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Hellfest 2013 - Jour 01 : « Nulle montagne sans vallée. »

Portrait de Théo
Hellfest 2013 - Jour 01 : « Nulle montagne sans vallée. »

130 000 litres de bière. 10 000 litres de muscadet. Une demi-douzaine d’hectares réquisitionnés. Près de 160 artistes. Bref. Le Hellfest, nous y sommes désormais habitués, c’est lourd. Comment expliquer dès lors la couverture souvent très superficielle accordée par les médias généralistes à un festival affichant des chiffres aussi impressionnants ? Au passage, le fest de Ben Barbaud s’est hissé à la troisième place des festivals français en termes d’affluence en 2012, derrière les Vieilles Charrues et Solidays, mais devant Rock en Seine et les mythiques Eurockéennes. Cet article se veut un reportage du Hellfest axé sur de nombreux groupes au talent certain. Des sensations live souvent éblouissantes. Quelques notes jetées au gré du vent, depuis de vulgaires amplificateurs de son, qui peuvent changer une existence à tout jamais (je vous jure que ça arrive). Et ces groupes étaient souvent relégués au bas de l’affiche du festival de Clisson, là où pas un journal n’est allé vérifier, au-delà de leur ignorance, la qualité de ces groupes.

La programmation du festival nous y a souvent habitués : il faut souvent se lever tôt pour voir de grands concerts. Pour cette édition, c’est The Great Old Ones qui ouvrait les hostilités. Dès les premières notes, leur black metal hybride fond sur plusieurs centaines de festivaliers massés devant la scène Temple. Ils n’étaient pas là par hasard. La nouvelle avait déjà tourné : le quintet du Sud-Ouest est une très bonne sensation live. Alors que quelques passages remémorent parfois Deafheaven, les Grands Anciens sont finalement uniques en leur genre. Et si leurs formidables incantations à Cthulhu font mouche, c’est probablement parce que les Bordelais ont dilué leur metal noir avec du doom. À voir absolument en live.

Direction Valley, la scène réservée aux musiques affiliées au doom, stoner, psyché sludge et postcore (Des genres plus progressifs, dirions-nous. Et plus enfumés, diraient d’autres.) Vous vous en doutez : Pelecanus a passé le plus clair du Hellfest sous cette tente. Avec, pour commencer, l’incroyable duo Eagle Twin. Incroyable de puissance et d’énergie, tout d’abord, car le duo envoie un son cru et sans merci au visage de l’assemblée, tétanisée devant telle performance. Une guitare au son subsonique et une batterie claquée sèchement rendent la paire de bouchons obligatoire. Le concert est sec et haineux. Et ce tabassage en règle doit beaucoup à la voix de Gentry Densley, compère de Greg Anderson dans Ascend. Rauque Haine Roll.

“We are not from this galaxy !” On quitte l’atmosphère feutrée de la tente pour la premier concert Mainstage du week-end : celui des sci-fi thrashers de Vektor. Le quartet de Tempe, Arizona, est lui aussi très attendu. Dans la foule, de nombreux t-shirts Vektor et le sourire de leurs propriétaires dès le début de l’époustouflante “Cosmic Cortex”. Moins clair que sur album, le son des Américains reste un must pour tout fan de thrash, de Voivod et de Chuck Schuldiner. Les guitaristes sont incroyables d’aisance, surtout David DiSanto, dont la lourde tâche de guitariste chanteur est mise à l’épreuve pour la première fois en Europe. Et si leur notoriété les a précédés, elle n’est pas sans fondement.

C’est le cruel doom death de Hooded Menace qui se chargera d’apporter son lot de lourdeur après les cavalcades à la vitesse du son des thrashos de Vektor. Les quatre Finlandais égrenent leurs chansons une à une sous la tente Altar. Alors que la Menace Encapuchonnée est tout sauf un groupe live sensationnel, le stoïcisme des musiciens, jouant tous sous leurs capuches, fait tout de même son petit effet. Qualité première : ces gammes vandalisées auxquelles chercher un sens peut rendre fou. Qualité seconde : la voix caverneuse de Markus, qui n’a pas grand chose à envier à Ross Dolan d’Immolation. Un reproche toutefois : quarante minutes de set nous auront largement suffi. La faucheuse n’était pas aussi menaçante que prévu.

De passage devant la Mainstage 1, force est de constater qu’à leur grand âge, les vétérans de Saxon délivrent encore une jolie leçon de heavy metal à qui veut l’entendre. Biff Byford, droit dans ses santiags, prouve qu’on peut avoir 62 ans et rocker comme un dur. “Wheels Of Steel”, le classique du groupe joué en final, en est la preuve.

