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Amenra : "nous ne voulons pas devenir quelque chose que nous n’aurions jamais voulu être"

Portrait de Andrey

Nous connaissons tous Amenra pour leur extrême noirceur et violence, tant sur album qu'en live. Murs de guitares massifs, éclairage quasi-absent, et surtout un chanteur complétement possédé, tournant le dos au public, le câble de son micro enroulé autour du corps. Mais les vrais fans savent depuis longtemps qu’Amenra, c’est aussi des ballades acoustiques déprimantes, d’une beauté à faire couler une larme au métalleux le plus bourru du Wacken. C’est donc à l’occasion de la sortie de Alive, un album live composé uniquement de morceaux acoustiques, que nous avons pu poser quelques questions à Colin H. van Eeckhout, le charismatique frontman du groupe.

Années après années nous entendons de plus en plus de groupes, je pourrais mentionner Charnia, Eleanora ou Reka, influencés par le son, l’atmosphère et plus globalement par l’univers que vous avez réussi à mettre en place avec Amenra. Comment voyez-vous ça ? Comment vous sentez-vous face au fait d’être clairement devenu une influence ?

C’est une chose magnifique à voir, que nous pouvons inspirer de nouveaux groupes. C’est gratifiant, dans un sens, de se rendre compte que nous mettons des choses en mouvement, des choses qui pourraient être éternelles.

 

Parlant d’influences, quelles sont les vôtres ? Les artistes, quelle que soit leur forme d’art, vous poussent à créer ? Quelles sont les influences derrière tous vos projets ? Est-ce qu’il y a des livres, des films qui peuvent nous ouvrir des portes sur l’univers de la Church of Ra ?

Difficile à dire, je ne me reflète pas moi-même à travers certains artistes. Musicalement tout ce qui me remue, tous les morceaux qui me donnent la chair de poule, de Tool à Massive Attack jusqu’à Crowbar, Bolt Thrower, Mark Lanegan ou Costello. Tout ce qui est sincère et émouvant en fait, ça ne sert pas à grand chose de citer des noms. Nietzsche et Kieffer sont très inspirants par exemple, ces dernières années Berlinde De Bruyckere, Michael Borremans m’ont beaucoup inspiré. On ne peut pas juste citer des noms. Les influences sont sans fin, pour la plupart, je ne me rappelle même plus du nom des créateurs, il s’agit d’une oeuvre que tu prends avec toi dans ton cerveau. Par-dessus tout ce sont les choses que l’on vit qui inspirent notre musique et notre créativité.

 

Dans une entrevue récente, vous disiez que vous pourriez arrêter les concerts pour un moment. Vous vouliez dire arrêter de jouer ensemble ou arrêter de jouer des concerts électrifiés, pour peut-être vous consacrer à la version acoustique d’Amenra ? D’ailleurs est-ce que le concert électrifié au Roadburn Festival était celui qui était “spécial” plutôt que l’acoustique ? Si vous arrêtez de jouer ensemble, serait-ce pour vous concentrer sur un nouvel album ? 

Oui, nous “essayons” de dire non à tout ce qui croise notre chemin en ce moment, nous voulons et nous devons nous concentrer sur la création, de mettre en place de nouvelles oeuvres. Nous avons tous plusieurs (side-) projets qui méritent aussi de l’attention. Sans parler de nos familles en continuelle expansion.

 

 

Est-ce que l’expérience du live est fortement liée à votre musique ? Je connais des musiciens qui n’aiment pas jouer leur musique live, pour eux c’est surtout supposé être une expérience introspective, et pas quelque chose de lié au monde physique, sans parler de la nécessité de mise en scène. Qu’en pensez-vous ?

Je crois que ça l’est, oui. L’écriture est un processus magnifique que nous détestons tous, c’est seulement lorsque tu as joué ces morceaux en live qu’ils commencent à vraiment grandir en toi. Tu dois fusionner avec eux pour découvrir leur vrai potentiel. Ton but est de te perdre en eux, et c’est seulement possible pour nous, ou pour moi, en live. Les amener sur scène n’en fait pas moins une expérience personnelle et introspective : tu dois juste couper les informations dont tu n’as pas besoin pour un moment, ou tout du moins essayer.

