacle pourrait en surprendre plusieurs : SUM 41 à St-Adèle. Anecdote sur ce spectacle : Protest The Hero était en première partie et j'étais le seul à être debout, à l'avant, directement au pied de Rody Walker. J'ai donc eu droit à une version Protest The Hero de 17-18 ans, tout fraichement sorti de l'école secondaire. À l'époque ils jouaient du métal plus punk à saveur politique. Comme je venais d'arriver à Montréal, je n'avais plus d'amis à photographier. Je me suis alors tourné vers la musique. En continuant de faire de la photo et en vivant ma passion pour la musique, j'entretenais cette approche intimiste dans mes portraits. J'ai par la suite complété mon bac en arts visuels et médiatiques à l'UQÀM. Je suis présentement en train de compléter un diplôme d'études de 2e cycle à l'Université de Sherbrooke, en édition. Lorsque j'ai terminé mon bac en arts en 2009, j'ai lancé mon premier livre de photographie « Les Acadiens » à travers ma propre maison d'édition créée pour la cause : La Ligne À Harde. Ma photographie tient du documentaire subjectif, c'est-à-dire un documentaire qui tient compte de la présence du photographe derrière l'objectif. « Les Acadiens » est un hommage à la photographie de Robert Frank qui a fortement influencé ce courant de photographie documentaire subjective. Je viens tout juste de publier un nouveau livre, « On The Wagon – Volume 2 » qui illustre, cette fois-ci ma passion pour la musique.

 

On a tous un album, un mouvement musical, une personne qui a changé notre vision de la musique, quel est ton parcours personnel ?
 

Oh là ! Très jeune je dirais premièrement Green Day, en 1994 avec Dookie, j'étais âgé de quoi… 8 ans? Mais c'était par l'influence de ma grande sœur. L'accès à la musique dans ce temps était assez compliqué pour moi. Plus tard, j'ai eu accès à un tape deck, je me souviens avoir écouté beaucoup de Weird Al Yankovic. J'ai eu pour un moment un mix tape de Nevermind de Nirvana qu'un voisin m'avait prêté. Je me souviens crier n'importe quoi dans le haut-parleur durant «Territorial Pissings », c'était ma préférée! Elle me faisait sauter sur le lit et headbanger comme un fou! Ça a vraiment débuté lorsque j'ai reçu mon premier lecteur de disques compacts en cadeau à Noël 1997. Mon premier disque compact était «Prodigy - The Fat of the Land». Je me souviens avoir vu le clip de « Breathe » à la télévision chez un ami (je n'avais pas accès au câble chez moi, j'habitais trop loin dans les bois!) et l'esthétique m'avait vraiment impressionné. J'avais alors 11 ans. L'année suivante fut celle de la révélation! Hahaha, eh oui, Korn avec Follow The Leader. Je dois dire alors que c'est l'album le plus marquant de ma préadolescence. Cet album m'a exposé aux trucs plus heavy et aux albums qui portaient fièrement le « parental advisory explicit content » qui légitimait tous les nouveaux groupes nu-métal. Je me demande si les choses auraient été différentes si j'avais eu un grand frère. Plusieurs diront que leurs grands frères écoutaient Iron Maiden, Metallica, Motörhead ou encore Pantera. Mon adolescence fut peut-être plus marquée par le garage rock, avec un regain d'intérêt pour Nirvana qui me fut amené par l'attitude des groupes en « the » : The White Stripes, The Strokes, The Hives, The Vines etc. Sans oublier Pink Floyd, que beaucoup d'adolescents expérimentent avec toute sorte de substances... Je dois préciser que l'internet ne m'était pas accessible et que la seule chose que je pouvais consommer était ce que je trouvais dans les grandes surfaces. Bonne chance pour trouver du Neurosis chez Jean Coutu. Je trouve impressionnant de découvrir cette musique maintenant, sachant que dans un univers parallèle à moi, il y avait une explosion de musique stoner ou doom.

L'album qui m'a peut-être le plus marqué après tout cela est Pass The Flask de The Bled. C'est le premier album où j'avais besoin de lire les paroles pour saisir les mots. Le son de l'album est hardcore et le premier souffle est au 6e titre. Cet album est marquant, car il m'a permis d'apprécier la musique qui n'est que du « criage ».

 

Ton implication dans la musique? Le moment où tu as franchi le pas? Celui où, si c'est le cas, cette activité est devenue ton métier?
 

