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Gull + Fordamage + Papaye + Filiamotsa 17/05/2013 @ La Flèche d'Or, Paris

Portrait de Andrey
Gull + Fordamage + Papaye + Filiamotsa 17/05/2013 @ La Flèche d'Or, Paris

Comment faire cohabiter deux violons, trois batteries, une basse, une pléthore de guitares et un talentueux malade mental au cours du même concert ? Avec du talent. Brillante réponse de Kongfuzi avec la surprenante soirée “Les Yeux Fermés”, quatrième du nom.

La Flèche d’Or est presque vide lorsque Filiamotsa joue ses premières notes. Et visuellement, déjà, on est curieux. Sur scène Emilie, Antoine et Philippe se placent discrètement à leur poste. L’un est batteur, les deux autres violonistes. Mais - on s’en aperçoit très vite - pas n’importe quel genre de violonistes.

Plutôt du genre à appuyer sur tout un tas de pédales d’effets, distorsion, reverb, sampler… pendant que la batterie envoie voltiger des tornades de rythmiques toutes plus tordues les unes que les autres. Un synthé pour couronner ce curieux mélange des genres et très vite on se prend à dodeliner (oui oui, dodeliner) de la tête pendant qu’Emilie envoie ses leads stridents virevolter par-dessus les larsens noisy du trio nancéen.

Regards appuyés entre les musiciens, coups d’oeil à travers le rythme effréné des archets et des baguettes qui martèlent les peaux… Pas de doute, le trio s’entend à merveille. Résultat : Filiamotsa fait doucement décoller une Flèche d’Or de moins en moins frisquette.

Papaye offre une tout autre facette de la soirée. Incorrigible, le trio se lance dans une bonne demi-heure de math qui ferait passer Battles pour un groupe triste. A les écouter, ce n’est pas tant des références musicales qui nous viennent en tête (à part des évidentes, telles Pneu dont est issu le batteur de la formation) mais plutôt Itchy et Scratchy, la morbide parodie de Tom & Jerry adorée de Bart et Lisa Simpson.

Car Papaye va vite. Papaye est absurde, Papaye est trois personnages de BD s’en donnant à coeur joie sur leurs instruments, Papaye est un sourire figé sur les lèvres d’un psychopathe n’ayant aucune idée de la différence entre le bien et le mal. Du fun cadencé de la façon la plus compliquée possible mais avec ces quelques riffs qui rentrent dans la tête à la manière de la mèche d’une chignole : sans frapper.

Il n’y a qu’un regret, finalement : ne pas avoir le temps de s’arrêter sur un riff. Remuer la tête, battre le pied, rouler des hanches (malheureux !) est tout à fait impossible. Leur cartoon rock a déjà eu le temps de changer de riff trois fois. Ces mecs sont tarés.

Le seul groupe au line-up à peu près normal de ce soir monte alors sur scène. Fordamage, héros de la noise à la française vient défendre ses couleurs (nantaises). Au milieu de ce marasme musical, la formation montre vite les crocs et mord directement à la jugulaire. D’un rock 90’s forçant parfois la comparaison avec Sonic Youth, la noise menaçante et abrasive de Fordamage se fait parfois cruelle et nostalgique telle These Arms Are Snakes ou Unsane.

Le déhanché habité d’Amélie, la guitariste au timbre de fer, le cri cathartique du bassiste (ainsi que le son de sa basse, jou-i-ssif), les cavalcades de la batterie et les multitudes de sons ahurissants fusant de toutes parts… Tout est là. Le bruit comme paradis, on y croit.

Et pas de final sans grand messe de larsens se perdant au vol, telles les litanies électriques d’un temple perdu à la gloire d’Alessandro Volta, le dompteur de l’électricité. Le public est unanime : c’était incroyable.

Fordamage est un groupe dont on peut témoigner un respect absolu pour ses disques. Il est grand temps, également, de leur vouer un culte mérité pour leurs prestations live.

Vient l’heure de l’installation de Gull, ce petit homme au regard bleu et vif. A l’heure de la balance, l’homme s’occupe, seul, de ses instruments. Pédales, batterie, guitare, puis masque… Eh bien oui, masque. Un masque étrange en carton pâte dans lequel est dissimulé le micro cravate de Gull.

A peine installé, les yeux du public tout entier sont tournés vers Gull. Sans autre forme de procès, le multi-instrumentiste se met alors très vite à jouer son mathrock étrange.

Etrange, oui. La musique de cet habitant de la Virginie tient de la performance pour son côté visuel : Gull joue de sa guitare, la sample, chante, joue de la batterie tout en tenant une ligne de basse sur sa guitare… puis lâche sa batterie, pose sa guitare, se jette à terre, tourne les potentiomètres de ses pédales, se relève, tord son t-shirt. Tout cela en chantant de drôles de textes perdus dans la saturation naturelle de l’acoustique de son masque.

Bref, il nous viole les yeux.

On a tous vu des tas de groupes. Des bons, des mauvais. Certains nous ont laissé indifférent, certains nous ont bien plu, certains nous ont ennuyé pendant de longues minutes et d’autres ont changé nos vies à jamais. Mais ces mecs sont souvent plusieurs sur scène. Gull est seul. Complètement seul. Et Gull délivre une performance d’une qualité époustouflante.

Car le spectacle n’est pas que visuel. Sa musique, de grand talent, fait le reste. Elle use des rouages du mathrock mais s’en détache bien souvent. Un type se penche vers nous, nous tire par le bras. “Cette musique raconte une histoire”, finit-il par nous confier. Et c’est ça, en somme.

Je n’ai aucune idée de ce dont les textes de Gull parlent. Mais sa musique convoque la ville et la forêt. L’eau et la terre. La foudre. La Terre. Les hommes. C’est ça. L’homme. Sa musique est profondément humaine. Elle mélange avec une délicatesse inédite la violence des sentiments, l’absurdité de la vie et, finalement, la solitude de l’âme.

La preuve que Gull, c’est beaucoup plus que du mathrock. A l’instant de cette reprise de Beyoncé, au milieu du set, j’étais sceptique. Puis la chanson, finalement, s’est complètement fondue avec ses propres compositions. Comme si la création musicale, quelque part, pouvait être universelle. Que la culture ne nous appartenait pas mais n’était que la résultante d’un Grand Tout, partagé par tous, n’appartenant à personne.

Puis le concert s’achève, doucement, dans une dernière note. Je redescends. Reprends conscience que tout ça, ce n’est que du rock’n’roll. Je me trouve un peu grotesque d’avoir songé à tout ça. Ridicule. Pourtant, un instant, je l’ai senti. Ce moment à nul autre pareil où, au réveil, il est difficile de dire avec certitude si on rêve encore ou si c’est bien la réalité. Difficile à raconter, impossible à partager.

De la magie, en quelque sorte.

Crédits photos : Andrey Kalinovsky / CSAOH.com

J'aime les ours, le whisky et les internets.

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