 

Est-ce difficile pour vous après 5 albums solides, de toujours avoir quelque chose à dire ? Est-ce que vos projets parallèles sont une manière d’expurger des choses personnelles, mais sous une forme renouvelée ? Comment gérez-vous le processus de création avec le temps ?

Oui, à tout point de vue. J’ai encore et toujours quelque chose à dire, même si c’est globalement quelque chose que tu connais déjà. Ma vision est ma vision, je suis qui je suis. Et ça ne risque pas de changer de sitôt. 5 albums solides et des tas d’autres sorties plus tard, il est plus difficile de trouver l’inspiration, c’est vrai. Bon, l’inspiration est toujours là, mais ça devient plus difficile de la traduire dans ton propre langage musical, puisque tu laisses le monde extérieur et les attentes des autres te limiter. C’est un combat que tu dois surmonter, nous ne voulons pas devenir quelque chose que nous n’aurions jamais voulu être avec Amenra. C’est pourquoi nous avons autant de projets parallèles aussi, certaines histoires ont besoin d’approches différentes, tu vas chercher différentes palettes émotionnelles.

 

Il y a de ça quelques années Amenra avait la réputation de jouer dans des lieux insolites, comme des caves ou des forêts. Est-ce quelque chose que l’on peut s’attendre à voir encore ? Est-ce encore possible de jouer dans de tels endroits à l’heure des réseaux sociaux et maintenant que vous êtes un plus gros groupe ?

Tout est possible, il suffit de le vouloir.

 

J’avais lu quelque part que les morceaux d’Afterlife étaient en fait des berceuses. Est-ce une approche à laquelle il faut encore s’attendre pour de nouveaux morceaux ? Ces morceaux ne sont-ils pas un peu tristes (les paroles surtout) pour des enfants ? Ou peut-être est-ce une bonne chose pour les aider à gérer ce genre de sentiments ?

Berceuses, ce n’est pas le bon mot, ce n’en sont pas, elles sont adressées à nos enfants évidemment, mais plus comme des mots de réconfort quand ils en auront besoin, et ils auront toujours besoin de notre aide et de notre réconfort même quand nous ne serons plus là.

 

Amenra a toujours été pour moi la définition de la noirceur, musicalement, au niveau des paroles et de par la performance, comment tu es possédé quand vous jouez live. Comment vos proches et vos enfants réagissent à cette part de votre vie ? 

Les miens sont encore trop jeunes pour totalement saisir l’idée. Ils ont seulement assisté à un concert acoustique. Je suppose que s’ils me voyaient à un show électrifié, ils seraient sacrément effrayés. Malgré tout, ils nous connaissent mieux que quiconque, donc ils pourraient voir ça comme normal. Ils pourraient se demander “pourquoi papa est fâché ?” aussi, mais ces questions sont très difficiles.

 

Au fil des années, la Church of Ra est devenu comme un sceau de qualité. Quand tu achètes un album estampillé Church of Ra, tu sais que tu vas passer une heure avec de la musique “sombre” de qualité, tout comme quand tu achètes un album de chez Deathwish, tu sais que tu peux t’attendre à une heure de hardcore moderne bien produit. Peux-tu nous en dire un peu plus sur le fonctionnement ? Avez-vous votre mot à dire concernant les groupes marqués Church of Ra ? Est-ce qu’il y a un “comité” qui peut rejeter un groupe qui ne paraît pas assez intéressant ? Ou est-ce quelque chose qui vit par soi6même ? Craignez-vous des dérives ? 

C’est à peu près tout ce qui vient de “nous”... tout a commencé comme étant nous 5 oeuvrant avec la “Church of Life”. Années après années nous avons attiré toutes sortes d’artistes, d’âmes. Nous construisons tous nos maisons avec la même glaise, tout comme nous sommes nous-mêmes fait de la même glaise. C’est une question d’éthique et de dur labeur. Ça ne peut pas devenir quelque chose d’autre, si nous ne définissons pas exactement ce que c’est. Je ne le ferai jamais.