Coïncidence ou destin? Quelques semaines après mon arrivée à Montréal, j'ouvre le journal Voir à la page des annonces de concerts et je lis, écrit en tout petit en bas, que The Bled allaient jouer à Montréal. Je m'en réjouis et me présente plus tôt au spectacle avec mon appareil photo et une enregistreuse casette. Je m'étais dit que je ferais une entrevue avec le groupe et que je la proposerais à CHOQ.fm, la radio étudiante de l'UQÀM. Je dois dire qu'à cette époque je pensais avoir le temps de m'impliquer dans la radio, finalement j'ai passé mon temps libre à boire de la bière cheap du dépanneur. Je faisais beaucoup de radio à mon école secondaire, je faisais toujours jouer des pièces instrumentales de métal, car on devait respecter des règles de diffusion de musique francophone, l'instrumental étant toutefois accepté. L'entrevue avec The Bled a eu lieu, mais n'a jamais été diffusée. Ce spectacle est le plus marquant pour moi, car il s'agit du premier auquel j'ai assisté avec un appareil photo. J'avais demandé au groupe si je pouvais être sur le mini stage de la salle de spectacle, le « Rainbow ». Ça a été merveilleux de pouvoir être au centre de la performance et d'en faire la documentation. J'ai instantanément eu la piqure. Après le spectacle, j'ai suivi le groupe dans un bar sur St-Laurent et j'ai fini la soirée avec eux chez une de leurs connaissances où j'ai dormi sur le plancher. Le lendemain je les ai salués et ils ont repris la route. Je suis groupie : là où la plupart des gens seraient rentrés chez eux après le spectacle, je suis resté et les ai collé telle une mouche. J'ai fait la même chose chaque fois qu'ils repassaient à Montréal. Je crois en avoir manqué seulement un, le Warped tour 2006, sinon, j'ai documenté tout le reste (sauf un autre, où ils ont ouvert pour My Chemical Romance au Centre Bell). Il n'est pas étonnant que j'aie documenté leur dernière tournée au Canada dans presque son intégralité en 2010. J'ai fait 6 dates entre Toronto et Montréal, et ce projet constitue le volume 1 de ma série On The Wagon, seulement je n'ai pas les moyens de le publier. Documentation ou obsession ? Depuis ce soir d'octobre 2004 avec The Bled, je documente de temps à autres des groupes à l'aide de mon appareil photo. Lorsque j'ai commencé, je ne voyais presque personne aux spectacles avec des appareils photo. Vous pouvez regarder mes photos du soir en particulier (lien vers l'album flickr) et vous verrez qu'en 2004, personne n'avait d'appareil photographique de poche ou encore de cellulaire! L'année suivante au Warped Tour 2005, lorsque j'ai enfin réussi a sauté une clôture pour aller en « backstage » afin de voler quelques clichés et essayer de croiser les gars de The Bled, un jeune homme m'a adressé la parole. Il m'avait vu au spectacle de The Bled et m'a avoué que je lui avais donné l'envie de s'équiper en appareil photo numérique, ce qui était très dispendieux à l'époque, et de devenir photographe. Il avait aussi une vraie accréditation photo du Warped Tour et représentais un site web! Je me souviens avoir ressenti de la jalousie, j'ai un syndrome d'infériorité ou plutôt celui du «ma caméra est plus petite que la tienne». Il y en a des plus débrouillards que d'autres! Dans le temps, j'avais vraiment une vieille caméra, un canon ea-1 avec un focus manuel. Que de plaisir à essayer de faire le focus sur des musiciens, dans le noir, qui sautent partout! J'ai commencé à faire de la photographie avec un appareil à pellicule, car le marché du numérique n'était pas encore accessible et au point. Depuis, j'ai toujours fait de la pellicule et maintenant, je défends son utilisation, car elle est très marginale. J'en fais un peu ma marque de commerce. En parlant de commerce, je ne peux pas dire que cette activité est mon métier, car cela ne me permet pas de gagner ma vie. J'ai décidé de m'appliquer plus sérieusement dans la documentation de la scène locale plus récemment. Comme je le dis, j'ai besoin d'avoir une certaine intimité dans mes photographies, je n'ai pas documenté la scène locale simplement parce que je ne la connaissais pas! Une fois après un concert de Queens Of The Stone Age, j'ai rencontré un musicien qui était dans un groupe et m'a invité à faire de la photo pour eux, Sidharta. Ce que j'ai fait pour un bon moment, seulement à l'époque, j'étais tellement saoul, que je n'ai pas réussi beaucoup de photos! Histoire similaire pour un autre groupe. Un soir lorsque j'étais pissed à un spectacle d'Iron Giant, quelqu'un m'a demandé de réaliser une photo pour son groupe. La même semaine, j'ai développé mon film, et en chambre noire je me suis souvenu avoir réalisé ce cliché dans les rues froides de Montréal avec Dutch Oven qu'une fois la photo entre mes mains. J'ai suivi l'évolution du groupe depuis, il suffisait de demander! C'est un peu plate à dire, mais c'est en partie depuis l'essor de Facebook que j'ai décidé de faire une page/blogue Dreadlash Photography. Avant j'étais sur MySpace… haha! ça paraît déjà très loin l'utilisation de Myspace! Ce blogue m'a motivé à publier régulièrement mes recherches photographiques dédiées à la musique. Je me suis ainsi tourné vers la scène locale au lieu d'attendre le passage de mes groupes préférés et de me battre pour des accréditations photo.

