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Thisquietarmy + AUN + Theologian + S/V\R + Northumbria 21/06/2012 @ Casa Del Popolo, Montréal

Portrait de William
Thisquietarmy + AUN + Theologian + S/V\R + Northumbria 21/06/2012 @ Casa Del Popolo, Montréal

Une autre soirée de musique étrange planait sur Montréal car au lendemain de la performance de Yamantaka//Sonic Titan, nous avions déjà droit à un autre coup d'éclat du Suoni Per Il Popolo. Ce festival aura eu raison de nous cette année avec sa magnifique programmation. Au menu pour cette soirée plus calme et intime, la crème de la musique ambiant/drone montréalaise agrémentée de quelques autres merveilles comme Theologian de l'état de New York et Northumbria de Toronto.

À notre arrivée sur les lieux, le puissant duo torontois avait déjà entamé cette longue et éprouvante soirée. Nos cellules auditives allaient être mises à l'épreuve et notre cerveau allait très certainement se mettre à disjoncter à un moment ou un autre de ce concert surchargé de décibels. Heureusement, nous avons pu apprécier l'excellent drone qu'offrait Northumbria à la foule de la Casa Del Popolo pendant près d'une quinzaine de minutes. La lourdeur était déjà omniprésente et c'était seulement le premier groupe sur un total de cinq. La présence d'un bassiste pour supporter le guitariste ajoutait un élément hors-norme à leur sonorité. Les sentiers battus du drone étaient alors quittés pour des horizons plus noisy et plus mécaniques. Leur musique est décrite comme du metal ambiant, et je crois que cela colle parfaitement à leur style. Le duo redoublait d'énergie pour nous en mettre plein les oreilles, la guitare était lourde et créait des envolées sonores magnifiques. Pendant ce temps le bassiste faisait ronronner son instrument de façon hypnotique en guise de trame de fond. La combinaison de cette énergie musicale et des projections colorées et psychédéliques collait parfaitement avec le genre de chose que j'avais envie d'entendre à ce moment précis. Une très surprenante performance, prenez le temps de découvrir ce groupe canadien encore très méconnu du public.

Les seconds, ou plutôt le second, à fouler la scène de la Casa fut l'excellent projet québécois S/V\R. Ce duo provenant de Montréal et Québec n'a malheureusement pas pu se réunir entièrement sur scène en ce jour de semaine. Nous avions alors droit à une prestation solo de la part du musicien montréalais. Pour les amateurs de musique dark, vous savez certainement que celui dont je parle est l'un des musiciens du duo Menace Ruine. Étonnement, S/V\R se veut un projet beaucoup plus étonnant et éclaté que Menace Ruine. Leurs premières cassettes sont d'une qualité phénoménale et d'une originalité déstabilisante. Malheureusement, dû à ce manque de personnel, le résultat que nous avons eu lors de cette soirée fut plutôt décevant. L'aspect électronique était assuré par le musicien, nous avions même droit à une excellente projection lugubre, mais la présence des percussions manquait grandement à S/V\R. Cette mince ligne entre le succès et la déception fut plusieurs fois franchie dans mon esprit durant les quinze minutes qu'ont duré la prestation, au final je dois avouer avoir été déçu, mais beaucoup moins que si la prestation avait été annulée. Chapeau à S/V\R d'avoir eu le courage et la volonté de faire acte de présence malgré les circonstances. Faites-vous une faveur et visitez leur site web, cette musique est démente.

Durcissement from S/V\R on Vimeo.

 

Un changement de planification était en vu, AUN devait céder sa troisième place à Theologian. Ce geste de sympathie envers la "vraie" tête d'affiche avait pour but de leur assurer une foule très nombreuse et attentive. Je ne savais absolument pas à quoi m'attendre, je me suis donc placé sur le sol, les yeux fermés et l'esprit ouvert. La musique, ou plutôt le bruit, de Theologian fut dès le commencement une agréable surprise. Les deux musiciens manœuvraient leurs diverses pédales, claviers et ordinateurs afin de nous transporter vers de profonds lieux de chaos. Des endroits au fin fond de nos corps où l'on ne se rend que trop peu fréquemment. Un confort malsain nous implose des organes, notre corps bouillonne d'énergie et notre cerveau trouve son chemin à travers cette lueur sonore ultra-puissante. Malgré leurs noirceurs, les expérimentations sonores de Theologian étaient très physiques, très humaines, très vivantes. La symbolique du corps de la femme monopolisait leurs visuels, nous pouvions observer des femmes nues, des corps nus, des formes nues. Elles apparaissaient en alternance à l'intérieur de décagones blancs, ce symbolisme étrange se mariait à leur musique d'une façon inexplicable. Le temps n'existait plus, nous étions en transe. Du moins, nous essayions de l'être malgré les quelques connards au fond de la salle qui faisaient du tapage et qui continuaient de discuter comme si on assistait à un concert de Queen Of The Stone Age. Quand vous allez à un concert d'ambiant les copains, il faut s'investir mentalement, sinon allez vous faire foutre sur la terrasse… Trêve d'observations personnelles, la prestation de Theologian fut l'une des meilleures expériences d'ambiant que j'ai pu faire cette année. Un total envoûtement, une expérience planante et très sensorielle.