 

 

Consouling Sounds semble devenir peu à peu le distributeur officiel de la Church of Ra. Quelle est votre relation avec ce label ? Il semble souvent promouvoir des groupes proches de l’univers de la Church of Ra aussi. Avez-vous une sorte de connexion avec cette structure ? Des plans à long terme ?

On a construit sur notre amitié, nous ne décidons rien pour eux malgré tout. Et nous ne faisons pas plus de plans que ça non plus.

 

La moitié de l’équipe de notre site est en Amérique du Nord, peux-tu nous expliquer pourquoi c’est si compliqué pour vous de jouer là-bas ? Quelle logistique cela demande-t-il ? Quelles sont vos expériences avec ça ? À Montréal, où se trouve la moitié de notre équipe, 10 ans ont passé depuis votre dernier passage (avec Zoroaster).

On a adoré notre passage au Canada, on a vécu beaucoup de bons moments là-bas, les gars de Zoroaster ont été incroyables avec nous. Nous reviendrons bientôt. Je le promets.

 

Un morceau sur Alive se détache des autres : Het Dorp (à l’origine un morceau de Zjef Vanuytsel), que peux-tu nous dire sur ce morceau et sur cet artiste ? Qu’est-ce qui vous a motivé à le mettre sur cet album live ?

Il décrit parfaitement la glaise dont nous sommes fait. Il est difficile de décrire pourquoi c’est un si bon morceau pour nous. Zjef van Uystel réussit vraiment à décrire notre terre natale comme personne. Nous venons tous de petits villages flamands, de leurs dynamiques et de la beauté poétique dans leur minimalisme… “het drop” était un de ses morceaux les moins connus, pour autant il nous correspond comme aucun autre. Nous avons enregistré ce morceau pour la bande-son d’un film intitulé “Naked Heartland” de Willy Vanderperre, c’est lui à l’origine qui nous a guidé vers ce morceau.

NDLR: Colin a demandé à ce que la vidéo ci-dessous soit jointe à l'interview.

/// ENGLISH VERSION ///

Year after year, we can clearly hear bands, I could mention Charnia, Eleanora or Reka being influenced by the sound, the atmosphere and more globaly by the art you shaped with Amenra. How do you feel about that today ? How do you feel about the fact that you are clearly now an influence ?

It is a beautiful thing to see that we now can inspire new bands. It's rewarding in a way, comforting that we set something in motion, that might be eternal.

 

Speaking of influences, what are yours ? I mean, who are, still today, the artists in any form of art, that push you to make art? What are the deep influences behind all of your projects ? Are there some books or movies that can open us more doors to the Church of Ra universe? I’m always curious about how can different art forms (such as books, or anything else actually) mix together.

That is hard to say. It's not like I mirror myself to certain artists. Musically, everything that moves me , every song that gives me goose bumps… From Tool to Massive Attack to Crowbar, Bolt Thrower. Mark Lanegan to Costello. everything sincere and gripping. It makes no sense to namedrop. Nietzsch and Kieffer inspire for example.  Last year Berlinde de Bruyckere, Michaël Borremans inspired enormously. This is just not something to namedrop. My  influences are endless. Most of them I don't even recall their creators. This is a work itself that you take with you in your brain. Above anything  it's the things we live that inspire our music and creation.

 

In a recent interview, you said that Amenra shows are something you might stop doing for a while. Were you talking about shows all together or just electric shows, so you could focus on the acoustic part of Amenra? Was the electric show at the Roadburn the real "special" set, instead of the acoustic one? If you are stopping shows all together, are you planning to focus on a new album?

Yes, we are 'trying' to say no to everything that comes our way for the moment being. We want and need to focus on creation. We all have several side-projects that deserve some attention as well. Not to speak about our ever expanding families.

Is the live experience bound to your music ? I know some musicians who don’t like to play their music live, for them it’s supposed to be a personal and introspective experience, and not to be bound to the physical world; not to depend on the lightshow and the decoration. What do you think of that ?