 

Les principales difficultés que tu as rencontrées? Celles que tu rencontres encore?

Il y a tellement de difficultés qui sont reliées à ma démarche…

Premièrement, l'utilisation de pellicule. J'ai la chance d'habiter à un coin de rue d'un fournisseur photo qui vend encore de la pellicule. Mon tout premier film noir et blanc, je l'ai acheté chez Jean Coutu. À l'époque, ils en vendaient. Maintenant, tu ne trouves plus de film noir et blanc facilement! Tu dois te tourner vers des magasins spécialisés. Donc premièrement, il y a une difficulté quant à l'accessibilité du médium photographique. Je dis bien, acheter. Chaque film me coûte environ 8$. Quand je documente une soirée avec 3 groupes par exemple, c'est un minimum de 24$, car bien sûr pour un groupe qui est cher à mes yeux, je peux prendre jusqu'à 3 films. Prochainement, si tout va bien, je devrais photographier la tournée de Mastodon. Je vais investir environ : 2-3 films pour Red Fang, 2 films pour Dillinger et finalement 3 films pour Mastodon. Je travaille présentement pour faire une session de portraits avec Red Fang donc un autre film ici et un autre pour une session avec Mastodon. Normalement je prends quelques films extra au cas où. Total : plus ou moins 12 films, x 8$ = 96$. Un argument envers l'utilisation de la photographie numérique que j'ai bien aimé venait d'un photographe du monde de la planche à roulettes (Seu Trinh si ma mémoire est bonne) qui disait que dans une année avec le numérique, il économisait assez d'argent pour s'acheter une voiture. C'est considérable! Bon, parfait, vous avez votre caméra et vos films, la deuxième étape s'impose : avoir une accréditation photo. Pour la scène locale et la contre-culture, heureusement, on s'en tape, mais préparez-vous à payer le prix d'entrée… Pour n'importe quel est le groupe qui joue dans une salle où il y a moindrement d'organisation, on ne peut photographier comme bon nous semble. Avant, je me présentais toujours en après-midi pour entrer dans la salle, lorsqu'il n'y avait presque personne. C'est très intimidant, car j'ai toujours l'impression de ne pas être à ma place. En fait le staff de la salle ne vous connaît pas et l'équipe des groupes non plus. Il y a toujours un flou à savoir qui est qui. Si vous vous présentez en même temps que le groupe, parfois le staff croit que vous faites partie de l'équipe du groupe. Seulement, rapidement ils vont voir que vous n'avez pas de fameux « laminé », ce qui vous trahit. Vous avez alors peu de temps pour trouver un membre du groupe, le convaincre de demander à son « tour manager » de vous offrir une accréditation. Ça a déjà fonctionné. Cela demande du temps et du culot. Par la suite, avec l'arrivée de MySpace et maintenant de Facebook, on peut essayer de contacter le groupe directement pour s'y prendre à l'avance. La meilleure approche reste toujours de contacter le management du groupe qui lui va peut-être vous mettre en contact avec le «tour manager» qui lui va s'arranger avec la salle pour qu'on vous remettre une accréditation. C'est tellement moins stressant, mais en même temps vous n'avez pas de contact avec le groupe, vous n'êtes qu'un autre photographe qui travaille pour un papier. Cela est aussi une autre difficulté, le fait d'être indépendant. Les managers de ces groupes ne vous prendront pas au sérieux si vous ne travaillez pour personne d'assez important pour y prêter attention. Jusqu'à maintenant, j'ai toujours travaillé pour moi-même, pour ma propre quête documentariste. Essayez d'expliquer ça un gestionnaire. Il faut ainsi se construire un important portfolio. La prochaine étape est donc de prendre les photos. Dépendamment de l'ampleur de l'événement, souvent les photographes de « presse » n'ont droit qu'à un temps de 3 chansons pour prendre leurs photos. J'ai déjà vu des videurs empêcher des photographes accrédités de prendre place parce que le spectacle était trop rough et qu'il y avait trop de bodysurfing. Dans ce cas, sortez votre grosse lentille! Maintenant avec le numérique, les photographes peuvent mitrailler leur sujet, prendre 500 photos en 15 minutes, rentrer chez eux et en choisir une, la retravailler sur un logiciel, et l'envoyer à leur éditeur de journal le soir même. Mais pour moi ça se déroule autrement. Reprenons l'exemple de Mastodon. Je vais m'y présenter avec mes 3 films, je dois choisir une sensibilité de film élevée car je ne pense pas utiliser mon flash, car bien souvent son utilisation est interdite. J'ai alors 3x36 clichés à prendre = 108 photos, ce qui est relativement beaucoup lorsque l'on ne mitraille pas nos sujets. Avec le numérique on a accès au résultat instantanément ; avec la pellicule on doit attendre d'être en chambre noire. Il m'est déjà arrivé de devoir attendre de développer quelques films pour réaliser que je m'étais planté sur les réglages de mon appareil photo. Ça fait mal. Les poses étant limitées, je dois être plus sélectif dans mes choix de composition et angles. La photographie de musique live n'est pas de tout repos. Nos sujets sautent partout, il faut donc photographier plus instinctivement; bien souvent il y a un gros spot de lumière qui joue contre nous, il faut alors étudier les patterns d'éclairage; on doit surveiller notre environnement qui est plus ou moins « hostile », par exemple un punk saoul qui vous tombe dessus et c'est un flash brisé, je sais de quoi je parle, c'est du vécu (le pire est que ce flash n'était pas le mien..) etc. Une fois le spectacle terminé, on se retrouve avec nos films exposés. Je fais moi-même le développement de mes films. Je suis très chanceux car mon statut d'étudiant me permet d'avoir accès à une chambre noire à l'université pour pas cher et avec des ressources incroyables. Prochainement, je vais devoir trouver une alternative, me construire une chambre noire et payer le plein prix des produits nécessaires au développement. Le développement des films prend du temps et sa numérisation en prend encore plus. Ce n'est pas pour rien que la photographie numérique domine maintenant le marché, elle est vraiment plus efficace pour les usages professionnels. Après un autre traitement, numérique cette fois, je publie les photographies sur mon blogue.