La finale locale s'entamait avec le mystérieux et imprévisible duo montréalais nommé AUN. Les ayant vus quelques fois par le passé, je me dois d'être franc et de dire que leurs prestations ne m'avaient jamais renversé. Je croyais alors que jouer directement après Theologian était un suicide musical. Cependant, mes idées préconçues furent détruites en quelques minutes. Pour une première fois devant mes yeux, AUN a su s'imposer rapidement et lourdement au public de la Casa Del Popolo. La guitare de Martin résonnait comme je ne l'avais jamais entendu auparavant, enfin une lourdeur digne de leur génie de composition. Ils étaient percutants et terriblement lourds, nous avions droit à du drone surpuissant. Les projections étaient très efficaces, elles agissaient comme amplificateur de sensations. Les paysages et les images magnifiques nous faisaient voyager les yeux grands ouverts. La tournée européenne en compagnie de Thisquietarmy fut probablement très bénéfique, le résultat que nous avons expérimenté lors de ce concert fut fantastique. C'était une maîtrise et une dévotion sonores totales, une sensibilité musicale frôlant la destruction et le néant. Nous avions devant les yeux du drone de haut niveau, jamais je n'aurais cru entendre AUN jouer de façon aussi convaincante. Ils me firent oublier que Theologian venait de me jeter sur le cul. Ce fut un deuxième coup de grâce consécutif, signe que la soirée se déroulait à merveille. Tout simplement bravo aux deux musiciens pour ce moment magique.

Ayant vu Thisquietarmy au moins dix fois, je croyais que le moment était venu pour moi de quitter la salle. Heureusement, cette émotion interne qui vous pousse à faire un sacrifice de quelques heures de sommeil pour encourager un ami me prit au cœur. Je me devais de faire une critique de cette magnifique soirée, et pour cela, mon devoir était de vivre chaque moment de la soirée à son maximum, pas question d'abandonner maintenant. Je ne m'attendais à rien de renversant puisque je suis habitué à la musique de Thisquietarmy, mais pour une raison ou une autre, le karma de cette soirée fit en sorte que cette prestation fut la meilleure jamais faite par Eric en ma présence. Il semblait en surpossession de ses moyens, la noirceur, la déchéance et la dépression coulaient de chacun de ses sons de guitare. Son magnifique drone frappait dans le mille, il nous prenait droit au cœur et notre intérieur frissonnait. Les compositions d'Eric sont pour moi un moment idéal pour réfléchir, certains drone vous poussent à faire le vide, certains autres vous anéantissent totalement les cellules, mais celui-ci vous permet un égarement mental bénéfique et intense. Vous quittez le monde réel pour une trentaine de minutes, vous n'existez plus, vous faites le bilan de votre vie, perché dans un lieu externe du monde réel et vous regardez votre corps dans la salle. Un corps qui n'est plus le vôtre pour un bref moment, une certaine forme de rêve lucide. C'est plutôt inexplicable, mais il faut tenter ce genre d'expérience musicale par moments. Il ne vous faut rien d'autre qu'un désir de réflexion sur vous même et une volonté d'égarement que vous mixez à une ouverture d'esprit obligatoire. Ces prestations sont parfois des moments qui sauvent nos vies, qui les réajustent ou qui les guident. Les musiciens capables de vous faire vivre de telles expériences sont rares, Thisquietarmy en est un. Dans des conditions propices, il est capable de faire en sorte que chaque microparticule d'une salle soit remplie d'émotion, une émotion qu'il crée par le biais de son instrument, un instrument qu'il manœuvre comme un membre à part entière de son corps, de son esprit. Pour lui c'est une deuxième façon de communiquer. Lors de cette soirée, tout était en place pour que ce genre d'expérience se produise, ce fut sérieusement un grand moment de drone pour la scène montréalaise. Ne sous-estimez pas notre scène locale en ce domaine, nous sommes l'une des meilleures au monde. Merci Eric pour cette finale intense, et sachez qu'il n'y avait que de l'eau dans ma bouteille et que je n'ai pas besoin d'alcool ou de drogue pour ressentir ce genre de chose… mais là encore, il faut me croire sur parole. J'espère que vous avez aimé la lecture, on se recroise bientôt dans un autre concert.

Chroniqueur montréalais pour Pelecanus depuis juin 2010 ayant participé à l'organisation de concerts ainsi qu'au défunt projet de webradio.

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