Retour sous la Valley pour une leçon de violence avec Black Breath, les protégés de Converge signés chez Southern Lord. Si leur performance n’a pas vraiment l’intensité de leurs pères tutélaires, leur mélange à base de thrash, doom et hardcore ne rate jamais sa cible. Les riffs s’enchaînent, nous offrant un concert primal et sans fioritures. Une efficacité tout inédite sous la Valley où l’odeur d’herbe inhérente à cette scène du Hellfest se mélange aux circle-pits. Rafraîchissant quoique pas indispensable. On attend un concert hors festival (et un album plus que simplement “correct”) pour prendre une véritable claque.

C’est ainsi qu’à la recherche de cette dernière, nous revenons quelques minutes plus tard tâter l’ambiance de la Valley sous les riffs plombés de Pallbearer. Après un disque que tout bon fan de doom s’est collé entre les deux oreilles plusieurs fois avant le Hellfest, c’est peu dire que le quatuor de l’Arkansas est attendu. Mais alors que les Porteurs de Drap jouent leur set, on se rend compte progressivement que le groupe n’est pas à la hauteur de nos espérances. Pourtant, le son pachydermique de Pallbearer a tout de suite charmé l’assistance. Mais un chant très approximatif doublé d’un manque d’aisance scénique certain (s’amusaient-ils ?) nous empêchent de nous abandonner pleinement. Dommage…

…mais tant pis. Il n’y a pas que le doom dans la vie. Il y a aussi le metal celtique. Mais non, ne faites pas cette tête-là. Si vous aviez vu Primordial ce vendredi du Hellfest 2013, vous seriez d’accord avec nous. Commençant leur show avec 20 minutes de retard – suite à des soucis d’aéroport apparemment -, les Irlandais imposent d’emblée une présence scénique hors du commun. Et le mot est faible. Nos compliments vont droit à Nemtheanga, le frontman de Primordial, qui réussit à capter l’attention de toute l’assemblée réunie sous la Temple. Du premier rang aux confins du chapiteau. Un jeu de scène carrément envoûtant, sublimé par sa voix, rigoureusement parfaite. Pendant “The Coffin Ships”, la salle s’embrase et la Temple n’avait encore jamais eu aussi chaud. Et lors du final “Empire Falls”, la salle entière semble résonner d’une seule et même voix pour entonner ce pathétique refrain. Voilà. Des paroles d’une tristesse insondable scandées par plusieurs centaines de personnes peuvent en faire un chant d’une grande beauté. Notre meilleure sensation (et de loin) sous la Temple.

Un peu sonnés par un tel concert, maudissant ce fâcheux retard, nous tâchons de nous concentrer sur Sleep avant qu’ils ne prennent la Valley d’assaut. Matt Pike, Al Cisneros et Jason Roeder sont acclamés à toute force à peine montés sur scène. La tension sous la Valley est montée d’un cran. Électrisé par les premières notes du trio, le  public ne cache pas sa joie de revoir enfin Sleep. Joie aux premiers coups de baguettes du batteur de Neurosis, réussissant le grand écart avec un groove qu’on ne lui connaît pas dans le monolithique Neurosis. Excitation lors des soli virtuoses de Matt Pike, ostensiblement radieux. Mais aussi émotion lorsqu’Al Cisneros interrompt son jeu de basse si caractéristique pour montrer à un public reconnaissant la bouteille d’eau qui lui sert de rafraîchissement pendant le concert. Ses vieux démons semblent l’avoir quitté. C’est une prestation formidable que nous retiendrons, sans doute pas la dernière si Sleep semble aussi content de jouer ensemble. Les gars, chapeau. Vous nous avez drogué avec de la musique.

Lecteurs, vous l’entendrez facilement : il est difficile de se précipiter sous la tente death metal pour aller savourer At The Gates après une heure du doom le plus pur. L’impasse nous sera donc profitable : nous nous plaçons au mieux pour apprécier Neurosis, même si la prestation des Californiens à la Villette n’avait pas fait l’unanimité. Sauf que ce n’est pas le même groupe que nous avons sur scène ce soir. Dès les premières notes, Steve Von Till s’engage dans une lutte sans merci avec sa guitare, prostré en direction de son ampli. Scott Kelly semble avoir lui-même retrouvé la fameuse voix qui l’a rendu iconique auprès de générations entières de chanteurs de hardcore. Mais plus encore, c’est la setlist qui fera la différence. Si le quintet avait été avare d’anciens morceaux à Paris, c’est bien vers ses albums des années 90 que le groupe pioche ce soir. Un soulagement pour tous les déçus des derniers disques de Neurosis (et il y en a). Comme à Paris, les cinq coreux terminent leur show sur la mythique “Locust Star”, où la voix du bassiste Dave Edwardson semble déchirer les cieux pour demander qu’une quelconque puissance divine mette enfin un point d’orgue à ce terrible monde. Sauf que cette fois-ci, tout le set de Neurosis était d’une intensité comparable. Ouf. Ce soir, on peut dormir tranquille.

Crédits photos : Andrey Kalinovsky / CSAOH.com

Affreux vilain metalhead incurable et rédac'chef

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