Je vous invite à regarder un petit vidéo réalisé pour démontrer mon travail de chambre noire.

Une autre difficulté serait de capter l'attention du public! On peut dire que je fais tout ce travail pour seulement quelques visites sur une page internet.

 

Ton avis sur l'éthique du DIY? Ta propre définition?

Je pense qu'avoir une attitude DIY est une question de conditionnement. Je me suis intéressé à une culture comme celle de la planche à roulettes à l'adolescence, c'est là que j'ai été exposé au terme. Je me souviens lire Trasher, ou parlait tout le temps du DIY. Un documentaire qui m'a beaucoup influencé, et qui est peut-être mon film documentaire préféré, est « Dogtown and the Z-boys » sorti en 2001. Ce film a changé ma vision de la photographie. Avant je faisais de la photographie documentaire par mimétisme de ce que je voyais dans le Trasher. Le photographe Craig R. Stecyk III m'a donné envie de faire du photojournalisme. Je m'en souviens clairement, j'ai même vérifié dans des universités s'il n'y avait pas des formations de ce genre. Quoi qu'il en soit, il se dégage de ce film une forte attitude punk. Il présente les Z-boys comme des mauvais garçons, marginaux, sans moyens, qui trouvaient toute sorte de façon de s'épanouir dans leur passion. Le DIY part de là pour moi : la passion. Le DIY, sans vouloir être trop ésotérique, c'est avoir de fortes visions, presque une vocation pour quelque chose et travailler dans une direction pour atteindre notre but. Le DIY c'est savoir par je ne sais quels moyens concrétiser nos visions. Je pense que c'est très important. Ma maison d'édition La Ligne À Harde est le résultat d'une vision. L'auto-édition est très DIY, le terme le dit! Les auteurs éditeurs qui s'autopublient sont souvent regardés de haut dans le monde de l'édition, parce que bien souvent ces gens n'ont pas les mêmes moyens qu'une entreprise établie. On a vite fait de considérer l'auteur qui s'autopublie comme un auteur qui, ayant subi trop de refus de la part d'éditeurs, a finalement décidé de publier lui-même son œuvre. Ce jugement nous fait croire que la qualité des œuvres autopubliées est moins bonne, car les œuvres n'ont pu être publiées dans une vraie maison d'édition. Cette idée est applicable dans le monde de la musique. Dopesmoker de Sleep avant d'être un des plus grands classiques de stoner-doom a été refusé par le label du groupe. Du DIY découle une envie de pouvoir, légitime, sur ses œuvres. Quand j'ai conçu mon projet d'édition avec « Les Acadiens », je savais que j'aurais probablement de la difficulté à trouver un éditeur pour plusieurs raisons. Les livres de photos sont rares, car ils sont trop coûteux et la demande, trop mimine. Je n'ai même jamais envisagé de proposer mon projet à un éditeur. Peur du rejet probablement, mais même si le projet avait été accepté, j'aurai eu l'impression de perdre possession de mon œuvre. Il y a un besoin de garder son indépendance; d'être indépendant face à toutes sortes de facteurs extérieurs. Reprenons Sleep comme exemple, Dopesmoker est le director's cut si l'on veut et Jerusalem la version éditée et remixée. Je n'enlève rien au travail d'éditeurs, bien souvent ils poussent les auteurs à retravailler un texte pour le meilleur. Tout de même, le travail d'un éditeur, c'est d'éditer! Pour moi, s'autoéditer et s'autopublier, c'est prendre toutes les responsabilités de son travail. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas recevoir d'aide! Une de mes plus grandes réussites aura été de savoir m'entourer de gens qui m'aident à réaliser mes « visions ». Je pense que ce qui reste le plus important dans DO IT YOURSELF, c'est le DO IT. On peut avoir plein de bonnes idées, mais là où l'on se démarque c'est dans notre capacité à les accomplir. On entend souvent en arts visuels des commentaires du genre : « c'est facile ! J'aurais pu le faire moi-même, et ce en 5 minutes ». Bravo champion, mais tu ne l'as pas fait!

 