I  believe it is yes. The writing is a beautiful process we all hate. It's only when you've been playing those songs live for a while that they really grow onto you. You have to be able to become one with them to accurately  discover their true capacity. You aim to lose yourself in them, and that's only possible for us or me in a live context.  It's not because you bring them onstage that  it cannot be an introspective and personal experience. You just have to shut out the information you don't need at the moment. Or at least try to.

 

Is it harder for you, after five pretty solid albums, to still have something to say? Are your side-projects a way for you to say the same personal things, but with a regenerated shape? How are you dealing with creation process as time goes by?

Yes on all accounts.  I still have something to say, even though it roughly is the same thing you know. My views are mine, I am how I am.  And that probably won't change any time soon. Five solid albums and a zillion other releases further. You do come into a more difficult pool to find that inspiration in that is true. Inspiration is there still, but it gets harder to translate into your own musical language, since you let the outer world or expectations limit you. It's a fight you need to grow. We don't want to change into something we never intended to be with Amenr. That’s why we have a lot of other projects swell indeed. Some stories need a different approach, you look into a contrasting emotional palette.

 

A few years ago Amenra had a reputation of playing shows in "uncommon places", such as a cave or a forest. Is it something we might expect to see again some day? Is this kind of privacy still possible now that social medias are everywhere and now that you are a "bigger" band ?

Everything is possible, if you want it to be.

 

I've read somewhere years ago that Afterlife songs were written as lullabies. Is it something that you're still trying to do with new songs? Aren't these songs kind of sad (especially lyrically) for children to hear? Or is it actually good for them to know how to deal with these feelings?

Lullabies is the wrong word. They aren't. They are directed to our children indeed. But more as words of comfort when they will need them. And they will still need our help and comfort after we will be gone. 

 

Amenra was always the perfect definition of darkness to me: musically, lyrically and by how you seem to be really possessed when you're playing live. How do your siblings and kids react to this part of your life?

Mine are still too young to fully grasp the idea. They’ve only seen an acoustic show. I suppose if they would see me on a heavy show, I would scare the shit out of them. even though, they know us more than anyone. So they might just see it as normal. They might wonder why 'daddy is pissed off' though, but those are really hard questions.

 

Over the years, Church of Ra became sort of a seal of quality, when you buy a Church of Ra album, you know you're up for one hour of quality "dark" music, the same way as when you buy a Deathwish album, you know you can expect an hour of well produced modern hardcore music. Can you tell us more about how does it work? Do you have some input on the albums or bands that are labelled "Church of Ra"? Is there some kind of a commity that can reject a band if it's not good enough? Or is it something that lives by itself? Aren't you afraid it could end becoming something else than what was planned in the first place ?

It's pretty much everything that comes from 'us'. It all started as it being us five working with the 'Church of Life'. Through the years we attracted all sorts of kindred artists and spirits. We all build houses out of the same clay, like we are all built from the same clay ourselves. It's about morals and hard work. It cannot become something else, if we don't say what it exactly is. I never will.

 

Consouling Sounds seems to have become the official Church of Ra distributor. What is the connection you built with this label? They seem to often promote bands very close to the Church of Ra realm. Do you have any curative connection with this structure? Any long term plan?

Our friendship was a good foundation to build on. We do not decide anything for them though. And we do not make too much plans either.

 

Half of our magazine is in North America, can you explain to us why it is so complicated for you to come here? What organization it takes to come here logistically? And what was your experience with that? In Montreal, where is half of our team, it’s been ten years since you came (with Zoroaster). 

We loved Canada, loads of good times there. The Zoroaster guys were amazing to us. We'll be back someday soon. I promise.

 

A song on Alive really stands off,  Het Dorp (originally Performed By Zjef Vanuytsel) . What can you tell us about this song and this artist ? What motivated you to put it on the live album ?

It perfectly describes that clay we are made of! This is difficult to describe why this is such a good song for us. Zjef Vanuystel succeeded in describing our homeland like no other. We all come from small Flemish villages, and the dynamics and poetic beauty in its minimalism. Het Dorp was one of his lesser known songs, yet it stucks to us like no other. We originally recorded this song for a filmscore of a movie called "Naked Heartland" by Willy Vanderperre. It was him who originally pointed us into the direction.

J'aime les ours, le whisky et les internets.

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