Tes projets? Comment vois-tu ton activité évoluer? Tes souhaits? Tes craintes?

J'ai plusieurs projets déjà en tête, que ça soit ma série « On The Wagon » avec laquelle je peux publier des voyages avec des groupes de musiques diverses ou encore d'autres sur la documentation de l'Acadie. Ce ne sont pas les idées qui manquent! J'ai aussi des envies de jouer à l'éditeur et de publier le travail de quelqu'un d'autre. Par contre, j'ai bien peur d'être confronté à la réalité qui est que ce n'est pas une activité rentable! Une activité passionnante certes, mais bientôt je vais devoir commencer à rembourser mes dettes d'études et je ne pourrai plus me concentrer sur cette passion… Je viens tout juste de lancer un livre et je suis loin d'avoir atteint un seuil de rentabilité. Comme je suis un réel indépendant, un micro-éditeur de contenu culturel qui se spécialise dans des niches très pointues, je suis en situation très précaire. Le tirage de mes livres est si bas que ça ne vaut pas la peine de payer pour les faire distribuer, et surtout, vu la spécialisation de mes livres, je ne pense pas que ça fonctionnerait en librairie. Je dois alors me tourner vers des alternatives. Il y a les Salons du livre qui sont toujours intéressants, mais ça comporte un lot de risques et de dépenses (transport, location de stand, etc.). Je suis en zone grise, parce que je ne suis pas un réel éditeur avec un réseau de contacts important. Je n'ai pas accès aux médias traditionnels de diffusion tels que les journaux, la télé et la radio. Je ne peux pas me permettre d'envoyer des livres en service de presse ici et là. Je dois planifier mes actions et me concentrer sur des moyens de diffusion spécifiques. Je ne suis pas en mesure de payer de la promotion! Même un « vrai » éditeur, peut-être à l'exception de Quebecor, a de la difficulté à se payer de la pub. Il est vrai que j'en suis seulement à mes débuts, mais si je veux continuer à concrétiser mes « visions », il va falloir trouver un moyen d'y parvenir. Je pense peut-être pouvoir y arriver grâce à mon site web, www.laligneaharde.com. Le plan est d'y faire de la vente directe avec les clients. Au lieu de payer un distributeur, un diffuseur et finalement un libraire pour faire une vente sur laquelle je perds de l'argent (!), je souhaite pouvoir faire un commerce électronique qui redéfinit la chaine du livre habituelle. Malheureusement, pour le moment, ce n'est pas très efficace! Cela risque de prendre du temps avant que mes œuvres trouvent leur public. L'important est de ne pas se décourager. Je souhaite alors d'atteindre un seuil de rentabilité. J'ai besoin de faire des ventes pour pouvoir investir dans la « machine » et ainsi continuer ma quête documentariste. C'est un cercle vicieux. Par exemple : si je publie un œuvre parce que je l'aime vraiment et si au fond, il n'y a que moi qui l'aime, quel est le but d'en faire 300 copies? Je devrais ainsi prioriser les œuvres susceptibles de bien se vendre et en d'autres mots, mettre une croix définitive sur la photographie de musique!

 

Ton album ultime?

C’est une question difficile! C’est un peu comme choisir lequel de tes enfants tu aimes le plus (ou te fait moins chier), mais je n’ai pas d’enfant. Je ne sais pas. Le plus influent ? Je parlais plus tôt de Follow the Leader et Pass the Flask, mais je ne suis pas prêt à dire que ce sont des albums ultimes! J’aurais tendance à faire des références à l’histoire du métal : probablement un album de Black Sabbath ou encore Motörhead.

 

Le concert auquel tu penseras toujours?

Même chose ici, trop d’expériences différentes pour n’en choisir qu’une… Mon premier show de the Bled? Comme il s’agit du premier spectacle avec une caméra dans mes mains?

Motörhead?

L’été dernier au Heavy MTL 2011, il y avait deux petites groupies à côté de moi. J’étais presque en première rangée, à la « gate ». Il y avait un gars en avant de moi, j’étais à gauche de la scène (ma droite) pour bien être devant Lemmy. J’ai délibérément manqué Opeth pour avoir un bon spot pour Motörhead… Revenons-en aux groupies! Deux jeunes demoiselles en brassière qui avaient écrit au feutre des paroles telles que « Love me like a reptile » et « squeeze my lizard » sur leur corps... On a tous bien hâte, ça promet! Lemmy entre en scène : « We are Motörhead ! and we play rock and roll ! » qui fout la foule en délire! Je délire moi aussi et déguste chaque chanson, mention spéciale pour « In The Name Of Tragedy ». Arrive « Ace Of Spades », et là, ça bouge! Dans toute la commotion, j’ai le réflexe de me tourner pour je ne sais quelle raison. J’aperçois l’une des filles tatouées au feutre sur les épaules d’un gars... elle décide d’enlever sa brassière… « … snake eyes watching you! » Mon sourire s’est vite transformé en dégout, car je la vois se faire toucher vulgairement, et ce en moins de 2 secondes! Des mains de partout dans la foule s’agrippent à son corps d’adolescente! Elle se met à taper sur la tête d’un mec tandis que le gars sur lequel elle est assise se décide, lui aussi, à taper sur la gueule d’un autre mec. Résultat, elle tombe presque par derrière, moment de panique! Comme nous étions tout prêt de la « gate », le videur décide de s’en mêler. Voulant la sortir, il s’approche. Moi et le gars qui était en avant de moi, on pousse pour lui faire un peu de place. Il réussit à agripper la jeune fille par ses pantalons de jeans « short shorts » et elle, en retour, se met à taper sur le videur. Elle est encore sur les épaules de son chevalier. Le videur perd les nerfs et se met à tirer de toutes ses forces, entre-temps tout le monde se frappe dessus, tout le monde gueule, Motörhead et Lemmy s’en donnent à cœur joie. Tout à coup, le videur donne son dernier coup main et déchire les pantalons et les petites culottes de la fille qui se retrouve nue et tombe...Dans mes bras! Me voilà dans un mosh pit de Motörhead au Heavy MTL avec une fille nue dans les bras, le tout pendant «Ace of Spades» et directement en face de Lemmy lui-même. Et hop, je balance la jeune fille dans la mosh pit et je la vois disparaître du coin de mon œil, se cachant du mieux qu’elle le pouvait de ses petites mains. Mikkey Dee entame alors un rythme très bien connu de la foule : OVERKILL !

 

Ton instant musique de prédilection pour la ressentir au maximum ?

En tout temps ! Sérieusement, je risque d’être sourd dans quelques années. J’ai toujours de la musique qui joue quelque part. Un vrai mélomane. J’aime mon iPod, grâce à lui, je peux avoir ma propre petite bulle, mon propre environnement portable avec ma musique. J’aime bien arriver dans un party et subtilement essayer de contrôler la musique qui y joue. Mon corps se sent en zone familière lorsqu’il baigne dans les vibrations qu’il connaît et aime. Sinon, sans vouloir avoir l’air d’un macho : la musique post-coïtale... tout mon corps est vulnérable et sensible aux vibrations!

 

Quel est ton rapport avec un instrument de musique ? Fascination, peur, frustration ?

Je suis très fasciné par les instruments de musique! Je n’en ai jamais joué. À l’école, j’aimais mieux dessiner que jouer de la flute, j’ai toujours choisi les arts visuels. Ce qui fait que je n’ai aucune connaissance en musique! Je suis fasciné par le fait qu’un instrument de musique permette de créer et contrôler des fréquences qui forment des mélodies à nos oreilles. Le plus fascinant là-dedans, je pense, c’est le cerveau du musicien! Ça me surpasse! L’humain crée un outil, il le perfectionne et se perfectionne lui-même dans le but de l’utiliser. On tombe dans une source de créativité sans fond, c’est merveilleux. Il est capable de premièrement jouer de l’instrument, mais en plus, s’il a la capacité d’inventer, de créer, c’est comme s’il développait un nouveau langage. Il est bien d’être un technicien, un interprète, et de pouvoir jouer n’importe quelle mélodie à la perfection, mais lorsqu’on tombe dans l’improvisation et la création, c’est là que ça devient intéressant. Je me suis souvent dit que le meilleur joueur de guitare au monde était probablement un inconnu dans un magasin de guitares quelque part. Jouer dans un groupe c’est autre chose également! On peut avoir le meilleur musicien et s’il n’est pas capable de jouer avec quelqu’un d’autre et d’échanger, ils ne sont pas sortis du bois. Il y a de grands compositeurs qui ont composé des symphonies seuls, oui, et on le voit encore aujourd'hui avec ces groupes qui ont un musicien au centre et tout le reste de l’orchestre qui est interchangeable; les autres musiciens du groupe sont des interprètes.

Je dois apprendre à jouer d’un instrument. Imagine si je passais autant de temps à jouer d’un instrument que je passe sur mon PlayStation. Je n’ai aucun rythme, mais là aucun, rien. Si un jour je rencontre le génie d’Aladdin et s’il me demande quel instrument je veux jouer à la perfection, je choisirais la batterie. J’aimerais pouvoir jouer de la batterie, pour frapper fort!

 

Parmi les nombreux styles de musique autour desquels nous gravitons, lequel t'es le plus cher et pourquoi ?

De ces temps-ci, j’aime bien la musique lourde, même un peu sale. Je dirais le stoner-sludge-doom. Quelque chose avec beaucoup de fuzz ! Le style Black Sabbath, c’est bien un style, non ? Tant qu’à un moment donné, ça varge et que je headbang seul, peu importe où.

 

Es-tu capable d'écouter des choses totalement différentes ? Si oui des exemples pour tenter de nous faire peur?

Étant Acadien, j’adore le folk ! Je parle du vrai folk, du vrai de vrai, parfois à la limite du country western! C’est un très beau terme « folk », ça signifie simplement « gens », dans le folk c’est ça que t’as, de la musique faite par des gens qui représentent les gens. C’est de la musique très personnelle. En Acadie, il y a une façon particulière de jouer du violon, plusieurs artistes s’en servent comme lead dans leurs chansons, c’est merveilleux! Un bon exemple de musique que j’écoutais tout jeune (et encore!), à voir sur youtube 1755- le monde qu’on connaît : http://youtu.be/7daYQJKGTsM.

Mets du violon dans une chanson et il y a de fortes chances que j’aime ça! Par exemple Subrosa, wow! 

Sinon, le premier album de Cayouche est l’exemple parfait de DIY! Au début, dans la péninsule acadienne, il y avait des cassettes « bootleg » enregistrées, selon la légende, dans une cabane à éperlan, que les personnes copiaient et s’échangeaient. Il jouait dans des relais de ski-doo pour une caisse de bière et 100$. Il a autoproduit son premier album ce qui a lancé sa carrière d’une façon phénoménale. C’est un gars avec sa guitare, c’est très intime et… quelle force! Cayouche, c’est notre Lemmy acadien, on n’a qu’à simplement remplacer les « Malboro » par les « Export A » et le « Jack Daniels » par la « Alpine », il a même une excroissance faciale! Cayouche est illettré, ce qui veut dire qu’il n’a jamais écrit une chanson, ça me fascine!

À voir : http://youtu.be/zGKH4lkgUO0 également le documentaire « Le Temps d’une bière » : http://youtu.be/HoKi1StA7FM

J’écoute presque aussi souvent du folk acadien que du métal.

 

Dans quoi mets-tu le plus d'argent ? Vinyles/CDs/Bandcamp, concerts, merchandising?

La photographie! Et en deuxième les vinyles! Je pense que le vinyle pour lequel j’ai le plus déboursé est Leviathan de Mastodon, environ 80$ sur Ebay, il y a de cela un bail. Un jour, je suis tombé par hasard sur le vynil de 1755 chez un disquaire, je l’ai acheté parce que je trouvais que c’était un bel objet de collection, nous sommes en 2007, je pense. J’ai alors eu envie de l’écouter et de me dénicher une table tournante. Lorsque j’étais jeune, j’ai toujours voulu jouer avec les vinyles de mes parents. Malheureusement, une fois je l’ai brisée. Je n’ai donc jamais pu écouter de vinyles durant mon enfance.

Par un geste du destin, ma blonde a hérité d’un meuble table tournante de son grand-père (table tournante et caisses de son sont intégrées dans le meuble). J’ai ainsi découvert les joies de ce support! J’ai depuis changé de table tournante 2 fois. Pour moi, le disque compact est un format mort, je n’y vois aucune utilité. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir le Cheap Thrills, le Sound Central, le Beatnick, Aux 33 tours, l’Atom Heart, (je ne connaissais pas l’Oblique avant le mois de novembre 2011!) etc. J’étais surpris de voir que les groupes n’avaient pas arrêté de faire des vinyles. Maintenant, le vinyle a refait surface, pour mon plus grand bonheur, mais au début, tous mes amis qui venaient me visiter étaient très surpris de voir ma sélection de longs jeux. Pour plusieurs, le vinyle est une chose du passé. Pour moi le vinyle vient remplir un besoin de consommation « physique » de la musique, en contraste avec le mp3. Je commence à avoir des tendances un peu sélectives sur les disques, par exemple : j’ai refusé d’acheter Master Of Reality de Black Sabbath sur le label NEMS parce que je voulais le re-press de Rhino, ne pouvant pas me payer un pressing de chez Vertigo. Il y a aussi effet de rareté qui entre en jeu, souvent les pressings sont assez limités. Maintenant, la meilleure formule pour moi est : aller voir un spectacle, acheter un vinyle et donner l’argent directement à l’artiste. C’est bien que parfois il offre un téléchargement de l’album en bonus. Divinement, le genre de musique que j’aime supporte ce format.

 

As-tu une "consommation" similaire dans d'autres formes d'art?

Non. Je dépense beaucoup d’argent sur les jeux vidéos, que certains qualifient comme art.

 

Tes parents écoutaient quoi quand tu étais enfant ?

La radio francophone, ce qui veut dire qu’en plus de mes références de musique acadienne je connais tous les succès québécois.

 

Le mot de la fin : il est à toi, dis ce que tu veux.

Merci. Merci aux gens qui ont pris la peine de m'écouter. Merci aux gens qui m'ont encouragé ou qui vont m'encourager. Merci à tous les gens qui m'ont aidé de quelques façons que ce soit et également merci à ceux qui m'aideront un jour. Je pense que l'on est plusieurs à avoir des intérêts qui convergent, et si on peut réussir à unir nos forces, je suis sûr qu'on peut réaliser les « visions » de tous. Un DIY communautaire, comme de vrais hippies!

 

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